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Petit guide des particularités fiscales corses pour apprécier les demandes de plus grande autonomie...
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Panorama

"L'île de Beauté" bénéficie de dépenses fiscales spécifiques et les conditions de la déclaration, du recouvrement et du contrôle des impôts y sont parfois très particulières.

François Ecalle

François Ecalle

François Ecalle est ancien rapporteur général du rapport annuel de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques ;  ancien membre du Haut Conseil des finances publiques, Président de FIPECO et fondateur du site www.fipeco.fr sur les finances publiques.

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Dans la perspective du déplacement du Président de la République en Corse début février, ce billet fait le point sur les particularités fiscales de l’île. Celle-ci bénéficie de dépenses fiscales spécifiques et les conditions de la déclaration, du recouvrement et du contrôle des impôts y sont parfois très particulières.

La liste officielle des niches fiscales en répertorie 9 en faveur de la Corse sur un total de 457 en 2018 et les rapports de la Cour des comptes conduisent à y ajouter plusieurs autres dispositifs. La niche la plus coûteuse est constituée par les taux réduits de TVA appliqués en Corse sur certains produits. Certaines niches trouvent leur origine sous le Premier Empire.

Le coût total des dépenses fiscales en faveur de la Corse s’élève à au moins 390 M€ en 2018, en hausse de 18 % par rapport à celui de 2010. Il représente la moitié des dépenses fiscales en faveur de zones géographiques particulières en métropole. Il représente également 1 200 € par habitant, ce qui est un peu inférieur au coût des dépenses fiscales en faveur des départements et collectivités d’Outre-mer (1 500 € par habitant).

S’agissant du respect des obligations déclaratives, les deux départements corses se situent aux 89ème et 90ème rangs pour les particuliers et aux 95ème et 96ème rangs pour les professionnels. Le contrôle du respect de ces obligations déclaratives et l’envoi des avis d’imposition sont en outre fragilisés par la mauvaise qualité des fichiers des contribuables tenus par les services fiscaux.

L’absence de titres de propriété, qui résulte de l’absence de déclarations de succession pendant deux siècles et qui subsiste malgré des incitations fiscales « temporaires » au partage formel des biens, reste un obstacle important à l’application des droits de succession.

Les taux de recouvrement des impôts dans les départements corses sont, dans la plupart des cas, les plus faibles de métropole, mais ils restent supérieurs à ceux des départements d’Outre-mer.

La fréquence et le rendement des contrôles « sur pièces » sont plus élevés en Corse que dans la moyenne des départements. En revanche, les contrôles « externes », qui sont les plus efficaces, sont beaucoup moins fréquents. Les probabilités de contrôle externe des entreprises dans les deux départements corses sont inférieures de 39 % et 45 % à la moyenne nationale.

Un panorama des impôts en Corse est dressé dans un document de l’agence de développement économique de l’île.

A)   De nombreuses niches fiscales pour un coût relativement élevé

Les « dépenses fiscales», ou « niches fiscales », sont des dispositions législatives ou réglementaires dérogatoires par rapport à une « norme fiscale » et qui entraînent des pertes de recettes budgétaires pour l’Etat. Pour déterminer si une mesure fiscale constitue ou non une niche, il faut connaître la norme à laquelle elle pourrait déroger. Il faut donc d’abord définir cette norme fiscale, ce qui est très difficile car cette définition renvoie à des conceptions de la fiscalité parfois divergentes. La question de savoir si, par exemple, le « quotient familial », utilisé pour moduler l’impôt sur le revenu en fonction de la taille du ménage, est ou non une niche peut être longuement débattue sans qu’aucune conclusion en soit tirée.

Sont généralement considérées en pratique comme des niches fiscales, les dispositifs figurant sur la liste du tome II du rapport sur les voies et moyens annexé au projet de loi de finances. Cette liste est toutefois discutable et, par exemple, la Cour des comptes met fréquemment en évidence des dispositifs qui devraient y figurer et qui n’y figurent pas.

Le rapport annexé au projet de loi de finances pour 2018 fait apparaitre 9 dépenses fiscales en faveur de la Corse sur un total de 457. Un référé de la Cour des comptes de juin 2016 sur « la gestion et les régimes fiscaux dérogatoires en Corse » conduit à y ajouter trois mesures, relatives aux taxes sur les alcools et les tabacs. Elles sont notées (a), (b) et (c) dans le tableau ci-dessous qui présente la liste et le coût des 12 principales niches fiscales corses. Le référé de la Cour fait état d’autres mesures dérogatoires qui peuvent être considérées comme des niches fiscales mais elles ne sont pas reprises dans ce tableau car leur coût semble marginal.

Principales niches fiscales en Corse et leur coût en 2018

La principale niche (185 M€) est constituée par les taux réduits de TVA appliqués en Corse sur certains produits : taux de 0,9 % appliqué par exemple sur les premières représentations de certains spectacles ; taux de 2,1 % appliqué à la place du taux de 5,5 % sur un grand nombre de biens et services tels que les aliments à emporter, les boissons non alcoolisées, le gaz et l’électricité ; taux de 10 % appliqué au lieu du taux de 20 % par exemple sur les travaux immobiliers, les boissons alcoolisées, les matériels agricoles ou les logements meublés.

Le crédit d’impôt en faveur des investissements en Corse constitue la deuxième dépense fiscale par son coût (56 M€). Il bénéficie aux petites et moyennes entreprises à hauteur de 20 % des investissements réalisés en Corse dans des équipements qui doivent être exploités pendant au moins 5 ans.

Le référé précité de la Cour des comptes observe que, sans la moindre base légale, la TVA n’est pas appliquée sur les vins produits et consommés en Corse. Elle estime à 50 M€ la perte de recettes pour l’Etat qui résulte de ce privilège.

Les contribuables peuvent bénéficier d’une réduction de leur impôt sur le revenu égale à 38 % des versements au titre de la souscription en numéraire de parts de fonds d’investissements de proximité (FIP) dont l’actif est constitué pour au moins 70 % de valeurs mobilières émises par des sociétés qui exercent leur activité exclusivement en Corse (coût de 35 M€).

Le référé précité de la Cour des comptes observe que les tabacs sont soumis à des accises à taux réduit en infraction avec la réglementation communautaire. Le coût de cette dérogation y est estimé à 27 M€.

Les mutations par décès portant sur des immeubles ou droits immobiliers situés en Corse font l’objet d’une exonération « temporaire » (depuis 2002) de droits de successions dans certaines conditions (21 M€).

Plusieurs autres niches ont un coût total estimé à 16 M€ dans le rapport annexé au projet de loi de finances pour 2018. Parmi elles, l’exonération des droits de circulation pour les vins produits et consommés en Corse a pour origine un décret impérial de 1811.

Le coût des niches fiscal corses s’élève donc à plus de 390 M€, mais certaines ne sont pas chiffrées. En supposant constant les coûts estimés par la Cour des comptes dans son référé, ce montant est supérieur de 18 % à celui de 2010 alors que le coût total des niches fiscales s’est accru de 5 % depuis 2010 (hors CICE).

Ce coût des niches fiscales corses représente plus de la moitié des dépenses fiscales rattachées au programme « impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire » qui rassemble les moyens budgétaires de l’Etat en faveur des zones défavorisées en métropole (zones de revitalisation rurale, de redynamisation urbaine…).

Il représente également 1 200 € par habitant, ce qui est un peu inférieur au coût des dépenses fiscales en faveur des départements et collectivités d’Outre-mer (1 500 € par habitant).

B)   Les défaillances de la gestion de l’impôt

La déclaration, le recouvrement et le contrôle de l’impôt en Corse présentent des particularités qui ont été signalées dans le référé précité de juin 2016 de la Cour des comptes. L’enjeu financier, qui correspond au montant des impôts recouvrés par les services locaux des finances publiques et des douanes, est de l’ordre de 1,7 Md€.

1)    Les déclarations fiscales

S’agissant du respect des obligations déclaratives, les deux départements corses se situent aux 89ème et 90ème rangs pour les particuliers et aux 95ème et 96ème rangs pour les professionnels en moyenne sur les années 2011 à 2014.

Le contrôle du respect de ces obligations déclaratives et l’envoi des avis d’imposition sont fragilisés par la mauvaise qualité des fichiers des contribuables tenus par les services fiscaux. Leur taux de fiabilité est de 89,3 % et 91,4 % dans les départements corses alors que la moyenne en métropole est de 95,6 % sur les années 2010 à 2014.

S’agissant plus particulièrement des droits de succession, un « arrêté Miot[1] de 1801 » a supprimé les pénalités en cas de dépôt tardif des déclarations de succession (tout en maintenant l’obligation de déclaration et l’imposition des successions). En conséquence, très souvent, ces déclarations n’ont pas été déposées, le partage des biens n’a pas été formalisé et les titres de propriété des biens immobiliers n’ont pas été établis. Une autre disposition de l’arrêté Miot, relative à l’estimation de la valeur des biens immobiliers, a eu pour effet indirect d’empêcher l’application des droits de succession sur les biens immobiliers de 1984 à 2002.

Une loi de finances rectificative pour 2001 a prévu l’application de la fiscalité de droit commun sur les successions à partir de 2003, y compris les pénalités pour défaut de déclaration. Cependant, de nouvelles dispositions législatives ont instauré, dès 2002, des modalités transitoires de déclaration et d’imposition, voire d’exonération, qui ont été le plus souvent reconduites jusqu’à des décisions du Conseil constitutionnel de 2012 et 2013 qui les ont déclarées contraires au principe d’égalité des citoyens devant la loi et les charges publiques. Une exonération temporaire de droits de succession reste néanmoins en vigueur dans certaines conditions.

Même lorsque la fiscalité des successions de droit commun trouve à s’appliquer, l’absence de titres de propriété, qui résulte de l’absence de déclarations de succession pendant deux siècles et qui subsiste malgré des incitations fiscales temporaires au partage formel des biens (exonération de droit de partage), reste en pratique un obstacle important à son application.

2)    Le recouvrement de l’impôt

Les taux de recouvrement amiable des impôts dans les deux départements corses sont parmi les plus faibles de France. S’agissant des particuliers, les taux y étaient de 96,8 % et 96,5 % contre une moyenne de 98,7 % en métropole sur les années 2010 à 2014. S’agissant des professionnels, ils y étaient de 92,4 % et 91,0 % contre une moyenne de 97,5 %. Les taux de recouvrement « forcé » sont aussi mauvais.

Un rapport de la Cour des comptes de 2017 sur la gestion de la fiscalité directe locale par la DGFIP montre que les taux de recouvrement de la taxe d’habitation sont de 96,8 % et 97,6 % dans les départements corses pour une moyenne nationale de 98,4 %, mais celle-ci est tirée vers le bas par les départements d’Outre-mer où, sauf à La Réunion, ces taux sont inférieurs à 90 %. De même, les taux de recouvrement des taxes foncières sont de 96,9 % et 98,1 % en Corse pour une moyenne nationale de 98,8 % tirée vers le bas par les départements d’Outre-mer autres que La Réunion.

Dans la plupart des cas, les taux de recouvrement dans les départements corses sont les plus faibles de métropole mais restent supérieurs à ceux des départements d’Outre-mer.

3)    Le contrôle de l’impôt

Les contrôles fiscaux sont d’abord « sur pièces » ou « du bureau »[2]. Ils s’appuient alors sur les déclarations du contribuable, les informations publiques et des informations ponctuelles obtenues de tierces personnes comme les établissements financiers. Les contribuables n’en sont informés que si l’administration les interroge ou leur notifie un redressement.

Ils peuvent également prendre la forme de contrôles fiscaux « externes » ou « sur place »[3] : « vérifications de comptabilité » pour les entreprises et « examens de situation fiscale personnelle » pour les ménages. Ces contrôles, qui portent sur l’ensemble des revenus et du patrimoine ainsi que sur tous les impôts, sont strictement codifiés, de sorte à protéger les droits du contribuable qui en est obligatoirement informé, et les services fiscaux peuvent se faire communiquer beaucoup d’informations dans ce cadre. Les vérificateurs se rendent généralement sur place dans les entreprises mais les entretiens avec les particuliers se tiennent le plus souvent dans les locaux de l’administration.

Le référé de 2016 de la Cour des comptes observe que la fréquence et le rendement des contrôles sur pièces sont plus élevés en Corse que dans la moyenne des départements. S’agissant par exemple de l’impôt sur le revenu, ces contrôles concernent 5,3 % des contribuables en Haute-Corse pour une moyenne nationale de 3,7 %. S’agissant de la TVA, ils concernent 4,3 % des redevables en Corse-du-Sud pour une moyenne nationale de 1,8 %. La fréquence de ces contrôles sur pièces est une conséquence du faible respect spontané des obligations déclaratives et ils consistent souvent à constater l’absence de « pièces » et à relancer le contribuable défaillant.

En revanche, les contrôles externes sont beaucoup moins fréquents. Les probabilités de contrôle des entreprises dans les deux départements corses sont inférieures de 39 % et 45 % à la moyenne nationale.

[1]Administrateur général des départements de Corse nommé par le Premier Consul.

[2]Ces deux expressions ayant la même signification.

[3]Ces deux expressions ayant la même signification.

Cet article a été initialement publié sur le site Fipeco

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