Le rôle ambigu joué par la Croix-Rouge dans la fuite des nazis à la fin de la Seconde Guerre mondiale<!-- --> | Atlantico.fr
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Le drapeau de la Croix-Rouge au siège de l'association, à Genève.
Le drapeau de la Croix-Rouge au siège de l'association, à Genève.
©Reuters

Bonnes feuilles

Dès 1945, des dizaines de nazis ont réussi à fuir une Europe en plein chaos. Malgré elle, la Croix-Rouge a participé à la fuite de ces criminels de guerre. Extrait de "Les nazis en fuite", publié aux éditions Perrin, 2015 (1/2).

Gerald  Steinacher

Gerald Steinacher

Professeur et historien à l'université du Nebraska, Gerald Steinacher a également enseigné à Harvard. C'est un spécialiste de l'Europe central au 20e siècle. Il est l'auteur du livre Les nazis en fuite (Perrin, 2015)

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Le CICR se souciait principalement du sort des prisonniers de guerre. Afin de pouvoir poursuivre sa mission humanitaire, il jugeait qu’il valait mieux ne favoriser aucune nation – pas même en prêtant assistance aux victimes des camps de concentration. Le principe de stricte neutralité devint primordial pour sa direction, qui ne manqua pas de l’utiliser constamment. Après la fin de la guerre, il se défendit contre ceux qui l’accusaient d’avoir peu fait pour lutter contre l’Holocauste en invoquant la clause d’irresponsabilité : seuls les prisonniers de guerre – et non les prisonniers civils – étaient protégés par la convention de Genève. En conséquence, le CICR ne se sentait investi d’aucune responsabilité concernant la protection des individus détenus dans les camps de concentration. Aucune disposition n’avait été prise par les conventions de Genève de 1864 et 1929 concernant le bien-être des civils détenus. Un plan avait été négocié à cette fin à Tokyo en 1934, mais sa ratification avait été retardée par la guerre. Quand la Seconde Guerre mondiale éclata, le CICR proposa aux puissances belligérantes d’adopter le projet de convention préparé à Tokyo afin de protéger les civils. Toutefois, les gouvernements concernés étaient souvent peu disposés à prendre de tels engagements humanitaires.

La Société des Nations étant réduite à l’inaction en raison de la guerre, le CICR fut de loin la plus importante organisation non gouvernementale active pendant le conflit. Sa direction savait ce qui se passait dans les camps d’extermination depuis 1942-1943. Tout comme les Alliés et l’Église catholique, il disposait d’un réseau planétaire d’informateurs. Or, demandait le journaliste Heiner Lichtenstein, qui, dans ce contexte, avait plus besoin d’aide que les détenus des camps de concentration7 ? Or, les secours s’adressaient aux prisonniers de guerre, aux blessés, aux victimes des bombardements aériens. En dehors du CICR, d’autres organisations essayaient également de fournir de l’aide, mais des millions de prisonniers de guerre restaient exclus de l’aide internationale et réduits à mourir de faim, notamment parce que le Comité n’avait aucun mandat pour s’occuper d’eux. L’un des enjeux était le sort des prisonniers de guerre soviétiques. Comme l’Union soviétique n’avait pas ratifié la convention de Genève de 1929, ses soldats échappaient au champ de protection du CICR. Ce n’est que quelques mois avant la fin de la guerre qu’il prit contact avec les dirigeants SS. En novembre 1944, il avait été mis fin au meurtre de masse dans le camp d’Auschwitz. Le Reichsführer-SS Heinrich Himmler tenta de prendre langue avec les Alliés occidentaux par l’intermédiaire de la Suède. C’est dans ce contexte que plusieurs rencontres entre certains officiers SS de haut rang et des représentants du CICR eurent lieu au printemps 1945. Tout comme Himmler, ses subordonnés désiraient négocier un échange, mais ils voulaient surtout sauver leur tête. En se servant des Juifs comme otages et en collaborant avec le CICR, ils espéraient y parvenir.

Le cas de Raoul Wallenberg démontre que le CICR aurait probablement pu faire davantage pour sauver des vies humaines. Diplomate travaillant à l’ambassade de Suède à Budapest, Wallenberg mit en place son propre programme de secours en 1944. Il entreprit de loger des Juifs censés rendre visite à des parents résidant à l’étranger. Surtout, il remettait à ces Juifs hongrois des passeports suédois, ou Schutzpässe. Pour simple que fût l’aspect de ces documents, ils n’en étaient pas moins efficaces. Les «passeports de protection» délivrés par Wallenberg et ses collaborateurs étaient des documents non officiels, et par conséquent dénués de toute autorité juridique. Mais les SS les tenaient malgré tout pour officiels et confiaient ceux qui les possédaient à la protection de l’ambassade de Suède. Avec le temps, le CICR commença à prendre part à l’action de sauvetage des Juifs hongrois en leur remettant des laissez-passer et d’autres papiers10. C’est ainsi que l’initiative qui conduisit le CICR à établir des documents d’identité commença en Hongrie entre 1944 et 1945. C’est là qu’on s’aperçut pour la première fois du pouvoir qu’un simple morceau de papier pouvait receler, et que l’on prit conscience de la réputation immense du CICR et de la puissance de son réseau planétaire. À la fin de la guerre, ses délégués s’attaquèrent à un nouveau défi d’importance et s’y consacrèrent avec plus de réussite encore : porter secours aux centaines de milliers de prisonniers de guerre et soldats blessés bloqués en Europe de l’Ouest.

Aux côtés des forces alliées, le CICR porta le fardeau des mois chaotiques de l’après-guerre. La Croix-Rouge devait notamment s’occuper d’un grand nombre de réfugiés qui ne voulaient pas – ou ne pouvaient pas – retourner dans leurs terres d’origine. La purification ethnique devint un phénomène de masse. Dans des notes rédigées à l’intention du CICR, des personnes déplacées cherchant à obtenir de l’aide donnaient leurs motifs : «Parce que je suis allemand, et comme ma Poméranie d’origine est maintenant occupée par les Polonais, je ne peux et ne veux pas y rentrer, car je ne veux rien avoir affaire avec le communisme. Parce que mes parents ont très probablement été déportés ou tués par les Russes, je voudrais travailler en Suisse»

Extrait de "Les nazis en fuite", de Gerald Steinacher, publié aux éditions Perrin, 2015. 

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