Le complotisme, une technique facile d’accusation pour éviter les questions qui fâchent dans les démocraties en déliquescence<!-- --> | Atlantico.fr
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complotisme covid-19 coronavirus complots fake news
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©WILLIAM WEST / AFP

Liberté d'expression

En ces temps de pandémie, H16 revient sur les accusations de complotisme qui fleurissent, menaçant la liberté des débats.

Hash H16

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H16 tient le blog Hashtable.

Il tient à son anonymat. Tout juste sait-on, qu'à 37 ans, cet informaticien à l'humour acerbe habite en Belgique et travaille pour "une grosse boutique qui produit, gère et manipule beaucoup, beaucoup de documents".

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Comme le disait ce gros rigolo de Lénine (un gâte-sauce qui cassait beaucoup d’œufs sans parvenir à faire d’omelettes), « il y a des décennies où rien ne se passe et des semaines où des décennies se produisent »… Et cela a rarement été aussi vrai qu’en 2020.

Regardez donc : si, en 2019, certains sujets étaient considérés au mieux comme une anticipation hardie, au pire comme une lubie sans fondement, l’année 2020 aura profondément modifié la donne puisqu’ils semblent maintenant presque d’actualité.

Ainsi, le revenu universel n’est pas encore en place, mais force est de constater que tout au long de l’année, un nombre croissant de personnes ont littéralement été payées pour rester chez elles.

Ainsi, le traçage de plus en plus fin et systématique du citoyen, s’il était encore impensable il y a une douzaine de mois, est en train d’entrer dans les mœurs, quasiment sous les applaudissements du public apeuré.

Ainsi, il aurait semblé invraisemblable qu’en France soit instauré une autorisation de sortie de chez soi. Pas besoin d’élaborer, on sait maintenant ce qu’il faut faire pour avoir son auto-humiliation toujours avec soi.

Ainsi, la lente disparition de l’argent liquide a fait place à son évaporation quasi-complète. Le paiement est maintenant électronique et sans contact quasiment partout et tout le temps.

Ainsi, il aurait semblé invraisemblable qu’on impose un passeport médical ou un traçage médical et une vaccination obligatoire à tout adulte sur le territoire. Il faudrait être naïf à présent pour croire que ce qui était invraisemblable il y a 12 mois l’est encore maintenant et le sera encore dans 12 mois.

Or, s’il y a douze ou treize mois, vous aviez l’idée d’évoquer ceci, on vous aurait immédiatement catalogué de fou. Ou, plus gentiment, de complotiste. Or, tout le monde sait qu’on ne peut pas, on ne doit pas être complotiste tant il est évident que non seulement, les complots n’existent pas (ou sont si rares qu’on n’est pas prêts d’en voir hein, n’est-ce pas), et qu’en plus, ils sont souvent utilisés pour camoufler une mauvaise compréhension d’une réalité souvent aussi banale qu’évidente.

Mais de la même façon qu’il n’y a pas de conglomérat militaro-industriel ou que les industries pharmaceutiques ne se mettent pas des douzaines de politiciens et de médecins dans la poche à coups de chèques dodus, on sait aussi qu’il n’y a rien de plus efficace, surtout actuellement, que d’estampiller l’opposant de « complotiste » pour le faire taire.

Oh, bien sûr, en distribuant de cet anathème, on est à peu près certain de tomber juste un grand nombre de fois tant il est facile, par apophénie de plus en plus répandue, d’échafauder des théories fumeuses (avec ou sans reptiliens, Illuminatis et autres Nazis de la face cachée de la Lune) qui permettent d’expliquer, d’une façon généralement aussi tordue qu’élaborée, les événements souvent chaotiques de l’actualité.

Malheureusement, cette distribution généreuse d’épithètes rigolos tombe parfois mal et conduit à mettre dans le même panier tous ceux qui émettent des avis contraires à la doxa du moment, depuis ceux ayant des arguments censés et logique jusqu’aux pires illuminés, amalgamant alors les premiers avec les derniers dans un magnifique ad hominem argumentatif.

L’avantage d’un tel comportement est qu’il permet de rejeter tout effort d’argumentation puisque, tout le monde le sait, le complot n’existe pas et qu’il tient du délire (éventuellement psychiatrique). La liberté d’expression est sauve : on n’empêche pas le complotiste de parler, on ne s’occupe plus de lui du tout, et l’affaire est réglée.

Mieux encore : ceux qui veulent rester dans le camp des rationnels et qui veulent qu’on continue de les écouter feront alors absolument tout pour s’écarter le plus vivement possible des thèses que certains auront qualifiées de complotistes.

C’est pratique puisque le débat s’en trouve alors généreusement amputé, et la critique, même raisonnable, empoisonnée par ces soupçons, devient impossible à formuler.

Les exemples de ce comportement s’accumulent actuellement de façon inquiétante : il y a deux mois, s’inquiéter du contenu de l’ordinateur portable de Hunter Biden était clairement complotiste et relevait même d’une faute de goût doublée d’une évidente collusion avec les forces russes (apparemment toujours dans des coups fourrés).

Du reste, on ne pourra que constater que ce sont les mêmes médias qui distribuaient de l’anathème complotiste à ce sujet, qui sont largement revenus sur leurs positions actuellement, et qui continuent pourtant de nier la moindre irrégularité dans l’élection américaine, amalgamant avec fougue les plus ardents défenseurs de thèses farfelues avec ceux, plus raisonnables, qui doutent simplement du résultat de cette élection. À présent, douter de ces résultats, c’est à la fois être pro-Trump et être dans le gloubiboulga des gens fous, sans plus aucune nuance.

On observe exactement le même phénomène avec le professeur Raoult, qui aboutit à mettre dans le même paquet ceux qui sont pour une approche pragmatique (isoler, traiter, soigner, accompagner), recommandée par le médecin marseillais, et ceux qui sont anti-vax, anti-5G, etc.

Dans ces histoires, la presse semble prendre son rôle très à cœur et n’hésite pas à monter au créneau pour désigner ceux qui sont les complotistes, ces individus qui échafaudent des théories toujours plus fumeuses à base de rumeurs jamais vérifiées. D’autant moins vérifiées que les médias les ont qualifiées de théories du complot et ne veulent surtout pas enquêter de peur de leur donner du crédit…

À la fin, le doute n’est plus permis et il est même durement sanctionné : actuellement, la sanction est essentiellement sociale (par l’ostracisme notamment), mais on peut garantir que la loi s’en mêlera, éventuellement à la façon chinoise avec retraits de points sociaux ou autres sanctions plus ou moins mortifères.

Petit à petit se construit une société où il n’existe plus de demi-mesure, rendue impossible selon la rhétorique du « Pas avec moi donc contre moi » poussée à la fois par les réseaux sociaux et les médias traditionnels, qui polarisent de plus en plus violemment les individus et permettent à ceux qui, utilisant les passions et les sentiments de la foule, effacent toute utilisation raisonnable de la critique et manipulent les foules à qui mieux mieux.

De façon concrète, cela permet de dresser efficacement les individus les uns contre les autres et, en faisant monter les ressentiments, de faire oublier les points à la fois les plus raisonnables et les plus désagréables pour les personnes en responsabilité.

Ainsi, critiquer Trump devient impossible puisqu’on est alors un défenseur des fraudes électorales. Inversement, douter de la propreté des élections américaines revient à passer pour un indécrottable supporter de Trump. La nuance n’existe plus.

Ainsi, critiquer la gestion du gouvernement français dans sa lutte contre le coronavirus, c’est immédiatement se placer comme un égoïste, contre les soignants et contre « le merveilleux système de soin que tout le reste du monde nous envie (sans nous copier, sachons vivre). Dans cette optique, critiquer le confinement, c’est devenu totalement équivalent à vouloir la mort de milliers de personnes vulnérables. Toute gradation semble impossible.

Cette disparition de tout débat raisonnable est encore mieux illustrée par l’existence de films comme « Hold Up », ce bricolage improbable de faits avérés et de thèses farfelues ; en fait de « hold up », c’est bien celui du débat démocratique qui semble passé à la trappe : l’assemblée ne sert plus que de chambre d’enregistrement. Il n’y a plus aucune opposition.

S’il y a eu hold-up, c’est sur la capacité des uns et des autres à écouter un discours structuré et argumenté pour dénoncer les dérives, pour pointer les failles, pour tenter de trouver la vérité calmement. Les prises de décisions ne tenant plus compte des critiques (qui sont ainsi discrédités), il n’y pas de retour d’expérience applicable, et tout devra donc se faire de façon de plus en plus brouillonne et, malheureusement, de plus en plus autoritaire.

Cette polarisation qui monte les uns contre les autres est certes un moyen facile et surtout pratique pour continuer en coulisses à enfumer tout le monde, mais rend impossible l’obtention d’un consentement de qui que ce soit sur quoi que ce soit.

Le dialogue étant rompu, les tensions s’accumulent, les frustrations et le ressentiment aussi.

Ceci se traduit par une société occidentale de plus en plus tendue, fracturée et dans lesquelles des factions se cristallisent maintenant, prêtes à en découdre : à force de voir des complotistes partout et à force de tout faire pour ignorer les complots qui existent vraiment, on aboutit à une situation explosive qu’une grande majorité de Français perçoit indubitablement

Cet article a été publié initialement sur le site de H16 : cliquez ICI

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