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Mais que faisait là la frégate française expulsée par les Chinois dans le détroit de Taïwan ?
©TED ALJIBE / AFP

Véndémiaire

Début avril, un navire de guerre français traversait le détroit de Taiwan, dans les eaux internationales, près de la Chine. Un passage qualifié "d'illégal" par Pékin.

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont est enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lille où il dirige le Master Histoire - Relations internationales. Il est également directeur de recherche à l'IRIS, responsable du programme Asie-Pacifique et co-rédacteur en chef d'Asia Focus. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les quetsions asiatiques contemporaines. Barthélémy Courmont (@BartCourmont) / Twitter 

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Atlantico : Au début de ce mois d'avril, quelques jours après la visite de Xi Jinping à Paris, une navire de guerre français traversait le détroit de Taiwan, dans les eaux internationales proches de la Chine. Un passage qui a été qualifié "d'illégal" par Pékin, et qui a entraîné l'annulation de la participation de la France à la parade navale des 70 ans de la marine chinoise. Comment expliquer cet incident ? 

Barthélémy Courmont : Il est fréquent de voir des navires français naviguer dans cette zone. La ministre des Armées a d'ailleurs rappelé que c'est le cas une fois par an en moyenne, soit dans le cadre de missions spécifiques, soit dans l'itinéraire choisi par la mission Jeanne d'Arc (qui navigue souvent en Asie, mais pas cette année). Ces missions, dont certaines se caractérisent également par une escale dans un port chinois, ne sont pas condamnées par la Chine. Il y a donc une nouveauté ici dans l'attitude de Pékin, qui ne fait que confirmer un incident de même nature et dans la même zone survenu il y a quelques semaines avec un navire américain. Cette crise nous rappelle la différence d'appréciation que Paris et Pékin font des eaux du détroit de Taiwan. Pour Paris, il s'agit d'eaux internationales et donc libres de navigation; pour Pékin il s'agit d'eaux territoriales chinoises, puisque la Chine revendique avec force sa souveraineté sur Taiwan. La France défend avec force la liberté de navigation, et de nombreux navires militaires transitent également par la mer de Chine méridionale, où les prétentions chinoises sont connues. Mais ce qui est nouveau, c'est cette mesure de rétorsion qui montre que la Chine se montre intransigeante dès lors que c'est la question taiwanaise qui est évoquée.

Comment expliquer le choix français de naviguer dans cette zone dans le contexte actuel ? Qu'est ce que ce choix implique dans ses relations avec Pékin, mais également avec Washington dont certains officiels ont salué le passage français ? 

D'abord, il convient de noter que la France n'a aucune raison de s'interdire de naviguer dans cette zone. Certes Paris entretient des relations diplomatiques avec Pékin, et non Taipei, mais la relation avec Taiwan ne se limite pas aux échanges commerciaux. On se souvient par exemple de la vente des frégates La Fayette à Taiwan, d'autant plus marquante que dans le même temps, l'UE imposait un embargo sur les ventes d'armes à la Chine, toujours en vigueur. Ensuite, il ne faut pas non plus voir dans le choix de naviguer dans cette zone une volonté de provoquer la Chine, ni de s'aligner sur les Etats-Unis. Que des officiels américains se réjouissent de la détermination française est une bonne chose, mais ce n'est pas dans un contexte de rivalité sino-américaine que cette action s'inscrit, d'autant qu'elle est comme indiqué précédemment assez courante. Cet épisode aura-t-il des conséquences dans la relation Paris-Pékin? Sans doute non, parce que la Chine compte beaucoup sur la France dans sa stratégie des nouvelles routes de la soie en Europe, et parce que Pékin n'a pas intérêt à voir se liguer contre elle plusieurs membres permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU. Mais la réaction chinoise ne fait que montrer à quel point Pékin ne sait pas se montrer flexible sur la question taiwanaise, et dans le même temps dans quelle mesure la France ne doit pas se plier aux exigences de la Chine dès lors qu'il s'agit de fondamentaux comme la liberté de navigation.

Que signifie ce regain de tension pour Taiwan ? 

Les tensions  sont vives depuis l'arrivée au pouvoir de Tsai Ing-wen, début 2016, et le resteront au moins jusqu'à la prochaine élection présidentielle taiwanaise, en janvier 2020. Tout dépendra en fait du profil du prochain président taiwanais. Depuis trois ans, la Chine a multiplié les actes malveillants, en plus de déclarations dures comme celle de Xi Jinping en début d'année. On se souvient aussi que même lors de l'expédition lunaire de la Chine, c'est Taiwan qui a été rappelé, comme pour dire que la Chine est dédormais capable de tout. Violation de l'espace aérien et maritime, pressions diplomatiques… les gestes hostiles ne manquent pas, et s'ajoutent à la mise en avant des forces d'invasion. Les Taiwanais ont appris à vivre avec cette rhétorique agressive et avec les mesures de rétorsion, isolement diplomatique et humiliations que Pékin leur fait subir. Et pourtant, cela n'empêche pas les deux entités d'être interdépendantes économiquement… La Chine contemporaine, décomplexée, multiplie les postures qui pourraient faire frémir dans sa relation avec Taiwan. Mais si la vigilance est de mise, il ne fat pas non plus y voir les prémices d'une invasion dont les conséquences sont totalement imprévisibles.

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