Mutation idéologique : comment la culture des minorités est devenue le leitmotiv d’une gauche en deuil de révolution<!-- --> | Atlantico.fr
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Un slogan révolutionnaire sur les murs de la Sorbonne lors de la période de Mai 1968.
Un slogan révolutionnaire sur les murs de la Sorbonne lors de la période de Mai 1968.
©AFP

Bonnes feuilles

Paul-François Paoli publie « Race, sexe, identité : la France en procès » chez Jean-Cyrille Godefroy éditions. Les valeurs de la République dont se réclame le président Macron forment une ligne Maginot qui n’est plus en mesure de barrer la route à une subversion qui prétend délégitimer notre histoire et ce qui reste de notre civilisation. Extrait 2/2.

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

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Chacun sait, s’il fait un effort de mémoire, que l’antiracisme est devenu un leitmotiv dans les années 80 (notamment avec SOS racisme) quand la gauche au pouvoir a rompu avec le corpus idéologique de la lutte des classes qui était le sien depuis le xixe siècle. À quoi bon un positionnement de classe puisque la classe ouvrière n’était plus une force motrice ? À quoi bon mettre en cause une bourgeoisie convertie aux canons du libéralisme culturel ? À quoi bon, même, vouloir rompre avec un capitalisme perçu comme une puissance dynamique créative ? Souvenons-nous du fameux « Vive la crise » de l’ancien communiste Yves Montand chez Anne Sinclair ou de la « mondialisation heureuse » d’Alain Minc. C’est tout le lexique du camp progressiste qui change dans les années 80, après la ringardisation d’un Parti communiste français resté ouvriériste et de fait popu liste dont le patron, G. Marchais, était plus que réticent à l’immigration en 1981.

Ce basculement a été analysé par des esprits aussi différents et affinés que Marcel Gauchet ou Jean Claude Michéa, il n’est nul besoin d’y revenir en détail tant il est indiscutable. Ceux qui ont promu ce changement de paradigme, comme disent les socio logues, s’en réclament d’ailleurs ouvertement, à l’ins tar du Think Tank Terra Nova qui a théorisé le « grand remplacement » avant Renaud Camus. Des officines proches du Parti socialiste ont, tout simplement, tiré un trait sur un peuple ouvrier de « souche » qui n’était plus, à leurs yeux, promoteur de modernité. Les promoteurs de la modernité étaient les « jeunes », les femmes et ces populations issues de l’immigration qui allaient « défranchouillardiser » la France, car ce choix fut conscient, comme l’a montré le journaliste du Nouvel Observateur, Hervé Algalarondo dans La gauche et la préférence immigrée1 . Celui-ci écrivait : « C’est à un véritable changement de peuple qu’a procédé la gauche bobo depuis Mai 68. Hier elle était pleine de sollicitude pour la classe ouvrière censée détenir selon Marx les clés de la société future. Aujourd’hui elle manifeste une préférence immigrée dans les catégories populaires, ce sont les enfants des anciens peuples colonisés qui trouvent désormais grâce à ses yeux. »

On n’est jamais mieux desservi que par soi-même ! Il fallait en finir avec le prétendu « pétainisme » latent (théorie dont le triste article de Philippe Sollers dans le journal Le Monde et intitulé « La France moisie » a été une des illustrations en 1999) d’un pays soi-disant xénophobe qui avait néanmoins accueilli des millions d’étrangers. Cette intelligentsia sophistiquée a illustré une perversion très française : l’aversion pour un peuple indigne d’elle et la prédilection pour les expériences politiques lointaines, la Russie soviétique du temps de Staline ou la Chine maoïste des années 70, censées incarner des idéaux universalistes révolutionnaires dont la France de Pompidou n’était plus digne. La Russie soviétique de Staline, la Chine de Mao ou l’Algérie de Boumediene ne se réclamaient-elles pas de la Révolution française et des mânes de Victor Hugo ?

Cette fascination aura duré jusque dans les années 80, époque où l’illusion révolutionnaire n’est plus tenable. Simon Leys, le grand démystificateur du maoïsme et Soljenitsyne, le destructeur du men songe soviétique, sont passés par là. Être marxiste-léniniste durant la révolution culturelle chinoise est très couru à l’École Normale de la rue d’Ulm où l’on voit les groupes maoïstes se multiplier. Citons quelques noms qui ont essaimé dans le monde intellectuel jusqu’à aujourd’hui : André Glucksmann, Olivier Rollin, Benny Levy, Jean Claude Milner et le plus célèbre d’entre eux qui n’a jamais varié de position, Alain Badiou. Excepté Badiou, tous rompent avec le marxisme à partir des révélations de Soljenitsyne. Révélations qui n’en étaient pas pour tous, car il y avait longtemps que ces réalités étaient avérées pour ceux qui acceptaient d’ouvrir les yeux. Exit donc le moment révolutionnaire. Après Soljenitsyne l’homme qui fera le plus de tort à la gauche en France est François Furet dont le grand livre paru en 1974, Penser la Révolution française va sonner le glas du jacobinisme révolutionnaire (dans Le Siècle [2005, Seuil] Alain Badiou ne s’y trompe pas qui accable le traître Glucksmann et le libéral Furet de tous les reproches). Soljenitsyne et Furet sont les deux grands tombeurs de l’idée communiste en France. Ils ont été les fossoyeurs du communisme français sous ses diverses versions : stalinienne, maoïste, trotskiste.

Voilà donc les intellectuels de gauche en deuil d’idéal. L’Intellectuel n’est-il pas le double laïc du prêtre d’antan ? Sartre aura été le champion tous terrain de cette posture vieillie. Mai 68 sera son dernier acte avec la pathétique exhibition devant Renault Billancourt qui met en scène un homme qui, debout sur un tonneau, parle dans le vide devant des ouvriers qui ne le comprennent pas.

Mais le paradoxe est que ce ne fut pas Aron, son ennemi gémellaire, qui fut le tombeur de Sartre. Celui qui « avait mis son fauteuil dans le sens de l’histoire » (Camus) allait voir flétrir son influence sous les coups d’un penseur qui ne le cite jamais : Michel Foucault. Celui-ci, en quelques livres et déclarations allait détrôner Sartre de manière paradoxale, non en s’inscrivant en faux contre ses combats, mais en expliquant que la figure méta-religieuse de l’Intellectuel était périmée, tout simplement. Le temps où celui-ci s’érigeait en mentor et en guide de la raison historique était révolu. Camus, Sartre et Malraux restaient des figures. Mais plus personne ne pouvait se substituer aux « opprimés » ou aux « dominés » pour leur indiquer la marche à suivre. Le moment était venu pour la gauche de l’admettre et de le comprendre. La posture révolutionnaire n’avait plus d’avenir.

Terrible déni ! Car, depuis l’affaire Dreyfus, l’intellectuel français est bel et bien celui qui annonce la Vérité et combat pour la Justice. L’intellectuel français cherche des causes où s’illustrer, comme la nuée l’orage. Aff aire Dreyfus, Front populaire, Résistance et collaboration, Staline et l’URSS, la guerre d’Algérie, le maoïsme chinois, etc. Les causes passent et tré passent quand l’intellectuel reste, inamovible statue du commandeur dans un monde qui ne lui obéit plus. Un demi-siècle durant, depuis le congrès de Tours du PCF à Mai 68, un prolétariat au statut mythique a été la nourriture fantasmatique de l’intellectuel de gauche, socialiste, communiste, trotskyste puis maoïste. Non pas le prolétaire réel, bien sûr que l’on connaît peu – moins on le connaît et plus on l’aime – mais le prolétaire idéal qui vous rachète d’être un bourgeois, petit, moyen ou grand. Comme le disait Napoléon : « en amour comme à la guerre, pour en finir il faut se voir de près ». Ce qui arriva en Mai 68 quand les petits bourgeois échevelés du Quartier latin sont partis à la rencontre des ouvriers réels de Boulogne-Billancourt, la citadelle de la CGT. Ils ont déchanté aussi tôt, après avoir chanté à tue-tête L’Internationale en chemin. Après des nuits sans sommeil, la douche glaciale du petit jour est toujours navrante. Le Réel, ce rabat-joie. L’ouvrier qui rêvait, comme le petit bourgeois, de partir sur les autoroutes bondées du sud de la France, avait cessé d’être sexy. De cette absence de rencontre historique entre les ouvriers et les rejetons de la bourgeoisie, la gauche ne s’est jamais remise. Le choc fut plus que violent, irrémédiable. C’est un peu comme si les premiers chrétiens avaient méprisé les esclaves antiques dont ils proclamaient le droit à la dignité humaine.

Extrait du livre de Paul-François Paoli, « Race, sexe, identité : la France en procès », publié chez Jean-Cyrille Godefroy éditions

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