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La guerre du Tigré, prélude à l’éclatement de l’Ethiopie sur le modèle de l’ex Yougoslavie ?
©Ebrahim HAMID / AFP

Tensions

Depuis plus d’un mois déjà, une guerre particulièrement meurtrière secoue le nord de l’Ethiopie dans la province fédérale du Tigré. Elle a déjà causé des milliers de morts et plus de 50.000 réfugiés aujourd’hui accueillis dans des conditions précaires au Soudan.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Depuis plus d’un mois déjà, une guerre particulièrement meurtrière secoue le nord de l’Ethiopie dans la province fédérale du Tigré. Ce pays de plus de 110 millions d’habitants, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique derrière le Nigeria, semble ne jamais connaître la paix. Après, des périodes de famine, de règne sanguinaire du pouvoir marxiste de Mengistu Haile Mariam et une guerre avec l’Erythrée, c’est aujourd’hui le tour du Tigré d’être déchiré par la guerre civile. Une guerre ayant déjà causée des milliers de morts et plus de 50.000 réfugiés aujourd’hui accueillis dans des conditions précaires au Soudan. 

De prime abord, il est difficile de comprendre l’acharnement du pouvoir central Ethiopien dirigé par un premier ministre ayant remporté le prix Nobel de la paix en 2019 pour avoir rétablit la paix entre l’Ethiopie et l‘Erythrée. Or les causes expliquant la genèse de ce conflit sont en grande partie la conséquence de son arrivé au pouvoir et avec lui l’ethnie qu’il incarne.

Si l’Ethiopie est aujourd’hui, depuis la constitution de 1994, un Etat fédéral démocratique, les divisions internes administratives du pays sont faites en fonction de considération ethniques. En effet, cette constitution bâtie sur un vieux modèle communiste visait à occulter des fractures ethnico-religieuse et des ressentiments historiques enfouis. Elaborée par des dirigeants d’époque appartenant à la minorité tigréenne, ces derniers ont continué à exercer un monopole sur le pouvoir pendant plus d’un quart de siècle. Leur mainmise sur Addis Abeba s’est arrêtée en 2018 à l’occasion des troubles ayant fortement secoué le pays. le Front Démocratique Révolutionnaire du Peuple Ethiopien, le parti institutionnel au pouvoir de manière quasi ininterrompue depuis trois décennies, nomme alors le premier ministre actuel, appartenant à l’ethnie majoritaire des Oromo. L’arrivé au pouvoir d’un membre de cette ethnie, représentant plus d’un tiers de la population éthiopienne alors que les Tigréens ne représentent que 6% de la population éthiopienne, n’a fait qu’exacerber les dissensions. En effet, avec son élection, c'est la première fois qu’un Oromo est représenté à la tête de l'Etat.

Il convient de rappeler qu’en 1991, c’est le Front de Libération des Peuples du Tigré (TPLF) qui a renversé la dictature militaro-marxiste du Gouvernement militaire provisoire de l'Ethiopie socialiste (Derg) de Mengistu. Le TPLF s’estimant ainsi légitime à garder le pouvoir va alors dominer les structures politiques et sécuritaires du pays jusqu’à l’avènement du premier ministre actuel. L’excuse avancée par le Tigré pour déclencher les hostilités d’il y a un mois est la décision du pouvoir central de reporter les élections législatives du mois d’août 2020 du fait de la crise sanitaire du Coronavirus. Le pouvoir régional du Tigré estimant de la sorte que le pouvoir d’Addis-Abeba n’ayant plus de légitimité électorale se lance à cette occasion dans le séparatisme en organisant ses propres élections et commence la guerre en s’en prenant aux forces fédérales stationnées dans la capitale du Tigré, Makalé. La réaction du pouvoir central fut immédiate et les troupes fédérales ont menées une guerre totale contre les séparatistes du Tigré avec le concours de l’armée Erythréenne et de la logistique d’Asmara, capitale de l’Erythrée, notamment ses aéroports militaires. Aujourd’hui, la région totalise plus de la moitié de l'ensemble du personnel des forces armées et des divisions mécanisées du pays.

Parallèlement au conflit dans le Tigré, les vieilles hostilités ethniques ressurgissent en faisant remonter à la surface des différends territoriaux ancestraux opposant la deuxième ethnie la plus important en Ethiopie après les Oromo, les Amharas. Les Amharas et les Tigréens se sont violemment affrontés dans le passé, les Amharas accusant le TPLF d'avoir, lors de son avancée vers Addis Abeba en 1991, annexé leurs territoires aujourd’hui partie intégrante de l'ouest du Tigré. Actuellement, les miliciens Amharas ont rejoint les troupes fédérales et se sont déployés à quelques kilomètres de la frontière avec le Tigré.

Cette guerre qui n’est pas près de se terminer risque de déborder la région du Tigré. En effet, l’armée du Tigré comporte une force paramilitaire particulièrement aguerrie et très bien entraînée avec un effectif estimé de 250 000 hommes. Avec le bombardement d’Asmara en Erythrée par la milice tigréenne et la concentration des milices Amharas sur la frontière tigréenne, il est fort à parier que l’Ethiopie risque de sombrer dans la guerre civile globalisée avec des débordements partout dans la corne de l’Afrique. Le Caire pour sa part se réjouit de cette situation qui ne peut que lui être que bénéfique dans le conflit qui l’oppose à l’Ethiopie sur la question de l’eau et celle du barrage de la Renaissance.  Certains voient d’ores et déjà le soutien militaire logistique que l’armée égyptienne aurait apporté aux miliciens du Tigré.

La corne de l’Afrique dans son ensemble risque ainsi de s’enflammer et entrainer dans un déluge de feu la paix toute relative qu’elle connait depuis quelques dizaines d’années.

L’histoire semble vouloir se répéter.

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