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Le ministre de la Santé, Olivier Véran, lors d'une séance de questions au gouvernement à l'Assemblée Nationale, le 4 janvier 2022.
Le ministre de la Santé, Olivier Véran, lors d'une séance de questions au gouvernement à l'Assemblée Nationale, le 4 janvier 2022.
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Gestion de la crise sanitaire

Lors du débat sur le passe vaccinal à l'Assemblée Nationale, Olivier Véran a déploré que "le refus de la vaccination charrie nombre des passions tristes dont notre société est capable". Trouver le bon équilibre dans cette pandémie, mener les débats politiques d’une manière qui ne soit pas contre productive tout en protégeant les libertés publiques est un exercice délicat pour le gouvernement depuis le début de la crise.

Caroline Valentin

Caroline Valentin

Caroline Valentin est avocate au Barreau de Paris. 

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Atlantico : "Le choix de la science, le choix du savoir, le choix de la responsabilité, c'est toujours le bon choix", a déclaré Olivier Véran à l’Assemblée Nationale lors du débat sur le pass vaccinal déplorant que "le refus de la vaccination charrie nombre des passions tristes dont notre société est capable". Renvoyer les interrogations sur les libertés publiques à des « passions tristes » de la part d’antivax dénués de raison n’est-il pas bien trop réducteur ?

Caroline Valentin : C’est surtout qu’en stigmatisant les « passions tristes » des « anti vax », Olivier Véran occulte la responsabilité des politiques dans la situation actuelle.

Responsabilité d’abord dans la désertification médicale. Si l’on regarde les données de l’assurance maladie telles que commentés par Lucie Guimier, on constate que les antivax sont les plus présents dans les communes pauvres où il n’y a plus de médecins, où on a laissé le venin de l’antiscience se développer et la population devenir la proie des guérisseurs et autres charlatans.

Responsablilité aussi dans la décrédibilisation de la parole scientifique. Par nature, la science et ses connaissances établies sont toujours en conflit avec la recherche et le doute qui lui est consubstantiel. C’est évidemment le cas aussi avec cette nouvelle maladie qu’est le coronavirus. Or, si les débats houleux ont toujours existé entre scientifiques, ils se passaient jusque-là à l’abri des hôpitaux universitaires et des instituts de recherches. Avec le covid, ces débats se sont déplacés sur les plateaux de télévision, médias qui imposent un format court et rapide empêchant aux intervenants de développer la nuance inhérente à la complexité de leur sujet et les contraint à simplifier leur message. De surcroît, une partie des intervenants très présents sur ces plateaux sont membres du conseil scientifique du gouvernement, ce qui a donné dès le début de la pandémie une coloration politique à leur discours et a conduit à un effacement de la barrière entre science et politique.

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Ce double phénomène de vulgarisation et de politisation a fait beaucoup de mal au crédit accordé à la science et est très responsable de la séduction opérée par le discours des antivax. 

Dans une pandémie qui a mis à mal bien des fois le discours public et où le gouvernement a fait plusieurs fois marche arrière, quel risque y-a-t-il à trop s’ériger en détenteur de la vérité sans laisser place au doute ?

Le gouvernement n’a justement jamais faire marche arrière. Il n’est jamais revenu sur ces précédentes déclarations. Il n’a jamais admis qu’il s’était trompé, il a juste substitué une parole à une autre.

Les erreurs qu’il a faites ne lui n’auraient pas eu les mêmes conséquences sur sa crédibilité si elles avaient été envisagées a priori et reconnues a posteriori. De fait, le temps court de la politique est inconciliable avec le temps long de la recherche, de sorte que les politiques se sont retrouvés à devoir prendre des décisions sans être sûrs que c’étaient les bonnes. Le seul qui a essayé de dire qu’il ne savait pas, c’est Édouard Philippe, remplacé trois mois après le début de la pandémie par un Jean Castex qui, lui, n’hésitera pas à affirmer au mois de juillet 2021 que « les personnes qui ont reçu deux doses n’ont plus de risque d’attraper la maladie »...

En se comportant ainsi, le gouvernement a pu donner le sentiment qu’il se souciait plus plus de son image que de la population. Certains sont désormais convaincus que le gouvernement serait prêt à les empoisonner pour ne pas perdre la face. La violence que le gouvernement déplore est réactionnelle à celle que les antivax ressentent de sa part.

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En somme, le risque qu’il y a donc à trop s’ériger en détenteur de la vérité au mépris de la démarche scientifique, c’est de pousser les gens vers la radicalité et donc vers la violence.

Comment trouver le bon équilibre dans cette pandémie et mener les débats politiques d’une manière qui ne soit pas dangereuse ou contre productive et également protéger les libertés publiques ? 

La gestion de cette pandémie reste un exercice extrêmement complexe. Il est facile de donner des leçons quand on n’est pas en responsabilité. Contrairement aux antivax, le gouvernement a le devoir d’empêcher la congestion de l’hôpital et c’est lui qui sera coupable s’il ne prend pas toutes les mesures nécessaires pour limiter au maximum le nombre d’hospitalisation et de victimes.

S’il y a peut-être - en toute humilité - un conseil à donner aux politiques, c’est d’éviter de s’exprimer en scientifiques, de laisser les scientifiques à leur place plutôt que d’endosser leurs erreurs temporaires – le temps long de la recherche - qui affecte sa propre crédibilité de politique. Quand Sibeth N’Diaye nous expliquait en mars 2020 que les masques ne servaient à rien car on ne savait pas s’en servir, elle aurait dû faire explicitement référence au caractère scientifique de l’information qu’elle donnait plutôt que de justifier son propos en expliquant qu’elle-même ne savait pas se servir d’un masque. Et si cette information n’était pas de nature scientifique, il ne fallait pas la donner. Quand aujourd’hui, on nous impose le port du masque dans la rue, le politique devrait dire à la population qu’il sait qu’il n’y a pas de consensus sur son efficacité à l’extérieur mais qu’en l’état actuel des connaissances, il préfère éviter de prendre des risques qu’il juge inconsidéré.

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En d’autres termes, le gouvernement doit s’attacher à rétablir la frontière entre science et politique.

Après, au-delà des libertés publiques, il y a des questions philosophiques que posent les restrictions imposées par les autorités – pas seulement d’ailleurs sur la vaccination – mais sur le port du masque y compris pour les petits enfants, sur l’interdiction des réunions, des rassemblements, les jauges par ci, le télétravail par-là, la fermeture des boîtes de nuit etc. Les êtres humains ont besoin d’interagir les uns avec les autres, c’est consubstantiel à la vie même. Est-ce que la vie que l’on nous impose aujourd’hui est encore la vie ? Qu’est-ce que cela dit de notre rapport à la mort ? Jusqu’à la découverte des antibiotiques, les gens mouraient de tout. La variole, la typhoïde, la diphtérie la tuberculose par exemple, toutes transmissibles de la même manière que le Covid, faisaient des ravages à une époque où il n’y avait pas de traitement, pas d’antibiotiques, pas de vaccins. Et pourtant, les gens ne restaient pas enfermés chez eux. Ils sortaient, ils se rencontraient, ils se liaient, ils tombaient amoureux, ils avaient des enfants, ils vivaient en somme. Ils prenaient le risque de mourir pour vivre.

Mais ces questions-là ne sont pas posées par les antivax et elles ne peuvent pas être posées par les politiques. Les autorités ne peuvent que tirer les conséquences du fait qu’aujourd’hui, les gens préfèrent être en vie que vivre. La dictature du risque zéro, ce n’est pas le gouvernement qui en est responsable, c’est notre société qui l’exige.

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