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Parfum d’ancien régime :  ces aspirants aristocrates qui se cachent derrière les sauveurs auto-proclamés de la planète et de la démocratie libérale
©BERTRAND GUAY / AFP

Renoncer à l’avion et se serrer la ceinture, c’est bon pour les autres

Certaines élites entretiennent le fantasme d’un retour à un monde d’aristocrates où les puissants peuvent continuer à vivre comme avant, tout en demandant au peuple de s'adapter.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : La tête de liste aux européennes et porte-parole du Parti Communiste Français Ian Brossat a déclaré lors de l'Emission politique : "Un Paris/New-York, c'est un an de chauffage d'une famille. Il faut absolument dissuader les voyages en avion." On l'a cependant épinglé sur les réseaux sociaux sur lesquels il affichait un certain nombre de voyages à l'étranger nécessitant bien entendu de prendre l'avion. Brossat avait par ailleurs utilisé cette formule pour s'en prendre à Arielle Dombasle qui avait lancé un appel écologique dans une vidéo prise dans un avion. Comment expliquer ce genre de contradictions flagrantes chez nos élites ? 

Edouard Husson : Ian Brossat représente un parti où un tel phénomène est classique. La nomenklatura communiste se réservait, en Union Soviétique, tous les avantages qu’elle refusait au reste de la population. Ce n’est pas un phénomène limité au communisme; ce sont toutes les idéologies modernes qui sont concernées. Voltaire était obsédé par l’argent, tout en accusant l’Eglise d’être cupide. Rousseau, grand théoricien de l’éducation, a fait abandonner par sa concubine les enfants qu’ils avaient eu ensemble. 

Regardez comment l’on organise des sommets pour sauver la planète où tout le monde se rend en se déplaçant en avion. C’est risible mais nous n’avons pas le droit d’en rire. Tous ces sommets relèvent du même planisme que l’organisation économique de feu l’Union Soviétique: on fixe des objectifs a priori. On ne les atteint pas donc on fixe de nouveaux objectifs. C’est en Occident que l’on a fait le plus pour la classe ouvrière; mais l’Union Soviétique se voulait le paradis des travailleurs. De même, c’est au niveau local que se met en place une économie vraiment propre. Pourtant, hier, lorsque l’un des candidats a fait l’éloge d’une écologie envisagée du point de vue local, Yannick Jadot, tête de liste des Verts, s’est comporté en inquisiteur, demandant au candidat en question: « Adhérez-vous à la thèse du réchauffement climatique? ». Le bûcher n’était pas loin. On a affaire à une structure mentale, qui est celle de l’idéologue moderne. Et je vous propose de ne pas mêler à cela la légèreté d’Arielle Dombasle. 

N'y a-t-il pas une forme de fantasme progressiste d'un retour à un monde d'aristocrate où les élites pourraient continuer à vivre comme avant, tout en demandant au peuple de s'adapter ? Nos élites progressistes sont-elles celles qui paradoxalement ont des pulsions d'Ancien régime ?

La gauche est éminemment réactionnaire, elle l’est constitutivement. Voltaire ou Gibbon sont obsédés par le retour au monde d’avant le christianisme. Rousseau, lui, veut revenir carrément au monde d’avant la civilisation. Parmi les grandes catégories anti-historiques que Raoul Girardet a repérées, nous avons affaire, en l’occurrence, au mythe de « l’âge d’or ». La gauche veut toujours revenir à un âge d’or. C’est le paradis rousseauiste, le monde d’avant sa perversion par l’instinct de propriété; c’est le paradis communiste d’autrefois; et le paradis vert d’aujourd’hui. En fait, ce sont des enfers que projettent tojours ces utopistes. Rousseau a déclenché la destruction de ce monde fragile et raffiné à la fois qu’était la monarchie française de Louis XV et Louis XVI. Le communisme a tué l’économie. Le nazisme voulait rétablir le droit du plus fort. On peut dire la même chose de l’européisme: alors que les nations démocratiques sont des réalités complexes et évoluées, l’Union Européenne entend nous ramener à un stade antérieur aux nations. 

Cécile Philippe ou Yascha Mounk ont relevé la montée d'une forme de rejets de la démocratie chez les jeunes diplômés occidentaux et chez les élites, qui privilégient le libéral au détriment du démocratique. Comment expliquer cette crainte de la démocratie voire cette tendance à défendre une forme plus censitaire de gouvernance chez ces catégories de population ?

Ces auteurs redécouvrent ce que Michael Young avait vu dès les années 1950: l’accès à un nouveau palier éducatif (en l’occurrence l’enseignement supérieur) crée une minorité de nouveaux diplômés qui tendent à se différencier de ceux qui ne sont pas allés plus loin que l’enseignement secondaire. Mais il faut aller plus loin que ne le font Cécile Philippe ou Yasha Mounk: ce n’est pas seulement que les jeunes diplômés du supérieur préfèrent le régime des experts à la démocratie: cette dernière - la crise des Gilets Jaunes le montre - est un bien précieux aux yeux de tous les « sédentaires » (les « somewheres »); parler de démocratie illibérale ou de « foule haineuse » est profondément injuste car les classes moyennes et populaires peu diplômées sont aujourd’hui les  piliers de la démocratie; tandis que les diplômés du supérieur plébiscitent un régime des experts et des réseaux transnationaux. Puisque nous sommes dans le rétablissement de l’incorrection politique qui sied à la démocratie, on remarquera que les militants d’extrême gauche type « bloc noir » ou « antifa » appartiennent plutôt aux classes moyennes qui ont accès à l’enseignement supérieur. Ils n’aiment pas, eux non plus, la démocratie.  

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