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Lutte contre les stupéfiants : le plan antidrogue qui n’en était pas un
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énième réforme

Le crime organisé n'est pas la cible fixe qu'imaginent Castaner-Nunez : elle est mobile. La seule façon d'atteindre une cible criminelle mouvante est de la priver de son territoire. De plus, le marché illégal risque de reprendre de plus belle avec des prix attractifs.

Francis  Caballero

Francis Caballero

Francis Caballero est l'auteur du Droit du sexe (éditions Lextenso, 2010). Il est avocat et professeur à l'Université Paris X–Nanterre.

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Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Christophe Castaner a présenté mardi 17 septembre un nouveau plan antidrogue avec notamment la création d'un organisme, l'Ofast, "chef de file unique de la lutte contre les trafics de drogue, sur le modèle de la DGSI pour la lutte anti-terroriste". L'organisation reste pilotée par un commissaire de police.

Atlantico :  Cette réforme prétend s'appuyer sur le modèle de la DGSI. Quelles seront les spécificités de ce nouvel organisme ? Est-ce un modèle cohérent pour lutter contre un problème de l'ampleur du trafic de drogue ?

Xavier Raufer : La France a un grave problème de stupéfiants. Pour la cocaïne, c'est même une inondation. Pour 2017-2018, ont été saisies en France plus de 32 tonnes (32 000 kilos...) de cocaïne. Comme, au mieux, on intercepte 20% de telles livraisons de drogue sur leur trajet à portée de nos douaniers, policiers, etc., ces deux années, passées, plus de 250 tonnes de cocaïne ont été livrées en métropole. Au prix de gros, avant coupage et deal de rue, cela a enrichi divers producteurs et grossistes, du nord de l'Amérique latine à l'Europe via l'Afrique, de plus de 7 milliards de dollars. 

Mais bien sûr, se dire "J'ai un problème de stupéfiants ALORS je vais créer un super-office des stups" témoigne d'une forte myopie stratégique ou d'un vif cynisme : tout criminologue sérieux aurait averti MM. Castaner et Nunez que - différence cruciale entre le milieu criminel et les honnêtes gens - les bandits n'ont pas de métier. Il n'y a pas de "trafiquant de drogue" pour la vie, comme il y a des avocats ou des fleuristes, mais des prédateurs opportunistes arbitrant à tout instant,en une simple logique coût-bénéfice.

On lit par exemple qu'explose le "proxénétisme des cités", prostituant des jeunes femmes fragiles, mineures, etc. Qui sont ces néo-maquereaux ? Des dealers victimes de deux lois absolues de la vie criminelle : celle des rendements décroissants et l'effet de déplacement. Trop de dealers dangereux dans votre cité ? Il faut changer de job criminel ou de crémerie. Ainsi, le crime organisé n'est pas la cible fixe qu'imaginent Castaner-Nunez: elle est mobile. Or comme ce qu'ils découvrent lors d'une énième tuerie est déjà vieux d'une décennie - on se souvent des excursions marseillaises du pauvre Valls et de ses ministres, en 2012 - et ce n'était déjà pas une nouveauté - Castaner-Nuneztireront sans doute sur un canard-narco, qui aura déjà filé.

La seule façon d'atteindre une cible criminelle mouvante est de la priver de son territoire, les cités hors-contrôle : là, le gouvernement ne fait rien ; et d'y dissoudre les gangs- on n'en prend pas le chemin. Chaque jour désormais, ces cités connaissent une émeute, ou plusieurs, lors desquelles nulle arrestation sérieuse n'est opérée. Un gilet jaune tire la langue face caméra, la justice l'accable. Là, véhicules brûlés... Jets d'acide sur les policiers - répression zéro. Cela prouve le nouvel office de Castaner-Nunez n'est sans doute que de la com', ou une rustine de plus sur un pneu crevé de longue date.

Francis Caballero : Il est vrai que plusieurs Etats ont choisi de légaliser le cannabis : l’Uruguay, le Colorado, l’Oregon, Washington DC, l’Alaska, la Californie, le Maine, le Massachusetts, le Nevada, le Canada, etc… De plus 29 Etats américains autorisent l’usage du cannabis thérapeutique. On a le sentiment que le mouvement de légalisation est irrésistible et va déferler sur le monde. 

Divers pays ont choisi la légalisation pour couper l'herbe sous le pied des trafiquants. La France se refuse encore à explorer cette voie-là. Pour quelle raison légalisation et dépénalisation sont-elles encore des sujets tabous en France ?

Xavier Raufer : Que donne dans les faits - pas dans les rêves de soixante-huitards fatigués - la légalisation du cannabis ? Dernier exemple, le Canada. Chiffres officiels du service canadien de renseignement criminel (SCRC) : 1 g. de cannabis légal coûte 11 dollars can. - 6 $ can. en deal de rue - d'où, retour des toxicomanes au marché illégal. Le premier ministre-ludion médiatique Trudeau avait promis de "retirer des milliards des poches des criminels" en légalisant le cannabis. Fort prudent, le SCRC parle de "premiers résultats positifs d'ici trois ans et plus". Qui a dit calendes grecques ? En plus - coïncidence ? - le nombre de cocaïnomanes a DOUBLÉ au Canada en 4 ans (730 000 aujourd'hui) - car les narcos ne sont pas stupides. Une cible mouvante, on l'a vu. Si vous voulez voir ça advenir en France, allons-y.

Francis Caballero : La première est politique. L’état français par le voie de ses dirigeants, se refuse à s’engager dans une réforme de la société dont il ne connait pas les répercussions. Les exemples étrangers devraient pourtant lui servir de leçon. Contrairement à ce que prédisaient les adversaires de la légalisation aucune des catastrophes annoncées ne s’est réalisée. La légalisation du cannabis n’a pas provoquée des « ravages chez les jeunes » comme l’affirmaient les pys. Mieux encore elle a produit des effets bénéfiques sur le corps social.

Christophe Castaner a aussi déclaré vouloir s'attaquer au "patrimoine des dealers". Le chiffre d'affaires du trafic de drogue en France étant estimé à 3,5 milliards d'euros/an, quels peuvent être les bénéfices de cette stratégie ? Quelles autres voies explorer ?

Xavier Raufer : Encore de la com' ! Chacun sait que l'immense majorité des semi-grossistes et grossistes de la drogue opérant en France ont des liens forts avec leur diaspora d'origine, Balkans, Maghreb ou Sahel. Car les dealers de base n'ont que des miettes du trafic, grâce à quoi ils survivent tout juste. Comment saisir des villas ou des entreprises, réelles ou non, des comptes en banque, à Casablanca, Tirana, ou Bamako ? Si Castaner-Nunez espèrent trouver le trésor des narcos à Romorantin ou Criquebeuf-sur-Seine, ils risquent la déception. Mais bien plus sûrement n'espèrent-ils rien de pareil et vont-ils faire du cosmétique, gagner du temps avant telle échéance électorale, situation hélas classique depuis l'instauration du quinquennat.

Comment s'assurer qu'une légalisation permettrait un commerce strictement encadré par l'Etat ? Une telle mesure mettrait-elle nécessairement fin au trafic ?

Francis Caballero : Sur le plan de la santé publique elle permet à l’Etat de contrôler la qualité des substances qu’il distribue. Contrairement aux dealers il sélectionne les produits les moins nocifs car il ne cherche pas à défoncer sa jeunesse. Il est en  mesure de limiter leur taux de THC grâce à la création d’un monopole d’Etat. Par exemple en limitant la concentration des produits à un maximum légal alors que les taux atteignent des sommets inconnus à l’époque de leur  mise sur le marché.

Le monopole procure en outre des avantages économiques très importants. La création de plusieurs milliers d’emplois et de taxes qui profitent au Trésor public. On peut discuter les chiffres, mais il est certain que le produit de l’impôt sera considérable, autour de plusieurs milliards d’euros. Car le prix est une variable qui ne dépend que de lui qui pourra l’ajuster à sa guise. Il pourra également lancer des campagnes de sensibilisation de l’opinion publique

Et ce n’est pas tout. Il décriminalisera et allègera le budget de la justice. Il pourra fixer un âge, 18 ans, à partir duquel l’interdit deviendra permis rendant plus sociables des milliers d’adolescents. Il séparera le cannabis des autres drogues plus dangereuses pour la santé. Il permettra de contrôler les conducteurs comme pour l’alcool avec un seuil de concentration en THC, par exemple 8 nano-grammes par litre de sang.

Bien sur la légalisation crée un risque nouveau pour la société : risque d’accident et de conflit entre usagers, violences…. Mais elle est équipée pour le limiter par des mesures appropriées. Il est certes difficile d’assurer que cette politique mettra fin au trafic, (qui peut le faire ?), mais elle en réduira les effets en remplaçant un désordre certain par un commerce  licite qui profitera à tous. Bref des emplois, des taxes et une certaine paix sociale sont à attendre de  la légalisation contrôlée par l’Etat.

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