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"La 3ème Guerre mondiale a commencé"... Comment (et quand) ce qui n’est encore qu’une déclaration des médias russes pourrait finir par se produire
©Reuters

Surenchère à haut risque

Aussi bien du côté des Russes que des Occidentaux, les déclarations bellicistes ne cessent de se multiplier sur le dossier syrien, faisant craindre un réel risque de réactions épidermiques sur le terrain.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Depuis la rupture des négociations entre Washington et Moscou sur le dossier syrien le 3 octobre dernier, plusieurs médias russes, parmi lesquels la première chaîne d'Etat Rossia 1 et celle d'info en continu Rossia 24, affirment que la Troisième Guerre mondiale a déjà commencé, précisant que les batteries antiaériennes russes en Syrie vont "abattre" les avions américains, et diffusant des reportages notamment sur la préparation des abris antinucléaires à Moscou. Qu'est-ce qui, dans ces déclarations, relèvent du fantasme ? Quels éléments, au contraire, pourraient accréditer cette affirmation ? 

Alain RodierLe langage de la presse russe est à double destinataires. D’abord, il vise l’intérieur pour galvaniser la population derrière son président. Cela n’est pas très évident alors que la crise économique se poursuit voire s’aggrave dans le pays et les sanctions internationales décrétées suite à l’interventionnisme dont a fait preuve la Russie en Ukraine y sont pour quelque chose. Ensuite, pour Moscou, il faut contrebalancer les multiples condamnations formulées, non seulement par les autorités politiques occidentales, mais aussi par l’ONU suite à la stratégie agressive adoptée par le Kremlin en Syrie en général et à Alep en particulier.

Deuxièmement, le Kremlin veut prévenir indirectement (ce ne sont que des "journalistes" qui parlent, donc ce n’est pas vraiment la voix officielle même si …) Washington qu’une nouvelle "erreur" du type du bombardement de forces gouvernementales syrienne à Deir ez-Zor le 17 septembre - qui a fait 62 tués - ne sera pas tolérée. Soit dit en passant, cette bavure est intervenue cinq jours après la mise en œuvre du cessez-le-feu conclu par Washington et Moscou ; Ce denier a été "officiellement" rompu par le bombardement d’un convoi de l’ONU (12 tués) le 19 septembre. Dans ce dernier cas, il est tout à fait exact que l’opposition armée syrienne n’a pas d’aviation et que seules les forces russes ont la capacité de voler de nuit dans cette zone.

>>> A lire aussi : Sursaut nucléaire russe : Poutine se réarme fortement tandis qu’Obama diminue son arsenal

Mais, il est aussi vrai qu’en matière de "rumeurs" les Russes ne sont pas les seuls à en laisser propager, même des plus bellicistes. La dernière en date parle de la possibilité d’une frappe aérienne d’avertissement qui serait effectuée sur des installations militaires syriennes par des "avions non identifiés". La réponse de Moscou fait dans le simple : tout aéronef - même non identifié - se livrant à des actions hostiles contre son allié syrien (et encore plus contre les intérêts russes) sera abattu sans coup férir. Le déploiement de systèmes anti-aériens S-300 à Tartous vient compléter les S-400 (plus modernes) déjà positionnés sur la base aérienne de Hmeimim qui, entre parenthèses, est considérée comme "territoire russe" depuis que des panneaux frontaliers y ont été installés avec l’autorisation de Damas (une sorte d’extraterritorialité comme pour les bâtiments diplomatiques). En résumé, un bombardement de cette base serait considéré comme une agression du territoire russe, à bon entendeur, salut ! Le mérite de la politique étrangère russe est qu’elle est limpide et donc, très compréhensible par tout un chacun.

De là à dire que la Troisième Guerre mondiale a débuté, il y a encore une grande marge. Nous n’en sommes encore qu’au niveau des rodomontades de part et d’autre et tout le monde sait que le président Obama est bridé par la prochaine élection même s’il voudrait bien terminer son mandat par un coup d’éclat fumant, si l’on peut dire. Il l’a bien commencé en recevant en 2009 le prix Nobel de la Paix. A sa décharge, les "casques blancs" étaient pressentis pour même prix cette année. Un examen plus approfondi de cette organisation caritative a dû laisser supposer que certains de ses membres dépendaient plus ou moins directement d’Al-Qaida "canal historique" et qu’avant de secourir de malheureuses victimes des bombardements devant des caméras habilement positionnées, quelques uns maniaient plutôt la kalachnikov ! Toutefois, les deux partis se livrent aujourd’hui aussi à une guerre de l’information qui laisse sceptique tout observateur qui ne bénéficie pas de sources fiables sur place. La méfiance vis-à-vis de la désinformation doit donc rester la règle.

Dans le cas où les Russes abattraient véritablement des avions américains sur le théâtre syrien, quelle serait la réponse américaine (et occidentale plus largement) la plus probable ? Jusqu'où cela pourrait-il conduire ?  

Pour abattre un avion américain, encore faudrait-il qu’il y en ait un qui ait l’idée saugrenue de voler dans des zones couvertes par la DCA russe. J’ai assez d’expérience pour savoir que certains pilotes américains enivrés par Top Gun se sont livrés dans le passé à des initiatives malheureuses comme le 14 avril 1994 quand deux hélicoptères Blackhawk furent abattus par deux F-15 au dessus de l’Irak du Nord lors de l’opération Provide Confort. A cette occasion, 26 personnes furent tuées dont un officier français.

Sincèrement, je ne pense pas que des responsables au Pentagone ou à la Maison Blanche ne se risquent à ce coup de poker, du moins avec l’administration actuellement en place. Si Hillary Clinton parvient au pouvoir, et cela semble très bien parti pour elle, j’ai plus de doutes tant son hostilité vis-à-vis de Moscou est proclamée en permanence. Peut-être qu’une fois aux manettes, elle se calmera un peu.

Si d’aventure un appareil américain était abattu, nous ne serions pas à l’abri d’un dérapage incontrôlé. Mais comme je le disais plus avant, je ne crois pas trop à cette possibilité d’autant que le commandement US est en liaison constante avec son homologue russe pour éviter tout incident aux conséquences incalculables. Cela dit, le président Poutine a démontré qu’il savait garder son calme, même dans des périodes dramatiques. Lorsqu’un de ses bombardiers Su-24 a été abattus le 24 novembre 2015 lors d’une véritable « embuscade aérienne » montée par l’aviation turque, il n’a pas déclenché l’apocalypse. Comme par hasard, un hélicoptère turc AH-1W Super Cobra a été abattu à son tour le 13 mai 2016 dans la région de Çukurca (sud-est du pays) par un activiste du PKK armé d’un missile sol-air russe 9K38 Igla jamais vu aux mains des rebelles kurdes auparavant (1). Les deux membres d’équipage ont trouvé la mort lors de ce dramatique incident. L’affaire a été filmée et largement diffusée comme l’avait été la chute du Su-24 russe. Un retour à l'envoyeur ? Voilà encore un cas d’utilisation des medias pour faire passer des messages…

(1) Les autorités turques avaient affirmé que l’hélicoptère s’était écrasé pour "défaillances techniques" !

Ces affirmations relancent les inquiétudes suscitées par le récent déploiement de missiles Iskander-M à Kaliningrad, d'autant plus que Dmitri Kissilev, le présentateur de Rossia 1, a laissé entendre que ces missiles pourraient emporter des têtes nucléaires. Quel risque ces missiles représentent-ils véritablement pour les Européens dans le contexte actuel ?

Les missiles Iskander-M (nomenclature OTAN SS-26 Stone) peuvent être dotés d’une tête nucléaire. Au fond, c’est même pour cela qu’ils sont faits, l’emport d’une charge classique n’étant que secondaire sauf à l’export. Ce n’est pas la première fois qu’ils viennent manœuvrer à Kaliningrad. L’important est savoir s’ils vont y rester. Ces gesticulations rappellent effectivement la période de la Guerre froide avec le déploiement des missiles SS-20 (1977-1987) suivi des Pershing II. Ces missiles peuvent atteindre la Pologne, les Pays Baltes et la partie est de l’Allemagne.

Ce samedi aura lieu à Lausanne une réunion internationale sur la Syrie. Que peut-on en espérer au regard de la situation actuelle ? Ne constituerait-elle pas la réunion de la dernière chance pour les Etats-Unis et la Russie ?

Les négociations de la "dernière chance" se succèdent sans discontinuer depuis des mois. On les ouvre ; l’espoir est là puis le constat est fait qu’elles ne débouchent sur rien et on les ferme. On proteste "énergiquement" (j’aime beaucoup ces termes grandiloquents, quand on ne peut rien faire, on fait des déclarations "énergiques") puis on les rouvre tout simplement parce que l’on n'a pas le choix, d’un côté comme de l’autre car aucun camp n’est susceptible de l’emporter militairement sur terrain.

Aux dernières nouvelles, l’Europe ne doit pas assister à ce nouveau round entre Washington et Moscou (peut-être avec la Turquie en raison vraisemblablement de son opération "bouclier de l’Euphrate" et surtout, pour une fois, de l’habileté du président Recep Tayyip Erdoğan qui se retrouve l’interlocuteur des deux capitales). Il est toutefois possible que venant mendier une petite place, histoire de faire semblant d’exister, l’Europe obtiendra un strapontin. Il ne faut pas nier que l’Europe est encore un géant économique mais un nain diplomatique. Mais rassurons nous, John Kerry devrait ensuite passer à Londres pour informer ses homologues européens…

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