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Le collège unique ou la médiocrité pour tous
©Reuters

Au piquet

Pour l’enseignant en collège que je suis, l’un des événements marquants de 2015 a été la réforme du collège dont l’entrée en vigueur est prévue pour la rentrée 2016 et qui a suscité de nombreuses tensions auprès des syndicats d’enseignements, d’inspecteurs et de proviseurs mais également des parents d’élèves. Cette « refondation de l’école » portée par la Ministre de l’Education nationale qui prend appui sur trois concepts - souplesse, autonomie, interdisciplinarité, s’inscrit à l’encontre du but de l’Education nationale: former des citoyens capables de réfléchir par eux-mêmes.

Jean-François Chemain

Jean-François Chemain

Diplômé de l'IEP de Paris, agrégé d'Histoire, docteur en Droit et docteur en Histoire, JFC, après avoir été consultant dans des cabinets anglo-saxons, puis cadre dirigeant dans un grand groupe industriel, a choisi il y a près de 10 ans de devenir enseignant dans un collège de Zone d'Education Prioritaire. Il est l'auteur de plusieurs livres, tous publiés chez Via Romana : La Vocation chrétienne de la France (2010), Kiffe la France (2011), Une autre Histoire de la Laïcité (2013) et L'Argent des Autres (2015).

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On se souvient des circonstances de l’adoption de celle-ci : aucune concertation, aucun débat, une loi votée dans l’urgence et un décret d’application signé le jour même d’une grande manifestation intersyndicale. Idées fausses, grands discours et coercition : une certaine conception de la démocratie. J’avais fait grève pour la première fois.

Sur le fond, je ne comprends pas bien. Le problème est peut-être que je suis trop bête pour cela – et sans doute ai-je multiplié les titres pour conjurer cette impression, en vain. Ou trop méchant : la première formation à laquelle j’ai assisté sur la question commençait par un opportun rappel des “valeurs républicaines”, Liberté, Egalité, Fraternité, Laïcité. Comme quoi ceux qui seraient contre la réforme (à peu près tout le monde dans l’amphi où se déroulait la formation) ne seraient pas de bons républicains. C’est comme cela que l’ont vécu les collègues autour de moi.

L’idée centrale semble être l’égalité, en tout cas la conception que certains en ont. Elle implique de mettre fin au “détestable entre soi”, qui pousserait les soi-disant “bons élèves” à se regrouper dans des sections bilangues ou européennes, ou à choisir l’allemand en première langue, pour échapper aux “moins bons” qui ne seraient que des “pas encore bons” mais ne demandent qu’à le devenir, à condition qu’on baisse le niveau, gomme les frontières entre les disciplines et supprime les notes. Pourtant, ces classes d’élite étaient pour des élèves de ZEP de bons moyens de réussir, j’ai vu suffisamment d’anciens aujourd’hui dans le supérieur revenir en témoigner ! Or on présente ces jeunes, désireux de s’en sortir par la discipline et le travail, comme des “privilégiés”, allant jusqu’à les comparer aux affreux “élèves des beaux quartiers”. La médiocrité pour tous, ou le lit de Procuste ! 

Loin de moi l’idée d’ironiser sur ces “moins bons”. J’ai souvent plaidé la cause des victimes du collège unique, ces enfants qui ont de l’or dans les mains, plein de bon sens, du mal à rester assis 7 heures de suite sans remuer, et aussi des rêves plein la tête comme le “cancre” chanté par Prévert. Il faut, comme c’est mon cas, être resté devant un tournevis ou une clef à molette comme une poule devant un couteau pour comprendre que la seule forme d’intelligence respectable n’est pas celle qu’on attend à l’école. La société, pour tourner, a besoin de plombiers, de carrossiers, de bouchers, dont on ne trouve pas assez… Il n’y a rien de méprisable dans ces métiers, ni rien de particulièrement noble dans ceux qu’on dit “intellectuels” – terme qui n’est pas synonyme d’”intelligent”. On dirait que certains raisonnent encore, deux siècles après la Révolution, comme de petits marquis : mais il n’y a plus de métier “noble” ou “ignoble”, et la dérogeance n’existe plus ! Le rôle de l’Education Nationale, ce devrait être de déceler et valoriser les talents de chaque élève, en admettant que tous sont respectables et utiles. Je ne vois pas de meilleur remède au décrochage scolaire, au sentiment de dévalorisation, à l’indiscipline et à la révolte de certains, qui peut les conduire jusqu’à la violence. Comment ne pas devenir fou, quand l’accès – enfin ! - aux filières professionnalisantes est conditionné par une conduite irréprochable jusqu’en fin de collège, où l’on se sent à la torture (n’est-ce pas l’étymologie du mot “travail”, qui vient de tripalium, “instrument de torture”) ?

“Deviens ce que tu es”, “esto vir”… Les grandes maximes de l’éducation mettent la personne, sa nature, son respect, son développement au coeur du projet éducatif : le pédagogue devrait, à la limite, s’effacer devant son élève, tel Pygmalion devant sa créature. Elles semblent devoir laisser place à ce dogme soi-disant républicain, porté par la plus grosse institution du monde : “sois égal aux autres”, c’est-à-dire “fais comme tout le monde”… Il me semble hélas que, parfois, “humanisme” et humanité ne font pas bon ménage.

On peut s’étonner du décalage qui existe entre le projet affiché par l’Education Nationale - fabriquer des citoyens capables de réfléchir par eux-mêmes - et la pratique qui, au delà des grands mots (“refondation de l’école”, “socle commun”, “pédagogie différenciée”…) produit des jeunes stéréotypés dans leurs carences fondamentales : nullité de l’orthographe, méconnaissance de la grammaire, incapacité à réaliser des calculs simples, inculture abyssale… Constat général tant dans le secondaire qu’à l’université. La réforme, qui casse les enseignements disciplinaires pour mettre en place des usines à gaz transversales, ne me paraît pas à même de corriger cette tendance. On ne pourra ensuite s’étonner du mauvais classement de la France dans les comparaisons internationales, sauf à préférer avoir tort avec les idéologues que raison avec la réalité.

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