Législatives : un programme macroniste entre clientélisme et manque d’inspiration<!-- --> | Atlantico.fr
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Gabriel Attal s'adresse aux médias lors de sa visite à l'entreprise d'emballage LivingPackets à Sainte-Luce-sur-Loire, près de Nantes, le 14 juin 2024.
Gabriel Attal s'adresse aux médias lors de sa visite à l'entreprise d'emballage LivingPackets à Sainte-Luce-sur-Loire, près de Nantes, le 14 juin 2024.
©LOIC VENANCE / AFP

Programme

Triplement de la « prime Macron », rénovation de 300 000 logements, ouverture de 400 usines d'ici 2027… Le premier ministre a exposé dans la presse quotidienne régionale les grandes lignes du programme national de la majorité présidentielle pour les prochaines élections législatives.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico : Gabriel Attal a présenté différentes mesures du programme de la majorité présidentielle pour les élections législatives dans un entretien au Parisien et dans la presse régionale. En quoi ce programme macroniste oscille-t-il entre clientélisme et manque d’inspiration ? Ces mesures vont-elles réellement changer le quotidien des citoyens ? 

Christophe Bouillaud : Tout d’abord, dans les premiers éléments de ce programme qui ont été rendus publics par Gabriel Attal, force est de constater le recyclage de promesses ou de politiques publiques déjà en place. Par exemple, la rénovation thermique de centaines de milliers de logements est un serpent de mer de l’action gouvernementale. Cela correspond sans doute à une nouvelle mouture du dispositif  technocratique appelé joliment « Ma Prime Renov’ ».Or ce dispositif venait juste d’avoir ses fonds fortement réduits à l’occasion de la diminution de crédits engageables en 2024 de 10 milliards d’euros par Bruno Le Maire, sans compter que ce dispositif d’aide à la rénovation thermique change si souvent dans ses modalités que les acteurs économiques concernés ne s’y retrouvent plus, pour ne parler des particuliers concernés, seuls des bandes organisés de criminels en col blanc arrivent encore à en suivre les méandres comme le magazine Society l’avait rappelé l’année dernière. C’est le summum de l’instabilité réglementaire à la française. Une petite merveille en la matière. Même remarque pour le leasing à bas prix de voitures électriques : il m’avait semblé avoir vu passer l’information selon laquelle cette formule avait eu trop de succès et que Bercy avait mis le haut-là à cette gabegie. Gabriel Attal semble vouloir relancer la dépense sur ce point. Quant à la revalorisation du montant maximum de la «prime Macron » à 10000 euros par an, c’est l’approfondissement d’une formule qui ne bénéficie qu’aux salariés des entreprises privées qui peuvent se permettre ces largesses, et qui accessoirement détériore à la fois les comptes publics et ceux de la Sécurité sociale. L’indexation des retraites sur les prix – lesquelles ? Celles gérées par le régime général de la Sécurité sociale ? Celles complémentaires gérées par l’ARGIC-AARCO ? Celles des pensionnés des trois fonctions publiques ? – me parait être la simple application de la législation en vigueur. 

Quant à l’exemption des frais de notaire pour les petits achats immobiliers de primo-accédant (moins de 250.000 euros), cela ne révolutionnera pas les politiques publiques en matière de logement. La complémentaire-santé à 1 euro par jour va sans doute encore compliquer le panorama de la protection sociale : n’y a-t-il pas déjà la Complémentaire santé solidaire (ex-CMU-C) pour les plus modestes ? Ou alors s’agit-il de couvrir aussi prioritairement les retraités, qui, effectivement, par une simple logique d’âge, payent chers leur couverture complémentaire ? Mais là, si G. Attal voulait vraiment avoir un impact sur le retraité ordinaire, il y aurait un enjeu financier énorme derrière. Enfin, comment peut-on sérieusement mettre dans un programme gouvernemental dans un contexte aussi grave la mise en place d’achats groupés pour les fournitures scolaires ? Cela existe déjà, et, sauf erreur de ma part, les collectivités locales concernées s’occupent parfois déjà du problème.

Il faut bien dire en l’état actuel de ces propositions rendues publiques par Gabriel Attal que cela ressemble largement à un arrosage fort clientéliste d’argent public en direction des électeurs que l’on souhaite viser. De fait, sont, au centre de l’attention de la majorité sortante, des jeunes actifs, travaillant dans le secteur privé, ayant des enfants d’âge scolaire,  prêts à acheter leur première maison et à la faire rénover thermiquement, et désirant acheter une (seconde ?) voiture électrique. C’est plutôt la France qui va déjà plutôt bien et qui aimerait aller encore mieux. On notera tout de même que cet arrosage clientéliste d’un électorat qu’on entend surtout ravir au RN vient en contradiction totale avec la séquence gouvernementale précédente où il était urgent d’économiser des dizaines de milliards d’euros et que cet accent mis sur la nécessité de revaloriser le pouvoir d’achat des ménages valide complètement la propagande du Rassemblement national sur ce point. Après avoir voté en décembre dernier une loi sur l’immigration validant les analyses du Rassemblement national, la majorité sortante entend par la voix de Gabriel Attal valider celles de ce dernier sur le pouvoir d’achat. Il ne faudra pas s’étonner du résultat électoral aux soirs du 30 juin et du 7 juillet ensuite. 

Gabriel Attal a notamment annoncé que les retraites seront indexées sur l’inflation en cas de victoire aux prochaines législatives. Cela s’apparente-t-il à du clientélisme ? En quoi cela n'a-t-il pas de sens de préserver le pouvoir d'achat des retraités qui sont relativement privilégiés ?

Pierre Bentata : Cela n’a pas de sens sur le plan économique. Augmenter les retraites n’était absolument pas la priorité aujourd'hui. Même s’il y a une partie des retraités qui vivent avec des revenus qui sont globalement faibles, les retraités, en moyenne, ont quand même des revenus qui sont très élevés par rapport à la population active et lorsque le parallèle est fait avec les autres pays européens et les pays développés. Les retraites ne sont vraiment pas la population à cibler principalement. En réalité, il y a bien un aspect clientéliste. Les retraités sont en effet le cœur de cible de l'électorat d'Emmanuel Macron.

Ce programme destiné à améliorer le pouvoir d’achat n’intervient-il pas trop tard dans le cadre du mandat du chef de l’Etat et alors que la majorité joue sa survie à l’Assemblée nationale ?

Christophe Bouillaud : Bien sûr, depuis 2022, la majorité a laissé dériver les prix à la consommation, en se souciant exclusivement des prix de l’énergie. En faisant le bouclier tarifaire, elle a cru avoir tout réglé. Elle a refusé de voir que certaines entreprises profitaient de la situation de faible concurrence pour gonfler leurs prix de vente bien au-delà des contraintes objectives qu’elles rencontraient. Elle n’a pas non plus été capable de maitriser l’évolution du poste principal qui ronge le pouvoir d’achat des ménages : le logement, et qui est mécaniquement entrainé vers le haut pour les locataires par l’indexation automatique des loyers en fonction d’un indice lui-même très sensible à la vague inflationniste. De fait, le fameux choc d’offre promis en 2017 sur le logement aboutit tout de même en 2024 à un marché locatif extrêmement tendu et à des prix de l’immobilier presque au plus haut depuis des décennies.  Autrement dit, le sentiment de gêne économique que ressentent à présent beaucoup de nos concitoyens tient à des conditions de moyenne durée : pénurie de logements, surtout dans les régions les plus dynamiques, et absence de concurrence sur beaucoup de biens et de services. 

Surtout, à ce stade, à moins de deux semaines du premier tour, il ne peut y avoir qu’une infime minorité d’électeurs qui vont changer leur choix électoral parce que Gabriel Attal leur propose telle ou telle douceur qui leur conviendrait. Cela renforcera juste dans leur choix les convaincus. Les jugements politiques ne se font pas ainsi. C’est trop tard. De plus, je me répète, comment pouvoir critiquer ensuite l’absence de crédibilité en matière de finances publiques des deux adversaires (le RN et le Nouveau Front populaire) quand  soi-même on se lance dans la course aux largesses, juste après avoir annoncé un tour de vis budgétaire de 10 milliards d’euros en 2024 et avoir promis bien plus sur les années suivantes à la Commission européenne ? 

Par rapport au programme dévoilé, Gabriel Attal a annoncé l’ouverture de 400 usines d’ici 2027. En quoi ce programme annoncé par le premier ministre est-il déconnecté des capacités réelles du pays sur l'industrie ou l'économie, ou les finances publiques ?

Pierre Bentata : Les mesures prises dans ce programme posent véritablement question. Le gouvernement est capable soudainement de prendre des mesures concernant des ouvertures d’usines, des compensations des salaires avec des primes étendues de 6.000 à 10.000 euros. Le Premier ministre propose de mettre en place une complémentaire santé "publique" à 1 euro par jour pour ceux qui ne sont pas couverts par une mutuelle.

En l'espace de quelques jours, le gouvernement risque de s'apercevoir qu'il est tout à fait possible de mettre en place ces mesures. Une question va alors émerger : pourquoi n'ont-elles pas été mises en place plus tôt ? D’autant plus que la grogne sociale est assez évidente et qu’il y a des attentes sur le pouvoir d'achat, notamment en observant les intentions de vote. Les mesures du programme de la majorité pour les législatives ne sont pas cohérentes. Elles semblent avoir été prises dans l'urgence et en réalité, contrairement à ce qu'a dit Gabriel Attal, ces mesures ne sont pas financées. 

Si les propositions du gouvernement étaient vraiment financées, le fait de dévoiler ces mesures une fois le gouvernement en ballotage défavorable lors des élections constituerait une stratégie incompréhensible. Sur le plan économique, le contexte est difficile en France. En observant le dernier rapport du Conseil d'orientation des retraites et en regardant l'ensemble des statistiques économiques françaises, il est possible de découvrir que la France souffre véritablement d'un déficit qui est fort et qui commence à poser une question en termes de soutenabilité. La croissance est aussi minée par un déficit d'offre ou une difficulté pour l'offre à retrouver sa demande. 

La compétitivité, la productivité du travail tendent à faiblir. Il y a des difficultés dans la plupart des secteurs pour trouver de la main d'œuvre et pour arriver à la conserver. La mise en place d’une véritable politique économique doit passer par une politique de l'offre. 

Les deux partis populistes essayent de combattre ce que fait le gouvernement Macron en proposant une politique de la demande. Cela n'a pas de sens et ne va pas régler les problèmes. Cela va grever la compétitivité et nuire à la productivité. Le problème de l'emploi ne sera pas réglé. Les mesures proposées dans ce plan ne permettent pas de dépasser les problèmes rencontrés par la population aujourd'hui.

Christophe Bouillaud : C’est là un pur affichage. D’abord qu’entend-on ici par usine ? A partir de combien d’employés sur un site peut-on parler d’usine ? Surtout, sauf à mettre en place une planification à la soviétique, ce genre de promesse ne correspond à rien de tangible. Les électeurs n’y croiront que s’ils veulent y croire parce qu’ils ont déjà décidé de voter pour la majorité présidentielle, les autres hausseront les épaules.

Par ailleurs, en dehors de cet aspect électoral immédiat, il faut aussi bien se dire que la manière dont Emmanuel Macron a eu d’attirer les investissements étrangers sur le territoire français est largement liée à un dopage financier au profit des investisseurs. Le crédit impôt recherche (CIR), qui visiblement finance peu de la recherche technique et scientifique réelle sur le territoire français, en est l’exemple typique. Est-ce supportable à terme ? Surtout, ce qui plombe l’industrie française, c’est d’être de plus en plus dépendante de ces investisseurs extérieurs. Il faudrait déjà penser à rebâtir des groupes industriels français ayant un véritable ancrage sur le territoire. Plus de Michelin et moins d’Amazon ou d’Uber en somme. 

Qu'est-ce que ce programme nous dit de la vision de l'économie d'Emmanuel Macron? Est-ce que le chef de l’Etat n'a pas d'ambition sur le plan économique et dans la création de richesses ?

Pierre Bentata : Les mesures dévoilées par la majorité sont clairement des effets d'annonce et de la pensée à court terme. Il n'y a pas une stratégie qui se dessine derrière. Le macronisme, sa manière de diriger est très étatique. Cela donne l'illusion que l'Etat est celui qui donne les impulsions et qui peut gérer une économie. Cela est donc très dirigiste. Emmanuel Macron n'est pourtant pas du tout perçu comme tel. Le président de la République est souvent considéré comme étant libéral, d'avoir été néolibéral, d'avoir détruit toutes les capacités de l'Etat. Or, s'il y a une vision dans le macronisme, elle est très dirigiste et à très court terme. 

Emmanuel Macron est accusé d'être libéral alors qu'il ne l'est absolument pas. En revanche, il est blâmé pour un bilan qui n'est pas le sien. Il est possible d’être en désaccord avec la politique économique qui est menée car elle est trop dirigiste.

En revanche, si l’on se moque et que l’on ne se préoccupe absolument pas de la dette, ce qui semble être le cas d’une majorité de Français, alors il faut considérer que le bilan d'Emmanuel Macron est plutôt positif. Ses mesures dirigistes ont contribué à la création de 1,5 million d'emplois. Le pouvoir d'achat ne s'est pas effondré. La situation des Français est globalement meilleure par rapport aux mandats des présidents précédents. Le problème de la politique économique d'Emmanuel Macron est qu’elle n’est pas très bien pensée et trop dirigiste. Le chef de l’Etat a fait en réalité ce que les autres attendent des partis d'opposition. Emmanuel Macron est surtout accusé de quelque chose qu'il n'a jamais mis en place : une politique libérale.

Christophe Bouillaud : D’abord, il faut se poser une vraie question : Emmanuel Macron a-t-il vraiment une stratégie pour gagner ces élections législatives ? J’en doute fortement. D’après les informations parues dans le Monde, Emmanuel Macron prétend avoir préparé son coup depuis des mois. Si tel est le cas, vu le fait qu’il n’a pas mis dans la confidence la plupart de ses ministres et qu’aucun programme sérieux n’a visiblement été préparé pour ces élections anticipées, il donne plutôt l’impression qu’il fait tout pour en arriver à une éclatante victoire du RN afin de pouvoir devenir un Président de cohabitation, et d’être ainsi débarrassé des médiocres qui le suivent depuis 2017. Dans quelle intention ? Je l’ignore. Candidats et électeurs centristes sont jetés sous le train par leur propre Président. 

Ensuite, ces mêmes médiocres – les Attal, Philippe, Bayrou et compagnie – ne l’entendent pas eux de cette oreille. Ils ne veulent pas de ce plan général de liquidation.  Ils font campagne en urgence avec les outils intellectuels dont ils disposent. Vu le peu de temps à disposition, Gabriel Attal a visiblement composé cet embryon de programme, que je viens de commenter, avec quelques conseillers en quelques heures pour donner l’impression d’avoir quelque chose de nouveau à proposer. Cela ne trompera personne d’un peu informé. Probablement, Bruno Le Maire va jouer de son côté la carte de la peur de l’écroulement financier. Tous vont dénoncer le danger pour les valeurs de la République. 

Il est possible que les candidats Ensemble sauvent les meubles, mais cela sera vraiment en dépit du Président Macron. Il est possible que ces candidats sombrent. Quoi qu’il en soit, sauf miracle électoral qui démentirait des décennies de savoirs électoralistes, la défaite du camp présidentiel déclenchera sans doute une recomposition en son sein. Il est peu probable qu’Emmanuel Macron y jouisse à l’avenir d’une grande autorité, bien au contraire. Il sera, en pire, comme Chirac après la dissolution ratée de 1997, sans pouvoir se représenter et sans parti solide derrière lui.

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