Mais pourquoi les politiques sont-ils si nuls en économie… (ou font semblant de l’être…) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Quand on compare le niveau d’expertise économique des responsables d’aujourd’hui avec celui des anciens, on est obligé de reconnaître que ça ne s’arrange pas.
Quand on compare le niveau d’expertise économique des responsables d’aujourd’hui avec celui des anciens, on est obligé de reconnaître que ça ne s’arrange pas.
©JOEL SAGET / AFP

Atlantico Business

En démontrant que les débats pré-européennes sont animés par des nuls en économie, Jean-Luc Demarty a vu juste. Cette campagne électorale va battre tous les records de failles alors que la situation internationale nécessiterait une connaissance pointue des dossiers et surtout de la réalité.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Par inexpérience ou méconnaissance, par démagogie ou idéologie, la campagne pour les élections européennes est désolante de médiocrité, notamment sur les dossiers économiques qui mériteraient aujourd’hui la plus grande attention, la meilleure expertise, et le plus gros effort de pédagogie sur les chiffres et les faits de la réalité.

À entendre les inepties qui circulent sur les questions du libre-échange, de la monnaie unique, du fonctionnement de la concurrence mondiale, de l’énergie, de l’écologie, du rôle des entreprises et du profit, des mécanismes de financement, etc., et même sur l’histoire des faits économiques, on a du mal à se convaincre que les responsables politiques soient aussi nuls… à moins que, comble de cynisme, ils fassent semblant de l’être. Possible pour certains, les plus malins… mais faire semblant d’être nuls pour plaire à ceux que l’on croit véritablement nuls n’est pas très glorieux. Et pas efficace a terme !Passons sur les considérations morales. Rien que sur le plan de l’efficacité, ça ne marche jamais très longtemps de ne pas respecter la réalité. Il n’y a pas d’exemple dans l’histoire récente où ceux qui ne respectent pas la réalité ne se soient pas fracassés et obligés de se renier après avoir trouvé un bouc émissaire à leurs errements.

La vraie question que pose l’analyse des programmes faite par Jean-Luc Demarty pour démontrer la nullité réelle (ou feinte) des candidats, c’est de savoir pourquoi les politiques sont aussi nuls.

Quand on compare le niveau d’expertise économique des responsables d’aujourd’hui avec celui des anciens, on est obligé de reconnaître que ça ne s’arrange pas. Le général de Gaulle avait des convictions extrêmement fortes mais une connaissance des contraintes économiques remarquable. Il n’a d’ailleurs pas fait beaucoup d’erreurs. Les fondamentaux de l’économie française mis en place par le Général de Gaulle sont très abîmés mais encore en place (l’énergie, les transports, l’industrie aéronautique, une monnaie forte, le modèle social, le paritarisme, l’intéressement, etc.). Il avait même eu cette idée de créer le Conseil économique et social et d’en faire une troisième chambre législative. Sur ce point, il a complètement raté le projet. C’est devenu un refuge pour personnalités écartée du pouvoir.   

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Mais surtout, De Gaulle  avait ce talent de repérer et de s’entourer de talents et d’expertises économiques : Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, les grands patrons de banques ; plus tard sont arrivés sur le marché les compétences des hommes comme Raymond Barre, puis Jacques Delors. On prêtait au Général la phrase suivante pour dire qu il ne s’intéressait pas à l’économie : » l’intendance suivra » sous-entendu ce qui importe c’est la politique ; mais en realite de Gaulle vérifiait toujours  les conditions de faisabilité des promesses politiques.

La qualité des personnels politiques a commencé à se détériorer à partir des années Mitterrand. C’est à ce moment-là que la tragédie française, pour reprendre l’analyse très pertinente de Franz-Olivier Giesbert, a commencé à germer. Parce qu’on peut toujours créditer les années Mitterrand d’avoir fait l’euro, mais la réalité c’est que la monnaie unique avait été conçue bien avant sous Pompidou par Valéry Giscard d’Estaing. Il s’agissait à l’époque de soustraire la gestion de la monnaie des aléas de la politique politicienne et de la démagogie des politiciens qui déjà n’avaient pas le courage de dire la vérité. François Mitterrand a donc finalisé ce projet pour les mêmes raisons.

N’empêche qu’on se méfiait des peuples et que plutôt que d’entreprendre des campagnes de formation aux réalités, on mettait de côté les dossiers économiques, ce qui exonérait les dirigeants politiques de leurs responsabilités et les arrangeait bien.

Alors pourquoi cette nullité réelle ou feinte ? Pour plein de raisons qu’on n’étudiera sans doute plus à Sciences Po dont l’évolution marque bien le peu d’intérêt qu’on peut avoir pour la chose économique et l’analyse des faits et des chiffres. Donc si nos hommes politiques sont nuls ou font semblant de l’être, c’est qu’ils sont portés par quatre séries de facteurs (pour être simple).

Première série de raisons de la nullité : les hommes politiques n’ont aucun intérêt personnel à faire l’effort d’acquérir une expertise dans le domaine économique parce qu’ils sont élus sur leur capacité à faire plaisir ou à défendre une idéologie prédéterminée. Il y a des ADN d’origine historique, culturelle, religieuse ou idéologique qui laissent peu de place aux contraintes économiques et financières. Les dirigeants politiques assument les contraintes quand ils ne peuvent pas faire autrement. Sur l’Europe par exemple, les mouvements anti-européens ont beaucoup évolué. Plus personne aujourd’hui ne proposera la sortie de l’Europe et de l’euro parce que les peuples ont compris que leur projet personnel, la prospérité, la garantie d’une monnaie solide… tout cela valait bien d’abandonner la souveraineté monétaire. D’autant que cette souveraineté n’était pas abandonnée mais transférée au niveau de la copropriété.

Mais pour la plupart des autres dossiers économiques, les hommes politiques ont abandonné. Plus grave, incapables d’expliquer clairement le mécanisme de création de richesse, les hommes politiques s’en tirent en créditant l’idée que tout le pouvoir dépendait de l’État. Avec la bénédiction confortable des idéologies de gauche qui sont très implantées dans la culture française.

Deuxième raison : l’idéologie exonère les hommes politiques de faire l’effort d’une expertise. La connaissance réelle des chiffres  du commerce international est absolument polluée par des idéologies souverainistes, ce qui enferme les responsables politiques dans des contradictions insolubles. Sur l’agriculture par exemple, c’est frappant : les accords de libre-échange sont favorables à l’agriculture française et même européenne. Les faits et les chiffres qui sont indiscutables (les agriculteurs le savent) sont inaudibles à la plupart des responsables politiques qui servent une soupe de protectionnisme indigeste et qui correspond a gros a ce que ressentent et attendent quelques classe laborieuses du pays

Sur le dossier de l’énergie nucléaire, bonjour les contradictions et les incohérences partout en Europe et notamment en Allemagne. Sur le dossier de la transition écologique, les idées, les impressions, les suggestions, les croyances se percutent aux chiffres et autorisent à dire n’importe quoi, y compris les utopies les plus extravagantes et anxiogènes. Le réchauffement climatique est une réalité et cette réalité nourrit les fantasmes et les peurs les plus lourdes.

Le seul domaine où les dirigeants n’ont pas manqué d’expertise est le domaine couvert par le ministère de l’Économie et des Finances. Les gérants ont toujours été de grande qualité parce que l’État a besoin d’argent, parce qu’il doit percevoir l’impôt et emprunter à l’extérieur. Pour ces deux raisons, les régimes successifs ont toujours eu la sagesse de nommer aux Finances des gens sérieux. Les ministres des Finances connaissent la vérité mais ils n’ont pas les moyens d’intervenir directement sur le cours des choses. C’est le Président qui est responsable. Les ministres des Finances ont rarement fait cavalier seul. L’analyse technique leur appartient, les choix politiques ne sont pas de leur ressort mais du Président. Donc l’homme politique responsable a peur de déplaire, donc il se tait le plus souvent et se plie à la parole du Président.

Troisième raison : les dirigeants politiques dans les grandes démocraties ont abandonné un devoir de cohérence dans leurs programmes, mais surtout ils ont abandonné un devoir de pédagogie. Ils ont besoin de promesses qui ont des effets à très court terme, parce qu’ils vivent sous l’impérialisme du court terme. Leur horizon est limité à la durée du mandat. Keynes avait bien compris cela quand il disait que « le court terme était une obligation politique parce qu’à long terme, nous serions tous morts, alors à quoi bon ». En sauvant le système socio-démocrate après la guerre par des politiques de relance, il a en réalité abîmé les fondements de la démocratie qui a besoin de garanties à long terme. La pédagogie de l’économie devrait commencer à l’école au même titre que l’histoire ou la géographie. La France est très en retard. D’autant qu’il n’existe pas ou très peu de contre-pouvoir et de corps intermédiaires. La France est encombrée par son jacobinisme et ça ne date pas d’aujourd’hui. Les contre-pouvoirs syndicaux ou politiques existent mal. Là encore, les hommes politiques n’ont pas intérêt à changer le cours de l’histoire. La France critique à juste titre le poids de l’État, des dépenses publiques, de la concentration des pouvoirs, mais les Français se sont habitués à ce centralisme. Dès que quelque chose va mal, ils se précipitent aux guichets de l’État pour obtenir une aide, une subvention, une allocation.

Quatrième raison : les hommes politiques ne connaissent pas les mécanismes de l’économie de marché. Il n’y a plus, à gauche comme à droite, de majorité libérale. La plupart des dirigeants politiques ignorent tout du mécanisme de création de richesse : une entreprise privée, un chef d’entreprise, une prise de risque, une innovation et une offre qui trouve ou pas son marché. Ce qu’ils ignorent aussi, et Karl Marx en a beaucoup parlé, l’économie de marché est certes le meilleur système pour créer de la richesse mais l’économie de marché a besoin de la démocratie et des libertés fondamentales. Les hommes politiques ne connaissent que l’État comme grand créateur de richesse. En limitant le périmètre de la sphère privée au profit de la sphère publique  et des entreprises publiques, les responsables politiques asphyxient la démocratie.

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