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Perte de poids, musculation, énergisants : le grand risque de l’utilisation de compléments alimentaires chez les jeunes
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Santé

Une étude réalisée par l'École de santé publique de Harvard et publiée dans le Journal of Adolescent Health a révélé les effets nocifs des compléments alimentaires sur les enfants, les adolescents et les jeunes adultes.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Pourquoi les produits vendus pour la perte de poids, le renforcement musculaire et énergétique augmentent-ils les risques d'événements médicaux graves chez ceux qui en ont l'usage (convulsions, pertes de conscience, invalidité) ?

Stéphane Gayet : Le dossier des compléments alimentaires est un sujet explosif. C'est aujourd'hui une niche industrielle et commerciale soigneusement protégée sur les plans législatif et réglementaire par les pressions et les interventions de tous les lobbies qui ont intérêt à ce que cette aubaine juridique soit maintenue. On constate que la situation est assez semblable dans plusieurs pays industrialisés, ce qui fait penser à une organisation mondiale efficace et lucrative.

Que sont exactement les produits labellisés "compléments alimentaires" ?

Les compléments alimentaires sont réglementairement "des denrées alimentaires dont le but est de compléter un régime alimentaire normal et constituant une source concentrée de nutriments (minéraux ou vitamines) ou d'autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique seuls ou combinés". Ils peuvent contenir des plantes ou extraits de plantes (arrêté du 24 juin 2014). Ces produits sont destinés à être pris par voie orale et sont conditionnés en doses sous forme de comprimés, gélules, pastilles, sachets de poudre, ampoules…
Cette définition issue de la directive 2002-46-CE du Parlement européen a été transposée en droit français par le décret n° 2006-352 du 20 mars 2006.
L'expression "source concentrée de … substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique seuls ou combinés" est très permissive. La phrase "Ils peuvent contenir des plantes ou extraits de plantes" laisse la possibilité qu'ils contiennent aussi des substances d'autre origine…

Avec cette définition réglementaire imprécise, on peut y mettre bien des substances actives

Comme on le voit, ce texte réglementaire permet diverses interprétations et laisse la possibilité de nombreux abus.

Etant donné que les compléments alimentaires sont labellisés "denrées alimentaires", ils relèvent en pratique de l'autorité du ministère chargé de l'agriculture et non pas de celui chargé de la santé. Ce qui signifie qu'ils ne sont pas classés parmi les médicaments, alors que la plupart d'entre eux contient des substances pharmacologiquement actives. Cette notion de substance "pharmacologiquement active" nécessite une explication. Car, dans le texte de l'arrêté, il est écrit "ayant un effet nutritionnel ou physiologique…" : en principe, cette mention devrait exclure les effets pharmacologiques. Prenons le cas de la caféine : c'est une substance qui a des effets importants sur le corps (elle stimule l'éveil, l'attention et la concentration ; elle accélère le pouls, augmente la production d'urine…) ; la caféine est présente dans environ une soixantaine de plantes différentes, dont le café, le thé et le cacao ; il est recommandé de ne pas prendre plus de trois tasses de café par jour (soit environ 450 mg de caféine) ; or, de plus en plus de compléments alimentaires sont riches en caféine, ce qui a pour effet d'atteindre une concentration pharmacologiquement active dans le corps et non plus physiologiquement active (il faut préciser ici que la caféine est utilisée en thérapeutique, notamment, comme stimulant chez les insuffisants respiratoires chroniques et comme anti-migraineux). Evidemment, cette notion "d'effet physiologique" est discutable pour la caféine qui n'est pas une substance dont le corps a besoin de façon physiologique ; en revanche, elle est ne l'est pas du tout pour la vitamine C qui est une substance possédant, comme la caféine, des propriétés stimulantes et excitantes ; et la vitamine C est justement présente dans de nombreux compléments alimentaires et à forte dose.

Alors, quelles substances peuvent contenir les compléments alimentaires ?

Comme nous l'avons dit, c'est une véritable aubaine. En pratique, le marché des compléments alimentaires croît de façon exponentielle : c'est un secteur très dynamique. On l'aura compris, ce label de "complément alimentaire" est l'occasion en réalité de commercialiser toute une kyrielle de substances actives qui peuvent se révéler perturbantes et même délétères. La plupart des substances proviennent de plantes ; mais que l'on ne s'y trompe pas, tous les médicaments ou presque sont initialement issus de plantes ; cependant, prises de façon répétée et en grande quantité, ces substances peuvent devenir facilement toxiques et parfois très dangereuses. Il est en effet naïf de penser que, dès l'instant où une substance provient d'une plante, elle est moins toxique et moins dangereuse qu'un "médicament chimique" : c'est du pareil au même.

La strychnine, la colchicine, la ricine, le curare, la quinine, la belladone… sont des plantes ou des substances que l'on extrait de plantes et qui ont des effets, soit thérapeutiques, soit mortels selon la dose à laquelle on les administre.

Plusieurs extraits de plantes sont très en vogue : le ginseng, le guarana, le gingembre, l'acérola et la spiruline (algue bleue) figurent parmi les plus fréquemment incorporés dans les compléments alimentaires. Les produits élaborés par les abeilles ont eux aussi un grand succès, comme le miel, la gelée royale ou encore la propolis. Sans parler des vitamines A, C et D qui ont elles aussi des effets physiologiques ou pharmacologiques selon leur dose. Parmi les nombreux extraits de plantes que l'on peut trouver dans les compléments alimentaires, certains peuvent avoir des effets pharmacologiques puissants dus à leur capacité de stimuler telle ou telle glande endocrine (glande qui produit et libère dans le sang une ou des hormones).

En somme, on peut, sous l'appellation de "complément alimentaire", trouver tout un éventail de substances ayant de réels effets pharmacologiques et qui peuvent bien sûr se révéler toxiques et mêmes très dangereuses dans le cadre d'une vraie automédication anarchique (il faut bien appeler les choses par leur nom).

C'est pourquoi les compléments alimentaires sont très étudiés par les autorités qui s'occupent de la réglementation anti-dopage dans le sport de compétition : plusieurs guides sont disponibles sur le sujet ; en effet, de nombreux compléments alimentaires peuvent positiver les contrôles anti-dopage. Les pharmaciens sont bien avertis de cette question.

Les accidents médicaux liés à la prise de compléments alimentaires

L'étude citée en référence a été réalisée par l’École de santé publique TH Chanvard de Harvard : elle a révélé des centaines de cas d’enfants et d'adultes jeunes, devenus sévèrement malades suite à la consommation de compléments alimentaires. Les buts qu'ils poursuivaient avec la prise ces produits étaient essentiellement : une perte de poids, un gain d'énergie, une virilisation, ou encore une augmentation de leur masse musculaire.

L'étude publiée dans le Journal of Adolescent Health a conclu au fait que, en comparaison des simples vitamines, beaucoup de ces compléments alimentaires représentaient une multiplication par trois du risque d'événement médical grave. Cette enquête a notamment examiné les documents fournis à la Food and drug administation (FDA) de janvier 2004 à avril 2015, étant donné que la FDA est aux Etats-unis d'Amérique l'autorité compétente pour ces produits.

Les événements médicaux graves étaient des convulsions, paralysies, pertes de connaissance et comas, traumatismes plus ou moins sévères, pertes de l'usage d'un membre, troubles du développement corporel ou même des décès. Ce sont 977 cas d'événements indésirables qui ont été recensés par l'étude, dont 40 % considérés comme vraiment graves ; cependant, ces cas avérés n'étaient probablement que la partie émergée de l'iceberg, car la plupart des événements médicaux en rapport avec la prise de compléments alimentaires n'étaient pas reconnus comme tels et par voie de conséquence pas signalés.

Selon cette étude, les accidents seraient dus à des surdosages ou à la présence accidentelle de substances non signalées, en raison d'une mauvaise qualité de fabrication (ce ne sont pas des médicaments).

L'étude conclut en recommandant de modifier la législation et la réglementation, qui à ce jour protègent les compléments alimentaires. Il est clair qu'une telle évolution sera nécessaire également en France (en Europe). L'étude va même jusqu'à déconseiller ces produits, surtout aux sujets jeunes.

En quoi les personnes les plus susceptibles d'avoir recours à des compléments alimentaires (adolescents et jeunes hommes) sont-elles aussi les plus vulnérables face aux effets secondaires de ces produits ?

Les enfants, les pré-adolescents et les adolescents sont particulièrement vulnérables vis-à-vis de ces produits, étant donné que leur corps est en développement. Nous avons vu que certains compléments alimentaires pouvaient avoir une ou des actions hormonales, ce qui constitue un réel danger pendant le développement pubertaire. La maturation du cerveau peut également en être affectée, car plusieurs substances sont potentiellement neurotoxiques.

C'est encore plus vrai chez la femme enceinte, évidemment.

Très honnêtement, la prise non encadrée de ces produits revient à une forme d'automédication dangereuse, surtout chez sujets vulnérables.

Il est tout à fait clair que cette tendance populaire à prendre des compléments alimentaires à effet améliorant, procède du mouvement sociétal occidental consistant à chercher par divers moyens à accroître ses performances dans pratiquement tous les domaines. C'est le fait de s'acharner à vouloir augmenter le corps humain : l'obsession de "l'homme augmenté". Etre toujours plus rapide, plus imaginatif, plus fort, plus endurant, plus attractif, plus… 

L’étude de Harvard recommande d’abroger ou de réviser la loi fédérale qui empêche les suppléments de faire l’objet d’une réglementation plus rigoureuse. Peut-on rendre les compléments alimentaires moins dangereux pour la santé ? Sinon, comment réglementer leur usage ?

Les groupes industriels et commerciaux qui sont sur ce marché des compléments alimentaires ont tout intérêt à ce que la législation et la réglementation ne changent pas, en raison de sa permissivité actuelle qui leur rend bien service.

De toute façon, ne nous y trompons pas : si une évolution réglementaire s'effectue, elle restera sans doute modérée et ces groupes industriels trouveront le moyen de s'en accommoder.

Seule, une loi portant sur le sujet pourrait faire changer les choses, mais ce n'est pas dans l'air du temps. Les compléments alimentaires ne relèvent pas exactement du ministère chargé de la santé, qui de plus a déjà beaucoup à faire actuellement. Les mesures de prévention souhaitables sont : un encadrement réglementaire et des contrôles stricts de fabrication – avec cependant pour effet d'augmenter le coût des produits ; des recommandations officielles, d'une part sur les personnes à risque élevé d'effets toxiques, d'autre part sur les doses à ne pas dépasser. Mais c'est véritablement un marché fort lucratif et donc très protégé.

Existe-t-il une alternative pour les personnes qui souhaitent pallier une insuffisance musculaire ou énergétique ?

Pour améliorer sa santé et ses performances, le mieux est d'adopter une vie saine : dormir suffisamment sans tricher avec ses besoins en sommeil et en se levant si possible à heure fixe ; manger au moins cinq fruits et légumes frais par jour et si possible crus ou peu cuits ; avoir une faible consommation de viandes et de graisses animales ; ne pas fumer ; ne boire que très peu (ou pas du tout) d'alcool ; faire régulièrement de l'exercice physique, en souffrant au moins un peu (il faut forcer un minimum, ce qui se traduit par une transpiration et un essoufflement).

A côté de la dimension "vie saine", on peut bien sûr prendre quelques compléments alimentaires ; mais en les achetant en pharmacie, en suivant les conseils du pharmacien et les recommandations imprimées. Les compléments alimentaires ne doivent pas être pris en continu, mais par périodes ou "cures". Il est souhaitable d'en parler à son médecin traitant, qui est en mesure d'apporter un éclairage complémentaire de celui du pharmacien.

Attention aux compléments alimentaires achetés dans la grande distribution et surtout sur un site internet commercial : les risques de contrefaçon, de concentration mensongère et de présence de substances toxiques sont très élevés.

Bien entendu, c'est en forgeant que l'on devient forgeron : pour augmenter sa force et son volume musculaires, il est clair que l'on doive faire des exercices très régulièrement et avec suffisamment d'intensité ; à ce jour, les salles de musculation font florès et depuis plusieurs années déjà ; mais certains préfèrent s'équiper d'appareils d'entraînement pour le domicile (cycles fixes, rameurs…).

Toutefois, quand on a un corps comme celui de Stan Laurel, on accède avec bien du mal à un corps comme celui d'Arnold Schwarzenegger ; encore qu'il faudrait savoir ce que ce dernier était avant de commencer le culturisme… (on pourrait être surpris).

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