Le coup de poker de Jack Lang, le président de l’Institut du monde arabe qui veut éjecter le traiteur libanais Noura de ses murs<!-- --> | Atlantico.fr
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La bataille entre Jack Lang et le groupe libanais Noura connaît ce jeudi 5 novembre un nouveau rebondissement.
La bataille entre Jack Lang et le groupe libanais Noura connaît ce jeudi 5 novembre un nouveau rebondissement.
©Reuters

Duel judiciaire

La bataille entre Jack Lang et le groupe libanais Noura connaît ce jeudi 5 novembre un nouveau rebondissement : la Cour d’appel de Paris doit dire si le contrat qui lie Noura à l’Institut en matière de restauration doit être ou non résilié. En première instance, le 21 mai dernier, le Tribunal avait répondu par la négative. Plus de cinq mois après cette décision, les antagonismes entre les deux parties sont toujours aussi puissants. Si d’aventure Noura était éjecté de l’IMA, il serait contraint de se séparer d’une cinquantaine de salariés.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Audience capitale ce 5 novembre : la Cour d’appel de Paris doit dire si le contrat entre le groupe Noura et l’IMA doit être ou non résilié
  • Depuis plusieurs mois, Jack Lang ne cesse de répéter que les conditions d’hygiène de la restauration sont mauvaises et que la nourriture y est médiocre. Autant de raisons pour que le contrat entre Noura et l’IMA soit dénoncé
  • De son côté, Noura fournit des témoignages qui vont à l’inverse des affirmations de l’ancien ministre de la Culture de François Mitterrand
  • Noura reproche également à l’IMA d’avoir fait appel à des concurrents pour leur confier un certain nombre de manifestations (réceptions, cocktails). Or, le traiteur avait l’exclusivité des dites manifestations
  • En première instance, le Tribunal n’avait pas cru devoir indemniser Noura pour ce manque à gagner. Pour justifier sa décision, il invoquait un chiffre d’affaires qui était allé crescendo entre 2013 et 2014

Deuxième manche du conflit qui oppose l’Institut du monde arabe (IMA), présidé par Jack Lang, au traiteur libanais Noura : elle a lieu ce jeudi 5 novembre devant une chambre civile de la Cour d’appel de Paris. Seront face à face, Me Andrée Fougère pour l’Institut et Mes Gilles Hittinger-Roux et Mbaye Diagne pour Paul Bou Antoun, le patron de Noura. L’enjeu est capital car la Cour d’appel aura à dire entre autres – si elle résilie ou pas le contrat d’exploitation de restaurants qui, depuis 2007, lie Noura à l’Institut du Monde Arabe. Ce dernier a été débouté en première instance le 21 mai dernier.

La Cour aura également à dire si Noura, qui affirme avoir été doublé par des concurrents à diverses occasions ( cocktails, expositions, manifestations), alors qu’il avait une exclusivité dans ce domaine, a droit à une indemnité pour manque à gagner. Le 21 mai dernier, Noura avait été renvoyé dans ses cordes sans rien n’obtenir. Naturellement, ce 5 novembre, les conseils du traiteur reviendront à la charge pour tenter de renverser la vapeur. La Cour aura aussi à se prononcer sur la véracité des accusations de l’Institut du Monde Arabe qui estime que les conditions d’hygiène du restaurant Noura laissent à désirer et que la nourriture n’a rien d’exceptionnelle. 

Avant d’entrer dans le vif du sujet, la Cour d’appel devra se pencher sur la capacité de Jack Lang, en tant que président de l’IMA à ester en justice. Pour les avocats de Noura, la réponse est non. Pour deux raisons : 1-Jack Lang n’a a pas sollicité l’autorisation de son conseil d’administration. 2-Il n’a pas consulté, au préalable, le contrôleur public financier, ce qui est obligatoire pour les organismes bénéficiant de subventions publiques, depuis un arrêté du 28 mars 1996. Une vision que ne partage pas Me Fougère, conseil de Jack Lang. Et de citer, dans ses conclusions, l’article 18 de la loi du 23 juillet 1987 qui dispose : « La capacité juridique des fondations est celle de pouvoir : ester en justice, procéder à tous actes d’administration et de disposition » etc.

Pour comprendre cette audience du 5 novembre, un petit retour en arrière s’impose. En effet, derrière cette bataille judiciaire, il semble bien que se cache le désir de Lang, dès sa nomination à la tête de l’IMA en février 2013, de se débarrasser de Noura, spécialiste de cuisine libanaise au profit d’un autre groupe qui lui aurait été un adepte de la cuisine marocaine qu’apprécie tout particulièrement l’ancien maire de Blois. Au fond, dans cette histoire, tout ne serait-il donc qu’affaire de cuisine ? L’explication serait un peu courte…

Nous sommes à l’automne 2007. L’Institut du Monde Arabe, peu satisfait des services de son restaurateur, Yara-Prestige, lance un appel d’offres pour lui trouver un successeur. C’est le groupe libanais bien connu, d’excellente réputation, Noura, qui emporte le morceau. A charge pour ce dernier d’exploiter le restaurant « Le Zyriab » situé au 9ème étage, le self dit « Le Moucharabieh » et « Le Café littéraire » installé au rez-de-chaussée. En contrepartie, Noura devra acquitter un loyer de 150 000 euros par an, agrémenté d’une taxe sur le chiffre d’affaires. Aussi bien avec Renaud Muselier qu’avec Dominique Baudis, les prédécesseurs de Jack Lang, les choses se passent bien.

A partir de février 2013, date de la nomination de l’ancien ministre de la Culture de François Mitterrand, cela se gâte. C’est ainsi que, dès le mois de mars, l’entourage du président de l’IMA évoque la résiliation du contrat liant Noura à l’Institut. Un mois plus tard, la situation se tend : l’IMA envoie une lettre à Noura dans laquelle il envisage de rendre payante la jouissance de la terrasse du 9ème étage attenante au restaurant « Le Zyriab. » Une disposition qui n’a jamais été prévue. Quelque temps après, le 13 mai, l’IMA revient à la charge. Cette fois, il réclame une redevance de 87 500 euros pour l’utilisation de la fameuse terrasse, cela entre le 15 juillet et le 31 août 2013… Soit 45 jours. Refus du groupe Noura. Ce dernier, pour détendre l’atmosphère, a beau proposer quelques gentillesses à Jack Lang, comme un tarif préférentiel de 25 euros par personne pour les membres de la direction de l’ Institut, au « Zyriab », les rapports entre les deux parties ne s’améliorent pas. C’est le moins qu’on puisse dire.

Le 17 octobre 2014, survient un coup de théâtre qui marque le point de non-retour dans les relations entre le traiteur et l’IMA : ce jour-là, Me Andrée Fougère, avocate de l’Institut ,dans une lettre adressée à Paul Bou Antoun, le patron de Noura, lui fait savoir que le contrat le liant à l’IMA va être résilié. D’ailleurs, un nouvel appel d’offre a été lancé fin 2014, ce qui est peu orthodoxe puisque que le contrat signé entre Noura et l’IMA court jusqu’en 2017. Pour la petite histoire, ce nouvel appel d’offres ne peut que plaire à Jack Lang. En effet, à la rubrique : Avantages permanents à la présidence/direction générale de l’IMA, peut lire : « Le président de l’ IMA devra bénéficier gracieusement et dans la limite de 1 000 couverts par an, d’une table ouverte au « Zyriab » à longueur d’année. » Au cours de l’audience du 5 novembre, on parlera beaucoup de cet appel d’offres et bien sûr du contrat de 2007 liant Noura à l’Institut… Pour Jack Lang et son avocate, Me Andrée Fougère, Noura peut parfaitement être déchu de sa délégation de service public puisqu’il ne remplit pas ses obligations, notamment dans le domaine de la qualité de ses repas, en dépit des remarques de son président. Et Me Fougère de re-citer le procès-verbal du comité d’hygiène et de sécurité du 6 mai 2014 dans lequel on peut lire : « La qualité des repas est très aléatoire. Il n’y a plus de fruits, cela fait cinq mois que personne n’a vu de salade de fruits. Il y a rarement du fromage. Les commandes ne sont pas faites régulièrement. Il y a souvent une grande sauce et on ne voit pas ce qu’il y a dedans. »

De leur côté, Mes Hittinger-Roux et Diagne, conseils de Paul Bou Antoun ne se priveront pas de montrer le livre d’Or du Zyriab dans lequel Anne Hidalgo , la maire de Paris, Aurélie Filippetti, ancienne ministre de la Culture, Najat-Vallaud-Belkacem et autres Nathalie Kosciusko-Morizet se déclarent emballées par les repas qu’elles y ont pris. Paul Bou Antoun en profitera aussi pour montrer à la Cour l’élogieux témoignage du directeur du Carlton de Cannes satisfait des prestations données par son groupe du 1er juillet au 6 septembre 2015. Il fera part encore de la satisfaction du « Printemps », des « Galeries Lafayette », des sociétés foncières Unibail-Rodamco et Klepierre qui ont fait entrer le groupe Nora dans leurs locaux.

Demeure la question de la nature juridique du contrat : est-il de droit public comme le soutient Jack Lang et son avocate et donc résiliable ? Au contraire, pour les conseils de Noura, ce contrat ne peut être que de droit privé. La raison en est simple : Noura est une entreprise privée et le co-contractant, l’IMA n’est pas un établissement public, mais une fondation de type association loi de 1901. Aussi, la demande de résolution réclamée par l’avocate de l’IMA est impossible. L’analyse des avocats de Noura, qui sera à nouveau développée ce 5 novembre, a été validée en première instance le 21 mai dernier. Depuis, elle a été affinée, puisque ces derniers, arguments juridiques à l’appui, feront valoir à la Cour que c’est un bail commercial, beaucoup plus protecteur pour Noura, qui lie cette dernière à l’IMA.

Sera à nouveau examinée l’épineuse question de l’organisation des manifestations ( cocktails, réceptions) confiée à des concurrents de Noura… C’est, par exemple, la réception de 500 personnes confiée le 21 juin 2014, à l’occasion de la Fête de la Musique, à la société Atlas. C’est, le 9 février 2015, la préparation d’un cocktail pour 600 personnes, attribuée, encore, à la société Atlas. Le 10 mars, c’est la société Duval qui décroche le contrat pour un petit déjeuner servi à 100 personnes. Tout cela est bel et bon. Sauf que Noura, arguant de son exclusivité sur toutes les manifestations ayant lieu à l’IMA, réclame aujourd’hui 1 235 662 euros. Une somme qui représente le manque à gagner occasionné par des contrats accordés indûment. En première instance, Noura réclamait 700 000 euros. Si cette somme a été revue à la hausse, nous précise Me Diagne c’est parce que la liste des manifestations confiées à des concurrents de son client, s’est étoffée. En première instance, faut-il le rappeler, Noura était, à l’issue de l’audience, parti bredouille, le Tribunal estimant qu’il n’avait rien perdu du tout. Et pour cause, pouvait-on lire dans le jugement, son chiffre d’affaires avait grimpé, entre 2013 et 2014, de 2 252 000 euros à 2 920 000 euros. 

Bref, c’est une sorte de duel à l’épée, comme aux temps anciens, qui se déroulera devant les trois magistrats de la Cour d’appel de Paris. Une lutte à mort, puisque l’IMA demande à la Cour d’éjecter Noura de l’IMA, le cas échéant en, l’expulsant avec l’assistance de la force publique. Si cette hypothèse était retenue, Noura réclame alors que lui soit versé une indemnité de 4 350 000 euros, augmentée des frais de déménagement, d’indemnisation des fournisseurs et des frais de licenciement de son personnel… « Si d’aventure, Noura se voyait contraint de quitter l’IMA, ce serait une catastrophe pour l’entreprise, surtout en cette période de basses eaux économiques, car une cinquantaine de ses salariés, sans compter les sous-traitants, se retrouverait sur le carreau », nous confie encore Me Diagne.

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