Les origines du modèle économique allemand : deux traumatismes monétaires et la création du deutsche mark dans la douleur<!-- --> | Atlantico.fr
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La création du deutsche mark s'est fait dans la douleur. Socialement, ce fut un carnage.
La création du deutsche mark s'est fait dans la douleur. Socialement, ce fut un carnage.
©Reuters

Généalogie économique

Nombreux sont les observateurs en tout genre à parler sans cesse du « modèle économique allemand » assis sur l’offre, la production, l’investissement et les exportations... Des réformes de Gerhard Schröder et des lois Hartz qui ont mis ce modèle en orbite... Mais d'où vient-il ?

Isabelle  Mouilleseaux

Isabelle Mouilleseaux

Isabelle Mouilleseaux est directrice de publications chez Publications Agora.

Elle a notamment co-écrit Le déclin du Dollar : une aubaine pour vos investissements ? (Valor, 2008).

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Les observateurs en tout genre nous parlent sans cesse du « modèle économique allemand » assis sur l’offre, la production, l’investissement et les exportations… Des réformes de Gerhard Schröder et des lois Hartz qui ont mis ce modèle en orbite…. Mais très rares sont ceux qui connaissent l’origine de ce modèle de croissance. Or pour l’appréhender, et comprendre bien des positions allemandes aujourd’hui, il nous faut comprendre d’où il vient.

La création du deutsche mark se fera dans la douleur...

Après la guerre 1939 - 45, l’Allemagne est détruite, ruinée, à genoux, humiliée et occupée. Mais elle a un homme extraordinaire à sa tête : Ludwig Erhard. Et sa première mesure, extrêmement courageuse, sera de créer une nouvelle monnaie, le deutsche mark. Le reichsmark a vu sa masse monétaire flamber et l’inflation fait rage. Changer de monnaie est un moyen de repartir sur des bases saines ET de faire « table rase » du passé (dans tous les sens du terme).

La création du deutsche mark se fait donc dans la douleur. Socialement, c’est un carnage. Les Allemands voient la valeur de leurs économies divisée par 10 du jour au lendemain.

Ne s’en sortiront que ceux qui ont des biens physiques : du vrai, du dur, du solide… pas du papier. Ceux qui ont des biens meubles (immobilier, outils industriel et de production). Et encore... Le patrimoine immobilier et entrepreneurial familial a été rasé (dans la Dresde notamment).

Les Allemands ont donc connu deux traumatismes monétaires majeurs

  • Weimar et son hyperinflation ;
  • La création du deutsche mark et sa spoliation à grande échelle.

Par deux fois, ils ont tout perdu à cause de la monnaie papier. Là sont les racines de l’irréductible orthodoxie monétaire des Allemands. Pour eux, manipulation de la monnaie papier = inflation = spoliation.

Voilà pourquoi la stabilité monétaire devient le cœur du système allemand. Avec la création de la Bundesbank (Banque centrale allemande) totalement indépendante du politique, qui a pour vocation de préserver la valeur de la monnaie.

Faute de consommateurs, misons sur l’entrepreneur…

A ce stade, Erhard ne pouvait pas s’appuyer sur les consommateurs, littéralement trucidés. Il ne pouvait s’appuyer que sur les entrepreneurs et leurs outils de production pour reconstruire le pays.

Là sont les racines du modèle économique allemand. Voilà comment l’Allemagne met au cœur de son « business modèle » l’entreprise, l’investissement, la monnaie et une politique de l’offre.

La stabilité monétaire a permis de créer un « terrain favorable » à l’épanouissement des entreprises, et à l’investissement long terme. Pourtant, un mark fort est un « désavantage compétitif » pour l’entreprise exportatrice, me direz-vous. Regardez ce qui se passe au Japon ou en Suisse en ce moment même…

Les Allemands assument ce choix : les entreprises iront donc chercherailleurs les éléments de productivité nécessaires à leur compétitivité mis à mal par une monnaie forte (qualité des produits, image de marque, activités niches à fort pricing power et valeur ajoutée…). Ces fameux éléments qui nous manquent et dont on parle tant en France…

Des libertés et des responsabilités, des droits et des devoirs

N’avez-vous jamais entendu parler de sociale démocratie et d’économie sociale de marché pour qualifier l’Allemagne et son économie.

Culturellement, la société allemande est structurée autour de deux piliers :

  • Le droit de propriété et la liberté. La liberté de créer, d’entreprendre, de choisir, de consommer…
  • Et l’exigence de l’intérêt collectif, la volonté de faire progresser la communauté. Exigence qui remonte fort loin : n’oubliez pas que c’est Bismarck qui est à l’origine de la sécurité sociale. Dès 1893, il instaure une assurance maladie et vieillesse obligatoire pour les faibles revenus, financée par des cotisations sociales.


Ainsi, les droits très individualistes dont bénéficient les entreprises sont puissamment contrebalancés par des devoirs d’œuvrer pour le bien de la communauté. C’est d’ailleurs gravé dans la Constitution.

L’entreprise allemande doit partager ses fruits de sa réussite avec sa communauté, en l’occurrence ses salariés. Finalement, n’est-ce pas ce que fait Volkswagen lorsque l’entreprise reverse sous forme de primes à ses salariés 10% de ses bénéfices ? Ou Porsche qui vient de verser une prime de 7 500 euros par salarié ?

L’entreprise est donc considérée comme un outil privé de création de richesses, qui a des responsabilités sociales et collectives assumées. En soutenant l’entreprise, on enrichi la communauté. C’est ça le modèle allemand.

Un modèle est « intelligent »

L’entreprise est perçue comme une entité économique et sociale à part entière (contrairement à la France où elle est perçue comme un lieu de confrontation).

L’instauration de la cogestion au travers duquel les salariés sont associés de près à la gouvernance des entreprises en atteste. Dans les ETI (entreprises de taille intermédiaire) et grandes entreprises, ils détiennent 1/3 des sièges du conseil de surveillance. Les salariés ainsi associés à l’entreprise comprennent mieux les enjeux et les contraintes de leur entreprise. Ce qui rend plus faciles les concessions nécessaires en cas de choc exogènes (en 2008 les salariés se sont serrés la ceinture, toujours à charge de revanche dès meilleure fortune).

Autre élément puissant qui rend le modèle « intelligent », le dialogue social qui est extrêmement puissant et équilibré dans les entreprises, apolitique et assis sur le consensus.

Cogestion et syndicats puissants et consensuels sont au cœur des entreprises un contre-pouvoir efficace pour rappeler aux entrepreneurs que l’intérêt collectif ne doit jamais être oublié.

Les exportations sont à l’Allemagne ce que les dépenses publiques sont à la France

A savoir un vecteur de croissance du PIB. Très vite, dès l’après guerre, l’Allemagne restaure son industrie et repart à la conquête des marchés internationaux, dégage une balance commerciale excédentaire, source de richesses pour le pays. Ce modèle productif et exportateur est donc bien une constante.

N’oubliez pas non plus que le côté « exportateur » des Allemands est une vraie spécificité. Et pas seulement parce que les Allemands sont polyglottes… Rappelez-vous de la Weltpolitik sous Guillaume II et la devise de Bismarck : « Le marchand doit précéder le soldat ». 

Le modèle allemand affiche une santé insolente. Mais pour combien de temps ?

Sa population vieillie et décroît. Les seniors épargnent plus qu’ils ne consomment. Ses partenaires européens endettés entrent en crise…

Alors ses entreprises vont chercher la croissance chez les émergents, qui apprécient le Made inGermany et ont besoin de machines-outils pour faire leurs « Trente Glorieuses ».

Pour l’instant, cela marche… Mais quelle est la prochaine étape ? Comment construire une Europe forte et intégrée ?

Une vraie puissance capable de protéger ses habitants et entreprises, tout en rivalisant en tous points avec ses concurrents : États-Unis, Japon, Asie, Amérique latine et Chine.



A lire notamment sur le modèle économique allemand, le livre « France - Allemagne, l’heure de vérité ».

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