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Le tourisme, qui s’imaginait gérer une mine d’or perpétuelle, est confronté à la crise la plus grave de son histoire
©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Inédit

Pendant trois mois, le chiffre d’affaires du tourisme mondial s’est complètement effondré. Aujourd’hui, le secteur sort peu à peu du coma, mais les transformations structurelles qui avaient été niées ou retardées s’imposent dans le transport, l’hôtellerie, les clubs de vacances...

Aude Kersulec

Aude Kersulec

Aude Kersulec est diplômée de l' ESSEC, spécialiste de la banque et des questions monétaires. Elle est chroniqueuse économique sur BFMTV Business.

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Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Le tourisme est le secteur qui a le plus bénéficié des aides de l’Etat depuis le début de la crise. Sous perfusion de chômage partiel à 100% ou de liquidités garanties par l’Etat, il le sera encore pendant de longs mois. A tel point que beaucoup d’établissements trouvent dans la perfusion financière une situation bien plus confortable que de rouvrir et subir les aléas de l’économie. Qui aurait pu imaginer cela il y a quelques temps encore?

Les acteurs du tourisme, eux, se pensaient intouchables. Limite arrogants, ils ont toujours pensé échapper à toute crise. Avec la croissance économique mondiale, l’élévation des niveaux de vie, l’allongement de l’espérance de vie en bonne santé, avec les progrès technologiques dans l’aéronautique et du digital, les entreprises du secteur s’étaient convaincues d’exploiter des mines d’or inépuisables. Les plus grands groupes, par leur présence internationale, pensaient avoir diversifié le risque lié à une catastrophe naturelle ou un événement géopolitique. Les plus modestes exploitaient des niches au plus près des segments de clientèle. Le low-cost, la mondialisation avaient mis à la portée de tous la capacité de voyager et de s’offrir des paysages de rêve. Alors, une crise capable de coller au sol tous les avions de la planète, un virus terrorisant les touristes du monde entier au point de les voir refuser de s’aventurer en dehors de chez eux, paraissait inimaginable, même dans une fiction Netflix concoctée dans les esprits les plus fertiles d’Hollywood.

Une industrie « bénie des dieux », nous disait encore il y a quelques mois Sébastien Bazin, président directeur général d’Accor, le plus grand groupe hôtelier européen avec 5 085 hôtels et des marques que tout le monde connaît : Sofitel, Ibis, Novotel et tant d’autres.

« Bénie des Dieux », d’abord, parce qu’on pensait que c’était un secteur de croissance stable et durable. Le tourisme gagnait, depuis plus de 50 ans, 3 à 5% de plus chaque année en termes de chiffre d’affaires, car plus de clients avaient accès au voyage et à une fréquence plus élevée. Deuxième plus grande industrie au monde, après le secteur des Tech– avec notamment les GAFA. Et depuis que la classe moyenne chinoise s’était mise à voyager, il y avait de la croissance embarquée pour des décennies. Le Club Med l’avait bien compris en multipliant l’ouverture de ressorts hyper luxueux à quelques kilomètres des grandes mégalopoles chinoises. Pierre et Vacances, aussi, qui, à partir d’une station de ski bien française sur le plateau d’Avoriaz, est devenu le numéro un mondial des résidences de vacances.

Ensuite, c’était un secteur créateur d’emplois. 350 millions d’emplois, soit 1 sur 10, dans le tourisme qui est ainsi devenu le plus gros employeur du monde. Bien plus gros que l’automobile… Ce qui en fait un secteur d’autant plus surveillé par les politiques quand ça va mal, car, par contrecoup, il est aussi celui qui produit le plus de chômeurs.

A cause du poids de son tourisme (7% du PIB annuel), l’économie française se retrouve être une des plus affectées par la crise, avec des disparités régionales extrêmement grandes. Si pour le nord de la France, le tourisme est marginal, pour la Corse, c’est le moteur puisque plus de 30% du PIB et presque 50% des emplois en dépendent.

A la différence des parcs de loisirs, musées ou restaurants, les hôtels n’ont pas été frappés par le décret gouvernemental instituant une fermeture administrative. Ils n’étaient pas dans l’interdiction d’accueillir des clients, tant qu’ils fermaient les lieux communs de restauration ou de réunion. Mais dans les faits, 95% des établissements ont préféré fermer, parce qu’il n’y avait plus de clients. Les touristes étrangers ont arrêté de voyager et les hommes d’affaires ont annulé leurs séminaires au bout du monde et se sont mis au télétravail.

Pas de voyage, pas de mobilité, donc pas d’hébergements.

Alors que les opérations de déconfinement se poursuivent, certains hôtels hésitent encore à rouvrir leurs portes. Les vols internationaux devraient reprendre progressivement pendant l’été, sans garantir un retour à la normale avant la fin de l’année, voire l’été prochain. La visibilité n’est pas bonne.

Le problème de l’hôtellerie, mais aussi des parcs de loisirs, des campings, des clubs de vacances, c’est que tous devront s’adapter aux nouvelles règles sanitaires, en même temps que trouver des nouveaux gisements de croissance et inventer le tourisme de demain.

Première piste : la technologie connectée. Le digital avait déjà transformé en quelques années l’ensemble de la commercialisation, en imposant une mutation radicale des moyens de vente et de réservation, avec des plates-formes qui ont généré une nouvelle concurrence, comme Booking ou Airbnb. Demain, la technologie va forcément envahir les hôtels, du moins ceux qui veulent se moderniser. Pour des raisons de santé d’abord, c’est primordial pour refaire venir les clients. Un groupe comme Accor annonce déjà des téléconsultations médicales en ligne disponibles depuis la chambre d’hôtel. Pour des raisons pratiques ensuite, parce que les outils de télécommunication et de réunion en ligne se sont tellement généralisés que les voyageurs d’affaires, même s’ils sont moins nombreux, ne pourront plus faire l’impasse dessus s’ils veulent rester en lien avec leurs équipes. Enfin, une technologie au service du confort, parce que l’hôtellerie reste avant tout un secteur de services qui se servira demain de l’intelligence artificielle ou de la reconnaissance faciale pour proposer aux clients des activités ou des services personnalisés.

Deuxième piste plus structurante : l’hôtel ou la résidence hôtelière ne seront plus le lieu d’accueil uniquement des voyageurs, les habitants de proximité sont de plus en plus invités à y prendre leur place. A prendre un verre, un repas, venir à la piscine ou à un concert organisé par l’hôtel. C’était la tendance qu’avaient lancé certaines chaînes hôtelières, les Center Parcs ou même les parcs à thème. Au Puy du Fou comme chez Disney, à Marne-la-vallée, on n’y vient pas seulement assister à un spectacle, on vient y séjourner pour 2 ou 3 jours, se distraire ou pour travailler dans le cadre d’un séminaire d’entreprise.

Dès les premiers Novotel, d’ailleurs, l’idée avait hanté l’esprit des fondateurs d’Accor, Paul Dubrule et Gérard Pélisson, puisqu’ils avaient décidé d’installer une piscine pour remplir l’hôtel durant les week-ends.

« Pendant 50 ans on s’est adressés seulement à ceux qui avaient besoin d’une chambre et d’une douche, dans 50 ans j’espère qu’ils ne seront que 50%» résume Sébastien Bazin. Avec spa ou un rooftop, l’hôtel devient forcément plus attirant.

Troisième axe de développement, la prise en compte de cette vague écolo et environnementale. Parce qu’aujourd’hui, le touriste veut rouler vert ou voler vert… Les périodes de confinement ont redonné toute leur beauté et leur naturalité à des lieux connus de tous, mais défigurés par le tourisme de masse, et notamment près de la Méditerranée.

Demain, il faudra faire sans la masse, ou alors faire en sorte qu’elle ne se voit pas.

Reste un problème : la tendance lourde qui touche une partie des populations des pays développés, convaincues que, dans l’immédiat, un des moyens les plus efficaces de lutter pour l’environnement et le climat serait la décroissance et notamment une diminution des voyages de par le monde. Comme ceux qui pensent que « la meilleure façon de ne plus polluer en avion, c’est de ne pas prendre l’avion » dans la dernière campagne de Réseau Action Climat. « Prendre l'avion est parfaitement incompatible avec le respect de l'Accord de Paris ». Radical et culpabilisant, mais pas très progressiste. Ca n’encourage pas la création ou l’innovation.

L’écologie de la décroissance est vouée à l’échec. D’abord, parce qu’elle est liberticide. Elle prive les individus de leur liberté de choix et le voyage est l’expression la plus visible de la liberté, beaucoup plus que la liberté de penser. Mais ensuite, cette écologie punitive ou contrainte est un privilège de riches. Comment expliquer aux habitants des pays émergents qu‘ils n’auront pas le droit de voyager, de s’instruire par le voyage ou de découvrir d’autres sensibilités ou cultures ?

Si, dans les démocraties occidentales, les responsables politiques n’ont pas l’intelligence de mobiliser des moyens autrement plus positifs, par la recherche et la technologie, pour lutter pour le climat, de proposer des alternatives plutôt que de contraindre, ça n’est pas des crises sociales qu’ils auront à gérer, mais des guerres mondiales, entre ceux qui ne voyagent plus et ceux qui en ont très envie parce que, pour eux, c’est un facteur de progrès.

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