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Les Saoudiens dans une frénésie d’achat d’armes pour tenter de compenser la glissade américaine vers l’Iran
©Reuters

Camouflage désert

Premier pays importateur d'armes en 2014, l'Arabie saoudite semble aux abois. Avec l'Etat islamique d'un côté, les rebelles chiites du Yémen de l'autre, et l'allié américain qui lorgne du côté de Téhéran, le royaume wahhabite fait tout pour assurer sa défense future.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Après l'Inde en 2013, c'est au tour de l'Arabie saoudite de décrocher la première place du classement des pays importateurs d'armes en 2014. Alliance avec les Etats-Unis, montée en puissance de l'Iran ... Dans quelle(s) stratégie(s) ces augmentations des budgets de Défense (64,4 milliards de dollars en 2014) s'inscrivent-elles ?

Alain Rodier : Il n'y a pas de "surprise" mais une progression connue des importations militaires saoudiennes qui s'inscrivent directement dans le jeu d'influences qui se déroule au Proche-Orient entre Téhéran et Riyad.

Il n'est pas un mois qui passe sans que l'Iran ne dévoile un "nouvel" armement même si des doutes subsistent sur la fiabilité de ce qui est présenté. Le dernier en date est un missile de croisière Soumar qui semble être un clone du Kh-55 d'origine soviétique (Les Iraniens en avaient acquis douze auprès de l'Ukraine en 2001 sur le marché parallèle). A noter que ce missile dont la portée serait de 2.000 à 3.000 kilomètres était prévu pour emporter une charge nucléaire de 200 KT. De plus, Téhéran appuie l'effort de guerre de Damas et de Bagdad en fournissant armes, munitions, conseillers et appuis divers (transmissions, renseignement et aide au commandement).

Ali Younesi, un conseiller du président Rohani vient déclarer au cours d'une conférence le 8 mars que : "l'Iran est un empire, l'Irak notre capitale. Nous défendrons tous les peuples de la région. L'islam iranien est un islam pur dépourvu d'arabisme, de racisme, de nationalisme". Il a même ajouté: "les Saoudiens n'ont rien à craindre parcequ'ils sont incapables eux-même de défendre les peuples de la région".

La logique de renforcer le potentiel militaire est donc normale pour les Saoud qui se sentent menacés par Téhéran et par les salafistes-jihadistes de Daech et d'Al-Qaida, ces deux mouvements souhaitant la chute de la famille royale.  

Les saoudiens pourraient-ils tenter par-là de soutenir leurs relations diplomatiques avec les Etats-Unis, premier fournisseur du royaume ?

Cela fait des années que les Etats-Unis considèrent que leur centre d'intérêt se trouve dans le Pacifique. Leurs deux soucis sécuritaires y sont la Corée du Nord et la Chine. La famille Saoud se sent quelque part "abandonnée" et ne fait qu'une confiance modérée au Américains qui ont laissé tomber de fidèles alliés comme Moubarak. Alors, acheter des armements coûteux est une sorte d'assurance en démontrant à Washington tout l'intérêt qu'il y a à conserver un aussi bon client (même si une partie des matériels vont ensuite dormir sur étagères).

Mais il n'en reste pas moins que l'administration US va continuer à se désengager du Proche-Orient laissant à terme les "locaux" se débrouiller. C'est pour cette raison que les négociations avec l'Iran s'accélèrent. Elles ont pour but de dédiaboliser Téhéran, ce qui justifiera le désengagement d'un certain nombre de troupes US. Un seul problème, quoiqu'il arrive,  les Etats-Unis sont les garants de la sécurité d'Israël.

En quoi le Yémen constitue-t-il également un enjeu majeur de défense ?

L'offensive des tribus al-Houthi proches des chiites qui se sont emparées de la capitale et des côtes bordant la Mer Rouge, est ressentie comme une menace sur le flanc sud du Royaume. Sa liberté d'action maritime est aussi compromise à terme puisque Téhéran sera à même, dans l'avenir, de bloquer les détroits d'Ormuz et Bab-el-Mandeb si bon lui chante. De plus, les adversaires principaux des Houthis ne sont pas des alliés des Saoud mais les tribus sunnites soutenant Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA).

Une réunion des pays du Golfe persique va se tenir en Arabie saoudite car tous les pays de la région se sentent concernés par la nouvelle donne. L'armée saoudienne est de loin la plus puissante, ce qui lui donne le statut de leader incontesté, même vis-à-vis du Qatar qui a tenté de mener sa propre politique en soutenant les Frères musulmans, un autre ennemi juré des Saoud.

Qu'est-ce qui a été acheté concrètement ? S'agit-il davantage de matériel militaire ? De remise à niveau des matériels existants ? De matériels offensifs ? Défensifs ? Quels sont les corps d'armées les plus favorisés ?

La plus grande discrétion est de mise. Mais, ce sont surtout l'Armée de l'Air et la Marine qui sont renforcées, cette dernière restant le parent "pauvre" (façon de parler) du dispositif saoudien. Il est en effet très peu probable que l'Armée de Terre saoudienne soit engagée dans un grand combat classique dans un proche avenir (ce qui n'exclut pas la surveillance des frontières et la gestion de crises asymétriques). Par contre, les airs et la mer vont constituer des enjeux prioritaires dans les années à venir. Il ne faut pas oublier le risque d'escalade dans le domaine des missiles et pourquoi pas, dans le domaine de l'armement nucléaire. Heureusement, on n'en n'est pas encore là mais c'est une option à surveiller, surtout si les négociations des 5+1 (les pays membres du Conseil de sécurité et l'Allemagne) avec l'Iran sur son programme militaire nucléaire venaient à échouer.

Pour autant, l'Arabie saoudite pourrait-elle utiliser le plein potentiel de ses moyens militaires ?

Un peu comme la Libye à l'époque de Kadhafi, le décompte des armements détenus est impressionnant (plus de 650 avions, 800 chars de bataille et environ 5 500 transports de troupes blindés, etc.). Mais des doutes subsistent sur les capacités opérationnelles de l'armée saoudienne qui n'a pas l'expérience du combat ni peut-être, la motivation. Ce n'est pas le cas pour les Iraniens. Cela dit, je ne crois pas à un affrontement armé direct mais à des manoeuvres d'intimidations (aériennes et maritimes) qui, bien sûr, peuvent toujours déboucher sur des incidents très graves.

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