Les gauches radicales occidentales nuisent aux Palestiniens en masquant la diversité de leurs mouvements de résistance <!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants et des militants mobilisés dans le cadre d'un rassemblement « Les travailleurs du 1er mai s'unissent pour la Palestine » à Foley Square à New York, le 1er mai 2024.
Des manifestants et des militants mobilisés dans le cadre d'un rassemblement « Les travailleurs du 1er mai s'unissent pour la Palestine » à Foley Square à New York, le 1er mai 2024.
©TIMOTHY A. CLARY / AFP

Instrumentalisation

A travers le refus de critiquer le Hamas notamment, l'extrême gauche en Europe et aux Etats-Unis instrumentalise la cause palestinienne pour son propre agenda politique.

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche est Visiting Fellow au Washington Institute et ancien directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient.

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Karim Maloum

Karim Maloum

Karim Maloum est journaliste.

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Atlantico : Les gauches radicales occidentales s’enferment, depuis des mois maintenant, dans le soutien le plus total à la cause palestinienne. Malheureusement, celui-ci se caractérise parfois par un soutien au Hamas et, d’une façon générale, contribue à aplatir la diversité politique des mouvements de résistance palestiniens. Dans quelle mesure peut-on penser que ce soutien est donc, in fine, contre-productif pour la population palestinienne ?

Fabrice Balanche : La gauche radicale européenne soutient la cause palestinienne, c’est vrai. Souvent, vous l’avez dit, cela se caractérise par un soutien au Hamas, puisque le Hamas est considéré par celle-ci comme un mouvement de résistance et non comme un mouvement terroriste. C’est un fait. Il s’agit-là d’une situation qui contribue à crédibiliser le Hamas, notamment auprès des Palestiniens eux-mêmes qui voient sur Al-Jazeera et sur les chaînes arabes les manifestations que d’aucuns organisent, en France ou ailleurs en Occident, et qui sont exposés à la reprise de slogans du Hamas par certains de nos acteurs politique. De fait, le Hamas, qui n’est qu’un mouvement terroriste, est alors dépeint et accepté comme un mouvement de résistance palestinienne. Il en existe d’autres, avec qui la gauche française a parfois interagit d'ailleurs, comme le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), d’orientation marxiste. Le parti communiste français en a longtemps été proche et c’était d’ailleurs l’un des interlocuteurs privilégiés d’une partie de la gauche hexagonale il y a quelques années. Aujourd’hui, il est complètement passé sous les radars, au profit du Hamas et d’Ismaël Haniyeh, le chef de son bureau politique.  C’est un vrai problème.

Dès lors que l’on entend parler de mouvement de résistance palestinien, il faut aussi évoquer la société civile, qui est très active… et qui est pourtant très dépassée aussi. En Cisjordanie ou à Gaza, elle est loin derrière les groupes violents et les terroristes.

Karim Maloum : Le peuple palestinien, à Gaza comme ailleurs, aspire à la paix. Il aspire à une existence normalisée, loin de la guerre, et n’a pas besoin que des militants occidentaux viennent souffler sur les braises. L’extrême gauche, en France comme dans le reste de l’Occident, n’apporte pas de contribution au processus de paix entre Israël et la Palestine et ce pour des raisons historiques. C’est une vérité qui ne date pas d’aujourd’hui : en 1972, des terroristes palestiniens se sont attaqués aux athlètes de la délégation israélienne à durant les Jeux Olympiques de Munich. Ils avaient alors pris les sportifs en otage. L’opération, rappelons-le, a été soutenue par une grande partie de l'extrême gauche d’alors. Rappelons par exemple qu’Edwy Plenel appelait alors à défendre “inconditionnellement” les militants de l’organisation terroriste palestinienne, qui se faisait appeler Septembre noir, qui avait alors d'assassiner 11 membres de la de l'équipe olympique israélienne. Il a depuis reconnu que c’était une erreur, mais cela en dit long sur la mentalité de cette famille politique. 

Dès lors, il n’est guère étonnant que cette partie de la gauche considère le Hamas comme une organisation de résistance et non comme un mouvement terroriste. C’est pourtant une faute très grave, qui s’inscrit dans une continuité historique, dans un processus ancien. Notons d’ailleurs que l’extrême gauche entretient une certaine fascination pour la violence et qu’ils trouvent dans le conflit israélo-palestinien une certaine forme d’inspiration : les Palestiniens sont devenus, à leurs yeux, la figure emblématique de la minorité qu’il faudrait libérer d’un système érigeant l’homme blanc en figure d’autorité absolue. 

Revenons-en cependant à l’invisibilisation des véritables mouvements de résistance palestiniens par le Hamas, car c’est effectivement un vrai problème. Il y a, en Palestine, de vrais démocrates, laïques, progressistes, libéraux qui sont pris en étau par le Hamas qui a triomphé à Gaza et qui ne leur accorde aucune place. Ces gens-là sont chassés de Gaza. En Cisjordanie, c’est le Fatah, qui dirige l’Autorité palestinienne, qui se refuse à céder le pouvoir et qui étouffe dès lors les démocrates et les laïques autant que faire se peut. Ils sont très minoritaires dans le pays, mais c’est vrai aussi à l’étranger et notamment en France où c’est l’extrême gauche qui les écrase. Ici aussi, les soutiens du Hamas et de l’Autorité palestinienne les forcent au silence. 

Une partie de la gauche refuse aujourd’hui de qualifier le Hamas d’organisation terroriste, quand elle ne légitimise pas sa lutte. Pourquoi se refuse-t-elle à critiquer le Hamas après le 7 octobre ? Peut-on dire qu’elle instrumentalise la cause palestinienne à ses propres fins ?

Karim Maloum : La Palestine, pour la gauche radicale, est un prétexte. J’en veux pour preuve la situation au Soudan, qui n’est jamais évoquée, celle au Yémen, en Afghanistan, également. Sans oublier, bien sûr, le drame vécu par les ouïghours en Chine. Aucun de ces sujets ne les intéresse ou ne les pousse à une mobilisation comparable à celle observée dans le cadre du conflit israélo-palestinien. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas nécessairement de juifs à ériger en oppresseurs, parce qu’il n’y a pas d'État d’Israël à critiquer.

Le conflit israélo-palestiniens, nous l’avons dit, nourrit une certaine fascination pour la violence de l’extrême-gauche. C’est aussi un puissant outil de clientélisme politique qui permet de s'adresser à des communautés ou à des groupes se réclamant de la religion musulmane ou à différentes minorités oppressées. La Palestine est aujourd’hui considérée comme une figure emblématique d’une minorité opressé par l’homme blanc. Force est de constater que cela leur réussit plutôt : l’extrême gauche ne considère pas sans raison que les communautés dont elle essaye de récupérer les voies sont anti-israéliennes, anti-juives. C’est bien pour cela qu’elle instrumentalise la cause palestinienne de la sorte. 

Si la gauche radicale ne critique pas le Hamas aujourd’hui, c’est parce qu’elle n’a pas le courage de le faire. Elle se refuse à faire la défense, comme peuvent le faire les démocrates, du respect des accords d’Oslo de 1993 qui reconnaissent le droit d’Israël à exister mais aussi celui de l’Autorité palestinienne à représenter la Palestine. Cette gauche-là ne veut pas se réclamer de cela. Elle se réclame de la guerre totale et quand elle parle de la paix, elle ne prend jamais la peine de préciser qu’il faudrait libérer les otages ou qu’il faudrait détruire le Hamas. Elle ne souhaite que le retrait d’Israël et pouvoir vivre de son clientélisme, assurer la pérennité de son fond de commerce. Électoralement parlant, elle n’a rien à gagner à la résolution du conflit. 

Fabrice Balanche : Il est indéniable qu’une partie de la gauche française – et occidentale, de façon générale – instrumentalise la cause palestinienne à des fins électorales. C’est très clairement la stratégie de Jean-Luc Mélenchon et de la France Insoumise, qui font aujourd’hui campagne sur le slogan de Gaza. Ce n’est pas pour rien que Manon Aubry remonte dans les sondages : elle est en quête d’un vote communautaire et sa famille politique projette sur la situation gazaoui un fantasme. Celui de la défense des opprimés, d’une forme de prolétaire qui n’existerait plus en Occident aujourd’hui, mais qui viendrait parfaitement nourrir son combat idéologique. Cela relève clairement de ce que Gilles Kepel et d’autres ont appelé l’islamo-gauchisme. Benoît Hamon, pour ne citer que lui, en a aussi été coupable. Cela consiste concrètement, en l'occurrence, à percevoir le “musulman” comme un “opprimé des banlieues françaises”. C’est encore plus efficace quand on parle de la population palestinienne, puisqu’elle devient, dans leur logiciel, la figure du prolétaire ou du colonisé qui est à la base de tout ou partie de la construction idéologique de cette gauche radicale et d’un pan conséquent des mouvements wokistes qui pourrissent nos universités.

C’est bien pour ça, d’ailleurs, que la France Insoumise et, d’une façon générale, la gauche radicale se refusent à critiquer le Hamas. Admettre qu’il s'agit d’une organisation terroriste, c’est se couper d’une partie du vote musulman qui soutient en grand nombre la cause palestinienne. Nombreux sont ceux qui, au sein de la population musulmane française, considèrent que le Hamas est effectivement un mouvement de résistance. La gauche radicale n’a fait qu’épouser cette théorie, qui s’inscrit dans la droite ligne du mythe révolutionnaire, potentiellement violent, qui constitue la colonne vertébrale de leur grille de lecture idéologique. Il ne s’agit pas de dire qu’ils passeront effectivement à l’acte, mais force est de constater qu’ils font souvent preuve d’une certaine nostalgie pour la Révolution française ainsi que pour d’autres mouvements armés.

Dans ce contexte, reconnaître que la Hamas est un mouvement terroriste, c’est accepter l’idée que tout groupe qui voudrait changer l’ordre social établi pourrait théoriquement être qualifié de groupe terroriste dès lors qu’il prend les armes. Cela veut dire aussi accepter l’idée d’être présenté comme les soutiens d’un groupe terroriste.

C’est un problème à gauche, puisqu’ils sont encore nombreux à défendre les anciennes Brigades Rouges ou à justifier l’utilisation de la violence au prétexte que le capitalisme exercerait une violence plus répressive encore.  

Plusieurs slogans anti-Israël ont émergé à gauche, comme le désormais célèbre “From river to sea”. Dans quelles mesures ces manifestations de soutien par essence belliciste peuvent-elles saper la cause palestinienne ? A-t-on besoin de figures, de manifestations et de slogans violents ou plutôt de figures de paix ?

Fabrice Balanche : Ce slogan, qui est celui du Hamas, pourrait se traduire en français par “du Jourdain à la mer” et nie totalement l’existence de l’Etat d’Israël. L’employer revient à nier le droit au peuple juif d’avoir son propre Etat. Bien entendu, quand la gauche l’utilise, elle tend à se cacher derrière la mystique d’un État binational dans lequel juifs et musulmans vivraient en paix, en fraternité. Dans les faits, on sait aujourd’hui que c’est totalement impossible ! Dans tous les pays arabes où il a existé une diaspora juive, la grande majorité de celle-ci a fini par partir. C’était notamment le cas en Irak, par exemple, où les communautés juives ont été expulsées et dont les biens ont ensuite été raflés par l’Etat irakien dès les années 1970. 

J’ai le sentiment qu’il s’agit aussi de défendre une certaine image de la mixité communautaire que la gauche prône aussi pour la France. Or, nous faisons aujourd’hui face à un processus de communautarisation agressif en France, où des quartiers entiers deviennent des ghettos communautaires et pas parce que les habitants y ont été parqués de force. Il s’agit d’une forme de ségrégation volontaire de la part de certaines communautés. Accepter, dans le cadre du conflit israélo-palestinien, la solution à deux Etats, c’est aussi reconnaître que la cohabitation peut poser problème notamment en France. C’est sortir d’un certain déni sur ce qu’il se passe ici. 

Naturellement, il va sans dire que l’utilisation en France de tels slogans ne peut que jeter de l’huile sur le feu. C’est encourager les mouvements violents à jeter les juifs à la mer, ce qui provoquerait évidemment une réponse armée de la part d’Israël. Notons que la gauche radicale n’est pas un mouvement qui préconise la paix, le dialogue.  Ses partisans défendent les interdictions faites à certains chercheurs de s’exprimer, comme j’ai pu le voir dans ma fac à Lyon 2. Il s’agit bien souvent de gardes-rouges qui tuent l’esprit critique et la réflexion.

Karim Maloum : Toute personne se réclamant de la démocratie et de l’humanisme s’inscrit dans le soutien à la cause palestinienne. Les Palestiniens ont le droit de vivre en paix, comme cela devrait être le cas pour chaque être humain. Ceci étant dit, pour vivre en paix, il faut aussi accepter qu’Israël existe et qu’il est en droit d’assurer sa propre sécurité. Si on ne lui reconnaît pas ce droit à garantir sa sécurité, on ne lui reconnaît pas non plus les possibilités matérielles d’assurer son existence, et, de facto, les Palestiniens ne pourront pas accéder à leur volonté. 

La reprise, dans les manifestations occidentales que donne l’extrême gauche, de slogans pro-Hamas comme le fameux “de la mer méditerranée au Jourdain” viennent justement nier le droit à Israël d’exister. C’est aussi nier la réalité de nombre de Palestiniens qui vivent sur place, en paix, travaillent en Israël, entretiennent des relations avec les Israéliens, en épousent certains… Cet état de fait est effacé par les militants de l’extrême gauche française et occidentale qui revendique la disparition de l’Etat d’Israël au profit d’une utopie qu’est la solution à un seul État.  

Notons, encore une fois, que la gauche radicale ne prend jamais la peine de demander la libération des otages détenus par le Hamas. A cet égard, elle fait montre de son manque d’humanité. Elle ne condamne pas non plus la violence utilisée par le Hamas, qu’elle décrit comme un mouvement de résistance et non comme l’organisation terroriste qu’elle est. Elle nie la réalité du pogrom du 7 octobre, quand elle ne vient pas le légitimer. Or, rappelons qu’Israël est la seule démocratie véritable au Moyen-Orient et que c’est une nation qui fait figure d’élément étranger au Moyen-Orient. Les pays arabes ne le tolère pas parce qu’il s’agit d’un État juif et non d’un Etat musulman. Ils auraient probablement réagi de la même façon s’il s’était agi d’un Etat chrétien. Cela ne veut pas dire que tous n’ont pas fait d’efforts : on pourrait citer les accords entre Israël et l’Egypte ou la Jordanie, de même que les accords d’Abraham. Mais il faut aussi rappeler que l’Iran fait tout son possible pour bloquer le processus de normalisation des relations entre les pays arabes et Israël. 

Il va sans dire que ce qui manque, aujourd’hui, ce sont les manifestations de soutien au processus de paix entre Israël et la Palestine, à la coexistence entre les deux pays. Nous avons effectivement besoin de figures de paix qui défendent le droit à la sécurité d’Israël et le droit à la sécurité des Palestiniens, qui militent en faveur de la fin de la guerre, du désarmement du Hamas. Il est primordial de signaler toutes ces manifestations qui, non seulement aggravent les tensions, mais mènent aussi à la réhabilitation des criminels du Hamas. Il revient à l’Occident d’accompagner les processus démocratiques, notamment à Gaza, pour permettre une telle solution. Mais j’ai peur que cela soit compliqué, du fait notamment de la vague antisémite qui déferle sur l’Europe et dans le monde, alimentée par les islamistes, l’extrême-gauche et les wokistes Ils ont un point en commun : la haine des juifs. Nous leur avons laissé trop de place pour s’exprimer. Il est désormais temps que la communauté internationale intervienne pour que ces slogans antisémites ne polluent plus l’atmosphère comme ils le font aujourd’hui.  

Faut-il penser qu’en soutenant ainsi le Hamas, la gauche radicale participe directement ou indirectement aux violences subies par la population palestinienne ?

Fabrice Balanche : Non, le soutien de la gauche radicale au Hamas ne permet pas d’affirmer qu’elle participe directement aux violences subies par la population palestinienne. Elle le crédibilise, en revanche, et cela signifie de fait qu’il devient plus difficile d’organiser la mise en place d’une solution pacifique au conflit. Le Hamas, comprenons-nous bien, est un mouvement totalitaire qui ne se soucie guère de la population palestinienne et qui s’inscrit dans une stratégie de violence comme de chocs. Il est persuadé qu’il n’y a que la violence qui lui permettra d’arriver à ses fins, quitte à sacrifier la moitié de la population Gazaouie s’il le faut.

Dès lors, on peut cependant dire que ce soutien participe indirectement, au moins à la marge, à la misère de la population palestinienne. L’enfer, dit-on parfois, est pavé de bonnes intentions. Le chemin qu’emprunte cette gauche pourrait aboutir à la catastrophe en raison d’un idéal.

Karim Maloum : Indéniablement, la gauche radicale occidentale porte une part de responsabilité dans les violences que subit la population palestinienne. Je l’accuse de ne pas participer activement au processus de paix et même de justifier la violence du Hamas, qu’elle se refuse à condamner. Le Hamas est un mouvement « de résistance », plutôt qu’un groupuscule islamiste, est une faute grave. Le Hamas ne tolère aucune présence des minorités, des homosexuels, des femmes et des opposants. C'est inacceptable.

La gauche radicale est partisane d’une guerre durable et ne travaille pas à la paix. Il faut faire la différence entre les Palestiniens, qui aspirent à la paix, à la démocratie et qui voudraient pouvoir vivre avec Israël. En soutenant le Hamas, la gauche radicale sait que cette paix est impossible. Elle le soutient par clientélisme, par fascination pour la violence.

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