Les enfants de l’Etat islamique : comment l’Irak et la Syrie préparent une nouvelle génération de djihadistes<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Les enfants de l’Etat islamique : comment l’Irak et la Syrie préparent une nouvelle génération de djihadistes
©

L’école de la barbarie

Pour un conflit qui se conçoit sur le long terme, la nécessité de former les générations à venir à la guerre est réelle. Or, l'Etat Islamique n'envisage pas le djihad autrement qu'un combat de très longue haleine et ouvre d'ores et déjà des camps de formation pour enfants - également exploités dans leurs mécanismes de terreur - en Irak et en Syrie.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

Voir la bio »

L’horreur atteint des sommets dans la guerre qui fait rage au Proche-Orient. Toutes les parties, qu’elles soient rebelles ou gouvernementales, font assaut d’abominations. Faut il rappeler que si les conflits classiques sont déjà terrifiants, les guerres civiles peuvent atteindre des paroxysmes car elles n’obéissent à aucune règles (les fameuses lois de la guerre) et surtout, parce que les belligérants sont presque tous animés de la haine de l’ennemi qu’ils connaissent parfois très bien car il est souvent leur ancien voisin - au sens large du terme -. Le Groupe État Islamique (GEI, Daech) a gravi un échelon supplémentaire en instrumentalisant les crimes de guerre dont il est à l’origine pour s’en servir comme moyen de communiquer. L’imagination des bourreaux n’a pas de limites mais il leur faut systématiquement innover dans l’ignominie pour rendre leurs actions encore plus insupportables : après les exécutions par fusillades et décapitations à l’arme blanche, les salafistes-djihadistes sont passés à la mise à mort par noyade, par le feu, à l’aide d’explosif et, plus dernièrement, en enterrant vivants certains de leurs propres combattants qui refusaient de monter au front. Ils ont fait de bourreaux tel Jihad John aujourd’hui disparu après une frappe américaine, des héros médiatiques qui, suprême torture pour les suppliciés, se livrent à de longs et abscons discours avant de les assassiner. Le plus terrible est que, comme c’était le cas pour la Shoah, tout cela est voulu, pensé et organisé méthodiquement. L’objectif consiste à terroriser les adversaires, décourager les "traîtres" et les "espions" et, avant tout, pour affirmer à la face du monde que les adeptes de État Islamique et de son gourou, Abou Bakr Al Baghdadi, ne craignent rien ni personne et surtout pas la justice des hommes. Daech se pose ainsi en le seul mouvement qui ose s’opposer aux grandes puissances, Occident, Russie, Arabie saoudite, etc.

Le cas des Ashbals (les lionceaux)

Ce qui est encore plus hallucinant, c’est l’utilisation d’enfants qualifiés d’Ashbals (les lionceaux) par Daech en tant que bourreaux. Une vidéo récente met en scène deux enfants français que leur père (1) djihadiste (présumé tué à Alep en 2014) aurait emmené faire la Hijra, (l’émigration de musulmans de la France "mécréante"  vers le "califat") à assassiner des "espions". D’autres vidéos, tout aussi insoutenables, montrent déjà des enfants commettant les pires horreurs - dont au moins une décapitation au couteau -.

Pour les érudits de Daech qui prétendent faire respecter strictement les valeurs de l’islam des origines, c’est un véritable parjure. En effet, les textes sacrés de l’islam interdisent formellement aux enfants non pubères de mener quelque action de guerre que ce soit. Al-Baghdadi s’assoit donc allègrement sur la doctrine qu’il prétend défendre et qui est la base idéologique de son djihad en adaptant sa stratégie à ses besoins. Pire encore, il accepte que des jeunes filles de Boko Haram deviennent des kamikazes, ce qui est également formellement prohibé par les textes, les femmes - et encore moins les jeunes filles -, ne devant participer directement à des actions de guerre. D’ailleurs, il n’y a que Boko Haram qui se livre actuellement à ce type d’actions terroristes dévastatrices. Il faut dire que ses militants se réclament d’un islam fortement mâtiné de syncrétisme (le mélange de croyances ancestrales) qui autorise toutes les abominations.

La stratégie de Daech vis-à-vis des jeunes

Si dans le cas de Boko Haram rebaptisé la "wilayat Afrique de l’Ouest", le souci de la direction de Daech est purement tactique (déclencher des attentats meurtriers au sein des populations civiles pour obliger les forces ennemies à se disperser sur le terrain pour tenter d’assurer une meilleure protection), ailleurs et en particulier dans le berceau syro-irakien du califat, le but est stratégique : préparer la prochaine génération de djihadistes car la guerre sainte s’inscrit dans la (très) longue durée. Déjà, les écoles dirigées par Daech sont en fait des camps d’entraînement où les enfants sont embrigadés et reçoivent une formation para-militaire. Faire commettre des assassinats à certains d’entre eux rappelle les savoir-faire enseignés aux jeunes Sud-américains par les cartels de la drogue et autres maras. Ces "écoles du crime" fournissent des sicarios décérébrés pour qui tuer est devenu un geste naturel.

Les massacres diffusés par les organes de propagande de Daech attirent la réprobation, même de la part des groupes dépendant d’Al-Qaida qui, pourtant, s’y connaissent en terreur (2). Mais, sur instructions d’Al-Zawahiri, ces derniers essayent, autant que faire ce peut, d’éviter les pertes collatérales en tuant des "civils innocents". La nébuleuse a tiré les leçons du passé car elle a rencontré de nombreux échecs, particulièrement en Irak, du fait de tueries indiscriminées qui lui avaient amené l’hostilité des populations et tribus locales. Daech est loin d’avoir atteint ce stade de réflexion et les futurs djihadistes que le mouvement est en train de former non seulement au Proche-Orient mais aussi dans ses wilayat extérieures seront vraisemblablement encore plus cruels et redoutables que ceux qui sévissent aujourd’hui…

1. L’information qu’ils sont frère reste à confirmer.

2. Eux-mêmes en sont les victimes. Ainsi, Daech a diffusé mi-mai une vidéo montrant l’exécution de trois taliban en Afghanistan.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !