Mathématiques et sciences à l’école : l’étrange suicide français <!-- --> | Atlantico.fr
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Des lycéens suivent un cours de mathématiques.
Des lycéens suivent un cours de mathématiques.
©Yann COATSALIOU / AFP

Effondrement du niveau

La Société Mathématique de France révèle que la réforme du lycée a réduit les effectifs scientifiques de 20% pour les garçons et de 28% pour les filles. Une étude du cabinet CMI a estimé que la valeur ajoutée des mathématiques représentait 15% du PIB français.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico : La Société Mathématique de France révèle que la réforme du lycée a réduit les effectifs scientifiques de 20% pour les garçons et de 28% pour les filles, et que les effectifs bénéficiant d'au moins 6h de maths / semaine ont baissé de 37% pour les garçons et de 61% pour les filles. Est-ce un constat surprenant ?

Pierre Bentata : La baisse du niveau en mathématiques est un effet constaté depuis plusieurs enquêtes, aussi bien PISA que TIMSS. C’est un effondrement relatif par rapport à nos voisins. Sur l’apprentissage des langues, sur le français, le constat est le même. On constate aussi une baisse du nombre d’heures de maths que les enfants ont en moyenne. C’est un effet pervers sans doute inattendu de la réforme. C’est d’autant plus problématique que nous sommes dans un système où l’on considère que ceux qui font des sciences sont les meilleurs. Mais ce n’est pas les effets de la réforme qui expliquent la baisse du niveau en maths puisque celle-ci s’inscrit sur le temps long. L’un des avantages annoncé de la réforme Blanquer était de permettre aux enfants de panacher leurs enseignements, d’associer des matières qui ne vont pas vraiment ensemble et de mieux construire leur projet. Mais cela laissait la possibilité que des matières fondamentales soient moins choisies par les étudiants, et c’est ce qu’on observe avec les mathématiques. Le paradoxe c’est que dans le même temps, nous avons un prix Nobel de physique. Il semble donc qu’on soit capable de former des très bons alors que le niveau baisse de plus en plus, un vrai paradoxe.

Quelles en sont les conséquences ?

Pour moi, les sources d’inquiétudes issues des résultats de cette réforme sont doubles. Les données montrent que les filles sont plus nombreuses à avoir arrêté les maths. Il y a une forme si ce n’est d’autocensure au moins d’autosélection des étudiants. Les garçons sont nettement plus représentés dans les matières scientifiques. Il est difficile de savoir d’où cela vient. C’est un constat que l’on retrouve un peu partout en Europe. Alors que les filles qui poursuivent dans les sciences sont au moins aussi bonnes que les garçons. L’autre problème, c’est que nos sociétés requièrent de plus en plus l’usage des mathématiques dans de nombreux aspects de la vie. Donc c’est problématique. C’est sans doute l’effet de la copie trop rapide d’un système qui fonctionne aux Etats-Unis.

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Dans quelle mesure la réforme a-t-elle été une manière cynique de gérer la pénurie de profs de maths en France ?

A mon sens, c’est avant tout une des rares tentatives de faire bouger le système. Cela fait des années que la France est à la traîne et subit un effondrement de son niveau. On en connaît les raisons : l’argent est mal alloué, on en met trop sur le secondaire et pas assez sur le primaire ; les professeurs ne sont pas assez autonomes, pas assez mis en compétition. Chaque fois qu’un ministre entre en poste, il essaie de faire changer les choses mais il se confronte au mammouth et à la menace de la grève générale. Mais il est vrai que c’est aussi peut être un moyen de gérer la pénurie. Et celle-ci ne touche pas que les mathématiques. Mais d’un point de vue économique, c’est une pénurie étrange. Nous sommes le pays qui dépense plus pour l’éducation et les résultats ne sont pas bons.

En mai dernier, il y avait plus de postes ouverts en mathématiques que d’admissibles. Comment l’expliquer ?

Aujourd’hui, pour être enseignant, il faut être très motivé. Ils ne sont plus bien payés, ils ne bénéficient plus de la reconnaissance sociale qui existait auparavant. Il suffit de lire Camus, Péguy ou Gauchet. A cela s’ajoute la baisse globale du niveau des étudiants qui veulent devenir enseignants. Et cela crée un effet de pénurie car les bons vont ailleurs. Ceux qui sont bons en mathématiques peuvent trouver des emplois en entrée de poste avec des salaires deux à trois fois plus importants que ce qu’ils gagneraient comme professeurs. Et concernant les mathématiques, de plus en plus de secteurs sont demandeurs. Donc il y a un coût d’opportunité élevé à rester dans l’éducation nationale.

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Faudrait-il augmenter les salaires ?

C’est évidemment une des clés de l’attractivité, mais il faut aussi transformer le système pour éviter d’augmenter les déficits. Dans les pays scandinaves, ils ont des salaires plus élevés mais leur emploi n’est plus garanti. Le risque si la situation perdure ainsi, c’est que les bons profs aillent dans le privé, comme c’est déjà le cas des professeurs d’économie en école de commerce. C’est ce genre de modèle que l’on risque si l’on ne transforme pas le système.

Ce que nous avions montré il y a quelque temps avec l’institut Molinari, c’est qu’à dépenses équivalentes, si l’on imitait des modèles étrangers, nous serions bien meilleurs dans les classements internationaux. Notre problème ce n’est pas le budget, c’est la méthode. C’est un problème structurel.

Une étude du cabinet CMI de 2015 estimait que la valeur ajoutée des mathématiques représentait 15% du PIB français. A quel point la faiblesse du niveau de mathématique est-elle un danger pour l’économie ?

Dans une économie comme la nôtre, les secteurs porteurs de croissance sont l’innovation et la recherche dans des secteurs comme le médical, l’intelligence artificielle, l’internet des objets, mais aussi dans la combinaison des sciences cognitives, de l’IA et des biotechnologies. Evidemment tout cela nécessite des connaissances développées en information et en mathématiques. Il faut de plus en plus coder, par exemple. S’effondrer en mathématique, c’est faire une croix sur la licorne ou la plateforme numérique de demain. Un minimum de connaissances en mathématiques devient nécessaire dans de nombreux secteurs, même celui des services.

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Que risque-t-on si l’on ne réagit pas ?

On sera dépassé sur toutes les innovations. Et on aura beau essayer de réguler les entreprises du numérique, on sera coincé car incapables de proposer nous-mêmes ces services. On sera incapables de suivre le mouvement et on ne pourra plus prendre le train en marche. Et au niveau européen la crédibilité vient aussi du poids économique et de notre capacité à être en avance. Ce qui nous sauve, c’est que nous formons bien une certaine élite qui préserve notre crédibilité. Mais jusqu’à quand ? La prix Nobel de Chimie 2020, Emmanuelle Charpentier est certes française, mais elle a fait toute ses études à l’étranger. Et à terme c’est aussi une perte de savoir-faire. Pendant le Covid, l’institut pasteur a été incapable de développer un vaccin, pourtant c’est un de nos joyaux.

La note du CAE, « Cap sur le capital humain pour renouer avec la croissance de la productivité » estime qu’une hausse de 10 points des compétences en mathématiques conduirait à une hausse de la croissance annuelle par habitant d’environ 0,2 point mais constate que nous sommes en situation de décrochage éducatif. Qu’en pensez-vous ?

Cette note est de qualité. Aujourd’hui, la principale difficulté de recrutement, ce n’est plus la fiscalité ou la réglementation mais la pénurie de compétences. Les soft skills ou des compétences transverses, cela s'acquiert facilement, à condition d’avoir eu une bonne formation initiale. Il sera très difficile d’enseigner comment communiquer de manière multiculturelle par l'intermédiaire des outils numériques si vous ne comprenez pas le numérique, ne savez pas utiliser des outils ou vous exprimer correctement.

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