M. Darmanin, du spectacle médiatique au réel criminel<!-- --> | Atlantico.fr
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L'été 2022, visites de ministre ou pas, le milieu criminel marseillais s'est en­tretué tant et plus.
L'été 2022, visites de ministre ou pas, le milieu criminel marseillais s'est en­tretué tant et plus.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Action du ministre de l'Intérieur

Gérald Darmanin a multiplié les déplacements et les interventions dans les médias cet été et en cette rentrée politique. La réalité des chiffres du ministère de l'Intérieur sur la délinquance interroge sur l'efficacité de sa politique de sécurité.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Le mois passé, M. Darmanin à déployé un activisme médiatique tel qu'à comparer, M. Zelensky fait figure de timide violette. Ce sans doute, pour occulter au bon peuple la débâcle encore ag­gravée de sa politique de sécurité. De fait, les chiffres (diffusés en juin) par son propre ministère sont-ils exécrables. En comparant décembre 2021-février 2022, à mars-mai 2022 on a :

- Vols avec arme (braquages) : + 13%

- Vos violents sans armes : + 24%

- Vols sans violence : + 11%

- Coups & blessures volontaires : + 10%

- Cambriolages de logements : + 10%

Que faire ? Mentir encore ? Après le désastre du Stade de France, chacun a compris que M. Dar­manin baratinait tant et plus. Dans l'affaire, le Sénat le déclare "loin de la vérité" et le président des supporters de Liverpool juge que ses chiffres "ne tiennent pas debout."

Changement de registre, donc, et passage à l'illusionnisme : noyer le réel criminel dans l'omni­présence médiatique et un tintamarre de rodomontades. Bandes anarchistes soi-disant dis­soutes (mais indemnes et actives) ... Mosquées salafistes prétendument fermées (mais toujours ou­vertes) "Expulsés" restant en France... Le ministre en fait tant qu'il se perd dans les coulisses de son propre théâtre, claironnant en juillet 2020 "être à 10 000 lieues de lier immigration et insécu­rité", pour clamer deux ans après que "Les délinquants étrangers n'ont pas leur place en France". Passons, pour rejoindre, précisions à l'appui, l'épicentre du cirque ministériel : Marseille, où M. Darmanin conduit une implacable guerre (médiatique) à un milieu criminel local qui clairement s'en tape et continue joyeusement à dealer, à s'entretuer, etc., comme si de rien n'était.

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Un cas unique ? Ce qui remonte aux criminologues révèle que des métropoles régionales comme Nantes ou Grenoble sont, elles aussi, en voie de criminalisation aggravée, frisant parfois l'anar­chie : quartiers hors-contrôle où des gangs s'entretuent, ravages et sabotages commis par des bandes anarchistes, nomades criminalisés pillant leurs périphéries, etc.

Marseille, donc. Avant d'aborder le détail (provenant de policiers et magistrats locaux), ce rap­pel : dans un État de droit, si le milieu criminel ne peut être anéanti, il doit cependant être maté. Quand le risque répressif est affirmé et le travail policier-judiciaire, efficace, le milieu se fait dis­cret, évite les actes spectaculaires. Côté trafic de stupéfiants, alors, des saisies massives dimi­nuent l'offre ; à demande égale, les prix montent donc. Or à Marseille, Darmanin ou pas, policier et juges du terrain constatent l'exact inverse : les prix des drogues stagnent, voire baissent un peu ; les guerres criminelles entre gangs sont toujours aussi sanglantes.

Exemple du cinéma publicitaire de M. Darmanin & co. : début juillet, pilonnage intense - mais pu­rement réactif - de divers supermarchés de la drogue, La Paternelle, la Bricarde, les Oliviers A, etc., cités hors-contrôle marseillaises dont justement, les médias parlent beaucoup. Retirées en hâte du sud du pays (Creuse incluse...) les forces de l'ordre s'agitent à 550 durant trois jours.

Perdus dans les dédales marseillais, y figurent des gendarmes mobiles, aux unités bien sûr dé­pourvues d'officiers de police judiciaire et qualifiées pour arrêter des dealers comme M. Mélen­chon pour dire la messe. Résultat : deux kilos de cannabis saisis - la France en fume une tonne (mille kilos) par jour. Au départ des "pilonneurs", le trafic redémarre (dixit la po­lice de terrain) : les charbonneurs (vendeurs) sont alimentés 7/24 par une na­vette de livreurs, à flux-tendu, entre "nourrices" et "fours".

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Passons aux tueries marseillaises de l'été, d'usage entre gangs maghrébins comoriens ou gitans, en des guerres perdurant parfois vingt ans. Peu élucidés, les homicides qu'elles pro­voquent voient ensuite de rares suspects livrés à des magistrats, asphyxiés par ce banditisme plé­thorique. Or pour une justice démunie, un règlement de compte (ou "réglo") - crime en bande organisée et prémédité - c'est à la fin, un procès d'assises. Lequel coûte en moyenne 600 000 euros ; 20 par an sur le ressort de Marseille, font 12 millions d'euros chaque année...

L'été 2022, "pilonnages" ou non, visites de ministre ou pas, le milieu criminel marseillais s'est en­tretué tant et plus. En voiture, scooter, trottinette même, les tueurs flinguent tout ce qui bouge : guetteurs, caïds et proches, ados ou adultes. Début août, on en est à 27 "réglos", 18 morts dans les Bouches-du-Rhône, le double de blessés ; tous pour ces guerres de stupéfiants ("connus de la police"...) dans les zones hors-contrôle ou à côté. Rafales de kalachnikov, tirs d'armes de poing... Fusillades... parfois un fusil à pompe, ou de chasse. La Bricarde... L'Es­taque...Le Panier... La Belle-de-Mai...Le Castellas... Les Arnavaux-Campagne-Larousse... Les Lau­riers... Parc Corot... La Pater­nelle... La Valentine... La Maurelette... Félix Pyat... Une litanie au quotidien.

Des tueries désormais en fréquent mode mexicain, ou issu des pires favelas du Brésil : voilà ce trentenaire (± 50 antécédents pour trafic de drogue) "Le tueur a tiré à la tête et aux jambes... un complice en voiture l'a écrasé plusieurs fois". Autre spécialité locale, ces corps carbonisés trouvés dans le coffre d'une voiture en flammes.

Clairement, M. Darmanin n'effraie pas les voyous de Marseille, petits et grands, et sa préfète lo­cale est bien en peine de les mater : dans sa ville, "les vols de montre de luxe se multiplient" ; idem pour les arrachages de colliers. L'anarchie croissant, même les éboueurs sont toujours plus souvent agressés par des voyous, voire par de simples quidams - car à la fin, pourquoi se gêner ?

À présent, disent ainsi les policiers et juges du terrain, les caïds marseillais ne s'inquiètent pas trop. Même, apprécient-ils de voir si souvent M. Darmanin à la télé. Sans être follement cultivés, peut-être connaissent-ils quand même ce rassurant proverbe "Le mot chien ne mord pas".

__________________

* Tous les faits ci-dessus rapportés proviennent de notre base documentaire ; tous sont docu­men­tés, dotés d'une source vérifiable et précisés par des officiels présents sur le terrain à Mar­seille, Nantes ou Grenoble, témoins directs des infractions ici dépeintes.

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