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Sandrine Rousseau et Eric Zemmour se démarquent par des positions très radicales au sein de la classe politique française.
Sandrine Rousseau et Eric Zemmour se démarquent par des positions très radicales au sein de la classe politique française.
©Joël Saget / AFP

Zemmour, Rousseau même (méthode de) combat ?

Sandrine Rousseau et Eric Zemmour se démarquent médiatiquement et politiquement par des positions très radicales. Au regard de leurs parcours politiques et de leurs résultats électoraux, peut-on considérer que la radicalité en politique fonctionne ?

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. Il a également publié en 2022 La vraie victoire du RN aux Presses de Sciences Po. En 2024, il a publié Les racines sociales de la violence politique aux éditions de l'Aube.

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Atlantico : Idéologiquement, presque tout les oppose, pourtant, si l'on veut leur trouver un point commun, Sandrine Rousseau et Eric Zemmour se démarquent médiatiquement et politiquement, par des positions très radicales. Peut-on estimer qu’ils utilisent la même stratégie ?

Luc Rouban : Oui, d’une certaine manière. En fait, cette stratégie repose sur un outil similaire mais qui ne sert évidemment pas les mêmes objectifs : l’intellectualisation. Il ne s’agit pas de parler de pouvoir d’achat, de la fermeture des services publics ou de la pénurie de carburant, mais de dresser un panorama historique de la société française. Dans le discours de Sandrine Rousseau on trouve un argumentaire « intersectoriel » élaboré concernant la connexion qui existerait entre toutes les dominations, qu’elles soient coloniales, sexistes ou environnementales, expliquant la crise générale du monde d’aujourd’hui par la toute-puissance de l’homme blanc qui aurait créé une fracture entre les peuples, les cultures, les hommes et les femmes, entre la nature et la culture. On voit que l’on est ici au cœur des théories constructivistes illustrées par ailleurs en sociologie par feu Bruno Latour ayant dénoncé la fabrication artificielle de la modernité scientifique. Le discours politique de Sandrine Rousseau s’appuie donc sur une interprétation ambitieuse et globalisante du fonctionnement social en poussant jusqu’à leurs dernières limites les théories constructivistes (en bref : tout en relatif, ce que l’on croit être fondé en raison ne l’est que par un rapport de force illégitime). Sur un autre terrain, on retrouve cette ambition intellectuelle chez Éric Zemmour qui articule ses propos sur l’immigration à une réflexion d’ensemble sur le devenir de l’identité française dans le temps long. Éric Zemmour ne se positionne pas non plus comme un gestionnaire mais comme un penseur de l’histoire française et des marqueurs d’identité de la nation après Ernest Renan ou Jacques Bainville. En dénonçant l’immigration comme une invasion ou les limites de la politique dite d’intégration des immigrés, il se positionne certes sur le terrain de Marine Le Pen et du RN, mais en plaçant ces questions dans la perspective de la rupture historique que constituerait le « grand remplacement ». Il dénonce alors la réduction managérialiste de la pensée politique opérée notamment par le macronisme ou même LR qui, pour lui, soit ne comprennent pas soit ne veulent pas comprendre que l’immigration arabo-musulmane n’est pas un problème économique ou même culturel mais une menace sur l’identité millénaire de la France. Dans les deux cas, et de manière symétrique, on observe la même critique de la médiocrité de la classe politique actuelle face à des enjeux de civilisation.

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Si l’on regarde les parcours politiques, et les résultats électoraux, de Sandrine Rousseau et d’Eric Zemmour, peut-on considérer que la radicalité en politique fonctionne ?

On peut dire en tout cas qu’elle ne paie pas sur le terrain électoral. C’est d’ailleurs ce qu’a fort bien compris Marine Le Pen en adoptant un ton plus modéré, un discours plus proche des préoccupations quotidiennes des électeurs et une stratégie d’opposition constructive à l’Assemblée nationale alors que LFI s’enfermait dans une radicalité d’opposition systématique pour affirmer son caractère révolutionnaire. La modération est bien plus payante que la radicalité sur le terrain politique, du moins tant que l’on reste dans des structures sociales relativement stables et un cadre constitutionnel admis par la grande majorité. Du reste, ce n’est pas pour rien que le discours de LFI vise expressément à discréditer la Constitution puisque c’est le moyen de provoquer une crise de régime qui pourrait permettre un forme ou une autre de coup de force ou d’emprise minoritaire sur le pays. En revanche, la radicalité de Sandrine Rousseau ou d’Éric Zemmour ont eu une utilité fonctionnelle : rendre plus acceptables les radicalités dès lors atténuées par contraste de LFI ou de EELV d’un côté et du RN de l’autre. Pour beaucoup de militants de gauche, Sandrine Rousseau va trop loin dans un féminisme de combat qui devient une chasse à l’homme et promeut une société de surveillance permanente des comportements masculins. Éric Zemmour, quant à lui, a servi de paratonnerre à Marine Le Pen en lui permettant de se débarrasser des vieux oripeaux maurrassiens du FN et de positionner le RN comme force dominante de droite.

Plus largement, quelle efficacité réelle à la radicalité en politique dans les démocraties occidentales ?

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Le problème est que la radicalité d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui. Ce qui passait pour radical il y a vingt ans, comme ne jamais manger de viande ou revendiquer des quotas de femmes à la tête des entreprises ou des administrations, paraît désormais banal. Les grilles de lecture évoluent en fonction des enjeux sociaux. En revanche, la radicalité se banalise elle-même car, pour se faire entendre dans le bruit de fond incessant des commentaires médiatiques et des réseaux sociaux, le besoin se fait sentir de jouer la carte du « toujours plus » dans la provocation, le mauvais goût, l’usage de registres haineux ou choquants. La communication moderne, comme machine à vendre des candidats ou des idées, appelle la radicalité ce que le secteur privé a compris depuis longtemps (dans les années 1990, les affiches provocatrices de United Colors de Benetton avaient soulevé bien des polémiques). Mais la radicalité pousse également à mettre en avant des thèmes ou des idées qui affleurent dans l’opinion sans que la classe politique ordinaire ne s’en préoccupe ou ne risque à s’en préoccuper. Il existe un jeu hypocrite où les partis politiques « convenables » laissent les radicaux s’exprimer tout en faisant semblant de s’en offusquer pour utiliser de manière plus modérée ces propositions et faire évoluer leurs programmes. En d’autres termes, le radical va dire tout haut ce que certain.e.s pensent tout bas (la domination des femmes où les hommes seraient disqualifiés comme autant de brutes épaisses, le renvoi de tous les immigrés pour retrouver la France d’avant et la messe dominicale), ce qui permet de tester des propositions politiques. Le radical est alors instrumentalisé comme pilote d’essai. S’il s’écrase, ce sera de sa seule faute.

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Qu’est-ce qui permet, dans certains cas, à la radicalité de réussir à s’imposer dans nos démocraties ?

Si l’on reste dans un cadre démocratique, la radicalité ne peut s’imposer car la démocratie exige des compromis, l’écoute de l’autre, des négociations, en bref, de la modération car la radicalité est toujours minoritaire alors que la démocratie fonctionne à l’accord majoritaire. La radicalité qui arrive au pouvoir en démocratie exige qu’on lui coupe les griffes : c’est le cas de Giorgia Meloni à la tête de Fratelli d’Italia qui, pour accéder au poste de Premier ministre dans le cadre d’une coalition, a bien dû lâcher du lest sur une Union européenne qui reste très utile à l’Italie. C’est également le cas des Conservateurs britanniques qui, après avoir défendu le Brexit et le retour fantasmé à « l’Empire sur lequel le soleil ne se couche jamais », ont dû négocier avec l’UE et les marchés financiers comme l’a découvert à ses dépens Liz Truss. Pour s’imposer, la radicalité suppose alors un effondrement du cadre démocratique et de ses soutiens sociaux comme le prouve abondamment l’histoire française.

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