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Une photo prise le 25 juillet 2016 à la base de l'armée et au centre de commandement du plan français antiterroriste "Vigipirate", baptisé "Opération Sentinelle", au fort de Vincennes.
Une photo prise le 25 juillet 2016 à la base de l'armée et au centre de commandement du plan français antiterroriste "Vigipirate", baptisé "Opération Sentinelle", au fort de Vincennes.
©IAN LANGSDON / PISCINE / AFP

Procès des attentats du 13 novembre 

Alors qu’Al-Qaeda a désigné l’Hexagone comme cible prioritaire dans ses deux dernières vidéos et que de nombreux djihadistes passés par la Syrie sont rentrés, les dysfonctionnements de la lutte anti-terroriste identifiés après le 13 novembre ont été corrigés. Mais pas tous.

Pierre Conesa

Pierre Conesa

Pierre Conesa est agrégé d’Histoire, énarque. Il a longtemps été haut fonctionnaire au ministère de la Défense. Il est l’auteur de nombreux articles dans le Monde diplomatique et de livres.

Parmi ses ouvrages publiés récemment, Docteur Saoud et Mister Djihad : la diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite, Robert Laffont, 2016, Le lobby saoudien en France : Comment vendre un pays invendable, Denoël, Vendre la guerre : Le complexe militaro-intellectuel, Editions de l'Aube, 2022.

 

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Georges Fenech

Georges Fenech

Georges Fenech, ancien juge d'instruction, a présidé la commission d'enquête parlementaire consacrée aux attentats du 13 novembre 2015 et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). Son dernier livre est intitulé "L'ensauvagement de la France : la responsabilité des juges et des politiques" (2023) aux éditions du Rocher.

Il a déjà publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels Gare aux gourous (2020), mais aussi "Face aux sectes : Politique, Justice, Etat" (1999) et "Criminels récidivistes : Peut-on les laisser sortir ?" (2007).

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Atlantico : Vous avez présidé une commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015. Quels étaient selon vous les principaux dysfonctionnements du système français contre le terrorisme ?

Georges Fenech : La première question qui s’est posée est celle de la coordination et du bon partage des informations des différents services de renseignements. Nous avons estimé que les différents dispositifs de la DGSE et de la DGSI qui, en leur sein fonctionnaient bien, mais manquaient de partages d’information et de coordination de l’information. Il existait un coordinateur auprès du chef de l’Etat, Didier Le Bret, qui nous a clairement dit qu’il n’avait aucun moyen d’assumer cette coordination. Son rôle était plutôt celui d’un conseiller du président de la République. Nous avons proposé de remédier à cela en créant une agence nationale. L’idée a été mise en œuvre par Emmanuel Macron qui a crée un centre national du contre-terrorisme (CNCT), confié à Laurent Nuñez.

Le second point est un manque de coordination entre les renseignements européens. Il y a eu des loupés entre Belges et Grecs, notamment concernant la fuite d’Abdelhamid Abaaoud. Il y a eu des manquements également entre Belges et Français, lors de la fuite de Salah Abdeslam.

Concernant les protocoles d’intervention, nous avions été particulièrement interpellés par le fait que les Brigades anticriminalité (BAC), arrivées très rapidement sur les lieux, ne pouvaient pas intervenir car elles devaient attendre les forces d’élite. Il a fallu le courage du commissaire X et de son chauffeur pour enfreindre le protocole et essayer de faire quelque chose.

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De même, la force Sentinelle n’avait pas eu l’autorisation d’engager le feu. Les militaires n’avaient pas le droit d’ouvrir le feu alors que l’un des assaillants était à portée.

Par ailleurs, j’avais posé la question du choix de la BRI pour intervenir. La raison est que jusqu’alors, il y avait un critère de territorialité. Dès lors que cela se passait à Paris, le RAID devait s’effacer devant la BRI, sauf à déclencher la Force d’intervention de la police nationale (FIPN) qui aurait permis de substituer les deux corps. La BRI est composée d’un personnel valeureux mais qui est aussi formé à la recherche, à l’intervention antigangs et à dresser des PV. La FIPN avait été déclenchée pour l’Hyper Cacher.

Avez-vous le sentiment que, certains dysfonctionnements ont pu être résolus ces dernières années ?

Georges Fenech : Des réformes en profondeur ont été menées. La plupart de ces points ont été réglés par la fondation du CNCT, par l’augmentation des effectifs (environ 2000 hommes supplémentaires).  

Aujourd’hui, toutes les BAC de France sont formées par le GIGN et le RAID et en capacité d’intervenir. De même Sentinelle peut intervenir. On l’a vu à Marseille ou au Louvre.

Le critère de territorialité que je mentionnais a également été remplacé, par Bernard Cazeneuve. Cela dépend désormais de la force qui est jugée la plus en capacité d’agir et la plus proche des lieux de l’attentat. 

Pierre Conesa : Quand on regarde le nombre d'attentats déjoués (36 depuis le début du quinquennat d'Emmanuel Macron), on voit bien que notre lutte anti-terroriste s'est améliorée. Plus précisément, de 2015 à 2017, on compte 32 attentats déjoués, 4.457 perquisitions, 625 armes saisies et 19 lieux de culte fermés. Un attentat provoque un électrochoc et une volonté de lutter. Les opérations policières, si on les laisse faire, aboutissent à des résultats très probants. Il ne faut pas brider la machine policière et il faut qu'elle travaille de concert avec la machine judiciaire.

Le pression terroriste subsiste même si elle a changé de forme. En 2015, il s'agissait d'une attaque très organisée et pilotée de l'étranger. La disparition de l'Etat islamique en tant que sanctuaire territorial a changé la nature du terrorisme. La France connait aujourd'hui un terrorisme endogène. La tâche revient donc principalement à la DGSI qui a été  élevée au niveau de direction générale, sur un pied d'égalité avec la DGSE. C'est une question administrative mais qui a son importance. Elle donne plus de moyens à la DGSI et améliore la coordination avec la DGSE.

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Que reste-t-il à améliorer ? Où sont nos failles ?

Georges Fenech : Le seul point qui n’a pas été mis en œuvre dans nos préconisations est la fusion de la Direction du renseignement de la préfecture de Police de Paris (DRPP) avec la DGSI. Il existe une frontière artificielle entre la capitale et le reste du pays. Cela a entraîné des conséquences lors de l’attentat contre Charlie Hebdo et lors de celui des frères Kouachi.

En 2015, nos dispositifs dataient encore des années 1970-1980. Toutefois, certaines questions restent pendantes. C’est le cas de la sécurisation des frontières extérieures, extra-européennes. Il faut que Frontex monte en puissance, il faut éviter l’infiltration par les flux migratoires (deux des trois assaillants du Stade de France étaient passé par l’Ile de Léros). Donc sur ces points il y a encore énormément d’inquiétude et de progrès à faire. J’ajoute à cela la question des sortants de prison radicalisés. Il me semble qu’il faudrait des mesures plus sécuritaires de sûreté, après la peine, tant que ces personnes sont considérées comme dangereuses. Cela reste un angle-mort selon moi. Les Républicains ont proposé un tel dispositif, qui existe déjà notamment pour les criminels sexuels, mais il a été rejeté par la majorité.

Pierre Conesa : La faille qui subsiste selon moi, c'est la volonté politique. En 2015, le président Hollande prétend que nous sommes "en guerre" mais ne prend aucune mesure guerrière. Il ouvre un débat sur la déchéance de la nationalité, mesure qui existe déjà pour ceux qui prennent les armes contre l'armée française. Il n'avait pas besoin d'en faire un référendum, il pouvait passer simplement par voie législative.

La politique de droit d'asile est encore à revoir. Quand on crée le droit d'asile dans les années 50, tous les Occidentaux se reprochent de ne pas avoir accueilli les Juifs déclarés apatrides par Hitler. Jusqu'aux années 80, ce sont principalement des Refuznik que l'on accueille. Ce sont des gens qui luttent contre le système soviétique et qui sont des défenseurs des libertés. A partir des années 80, notre politique d'asile change de philosophie. On commence à accueillir des gens menacés de la peine de mort chez eux et ce quel que soit l'acte qu'ils aient commis. C'est comme cela qu'on a commencé à transposer le risque chez nous. On pense notamment au Londonistan en Angleterre.

Quand quelqu'un est condamné pour terrorisme, il faut que le juge prenne une mesure d'expulsion vers le pays d'origine. C'est ce que l'Angleterre a fait après les attentats de 2004 en faisant du chantage aux aides avec les pays d'origine. Enfin, on ne peut pas s'empêcher de se poser la question de l'interventionnisme occidental au Moyen-Orient, qui a été avancé comme motif par l'un des terroristes du 13 novembre.

Georges Fenech vient de publier "Bataclan, Paris, Stade de France, Le procès" aux éditions du Rocher.

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