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Un manifestant lors d'un rassemblement pour la défense du service public.
Un manifestant lors d'un rassemblement pour la défense du service public.
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Atlantico Business

Selon les économistes Elvire Guillaud, Mathilde Viennot et Michaël Zemmour dans une tribune du Monde, des causes démographiques vont faire augmenter les besoins de dépenses publiques d’ici 2030. A-t-on trop tendance à considérer qu’améliorer le service public nécessiterait forcément plus de fonctionnaires et plus de dépense publique ?

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Agnès Verdier-Molinié

Agnès Verdier-Molinié

Agnès Verdier-Molinié est directrice de la Fondation iFRAP et auteure de Le vrai Etat de la France aux Editions de l’Observatoire 

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Atlantico : Dans une tribune au « Monde », trois économistes plaident pour un renforcement des services publics. Dans quelle mesure nos services publics se portent-ils mal actuellement ? A quoi cette situation est-elle due ? A quel point est-ce problématique ?

Agnès Verdier-Molinié : Aujourd’hui, nous observons un délitement des services publics mais ce n’est clairement pas un problème de moyens car nos services publics sont les plus chers au monde ! Selon la Cour des comptes, en 2021, nos dépenses publiques représentent 59 % de notre richesse nationale. L'Éducation, la dépense sociale, l’hôpital, tout coûte plus cher par rapport au PIB qu’en Allemagne par exemple. Et si on prend la moyenne des pays de la zone euro, la France dépense tous les ans 260 milliards de dépenses publiques en plus. C’est la complexité de l’organisation publique, la juxtaposition des strates qui cause ce phénomène. On a saucissonné les missions publiques entre les différents acteurs publics. Aujourd’hui, on voit très crûment la limite de cette organisation. Il est urgent de redéfinir qui est responsable de quoi dans notre organisation publique. Chaque fois que nous avons décentralisé une mission, nous l’avons fait à moitié. Par exemple, l’Etat a décentralisé la gestion des personnels techniques des lycées et des collèges mais pas la gestion des enseignants. Autour de nous en Europe, dans de nombreux pays, l’organisation se fait selon le principe de subsidiarité. La loi 3DS de décentralisation récemment votée ne clarifie pas plus (au contraire !) les missions publiques de chaque échelon en proposant une évolution « à la carte », rendant quasi-impossible toute comparaison au niveau local. Dans les pays du Nord de l’Europe, on sait qui fait quoi, chaque échelon a ses missions propres. En France, rien n’est clair. Qui connait les missions de sa région ou de son intercommunalité ? Pas grand monde ! Cela explique en partie la désaffection pour les élections régionales. 

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Erwan Le Noan : Premier élément : la situation des services publics.

Il y a plusieurs façons d’évaluer si les services publics se portent bien ou non. D’abord, mesurer les résultats fournis aux usagers : en la matière, force est de constater que plusieurs services publics connaissent des dysfonctionnements graves. L’éducation nationale par exemple est l’une des plus injustes de l’OCDE. On pourrait parler également de l’état des prisons, qui n’est clairement pas acceptable pour un pays développé et démocratique. Les citoyens français semblent aussi s’inquiéter de l’insécurité.

Ensuite, on peut interroger les agents : on a vu, ces dernières années, les policiers, les enseignants, le personnel soignant et d’autres encore protester, se plaignant de ne pas avoir suffisamment de moyens. Clairement, il y a un « malaise » dans la fonction publique.

Enfin, l’analyse doit poser la question de la performance : la puissance publique française bénéficie d’une abondance de financement puisque notre pays a le niveau de dépense publique le plus élevé (ou presque) de tout l’OCDE – ce qui s’obtient par un niveau record d’impôts, taxes et autres recettes publiques. Sans même se demander si un tel niveau est « trop » élevé, et nuisible ou favorable à l’économie, il faut juste s’interroger : les résultats sont-ils à la hauteur de cet effort financier record ? Là aussi, clairement, non.

Deuxième élément : les causes.

Pour y répondre, une remarque préliminaire s’impose : il ne faut pas faire de signe d’égalité entre service public et fonction publique et puissance publique. En réalité, il y a en France de très nombreux services publics, encadrés par les collectivités et l’Etat, qui sont délégués à des entreprises privées : le ramassage des déchets, les transports, l’eau, la route, etc. Il faut en être fiers car la France est connue dans le monde entier pour avoir des champions internationaux en la matière. C’est aussi un atout que d’avoir un service public assuré par le secteur public et le secteur privé.

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Ce n’est évidemment pas parfait – il n’y a que dans les rêves et l’idéologie que la perfection existe, mais dans ces entreprises privées on n’entend pas les mêmes protestations que dans le secteur public. Cela indique probablement qu’il y a plus un problème dans le secteur public en lui-même que dans le service public en tant que tel.

Ce problème vient du fait que la gestion des services publics dans le secteur public n’est pas optimale. Un exemple connu : la part des fonctions administratives est en France généralement plus élevée que dans les autres pays. Cela veut dire que nous avons plus d’agents qui sont dans les bureaux, à administrer, réglementer et contrôler, plutôt qu’à produire des services aux citoyens.

Dernier élément : l’ampleur du problème.

Les inefficiences et insuffisance du service public ont de graves conséquences. Économiques d’abord : leur financement pèse sur l’économie nationale sans que cet argent ne soit visiblement dépensé de façon optimale et efficace. Politiques ensuite : toute dépense publique implique un contrôle public. C’est un principe démocratique : puisque la collectivité vous assure un service, il n’est pas illégitime qu’elle vérifie la façon dont vous en usez (par exemple : il n’est pas anormal qu’on vous impose de conduire prudemment si la solidarité nationale finance vos soins en cas d’accident). Sociales enfin : l’appauvrissement des services publics affecte d’abord les citoyens les plus fragiles, les plus à risque, dans les banlieues difficiles ou milieux ruraux.

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Agnès Verdier-Molinié : Avec une réorganisation générale des missions publiques. C’est LE chantier qui n’a jamais été mené. On ne peut pas baisser la dépense publique tant que l’on reste dans le flou. Comment faire ? Tout simplement en clarifiant les rôles de chacun. Si on s’aperçoit alors qu’on ne veut pas confier plus de responsabilités aux régions par exemple, alors il faut être cohérent et les supprimer. Idem pour les départements. Des préfets feront l’affaire. Il faut être cohérent.

Si on pense qu’il faut garder les régions alors l’emploi, la formation, la santé et l’éducation doivent être gérés au niveau local. C’est ce que semblent esquisser les fuites du programme d’Emmanuel Macron sur l’éducation avec la suppression de l’embauche sous statut des professeurs, plus d’autonomie pour les établissements scolaires, etc.

Vu le niveau d’assainissement de nos finances publiques nécessaire à la sortie du « quoi qu’il en coûte » que nous sommes encore en train de vivre, il va nous falloir être dans une évaluation permanente de l’utilisation de chaque denier public. Il y a des économies de plusieurs milliards à faire. Il y a aujourd’hui 66000 guichets publics en France actuellement, c’est ubuesque. Être agile au dernier kilomètre, c’est le plus important, plutôt que de se lancer dans une course tous azimuts à la déconcentration.

Il faudrait en regrouper un maximum de guichet dans les bureaux de postes ou les maisons France Service, avec une amplitude horaire plus importante pour que nos concitoyens puissent y aller quand ils ne sont pas au travail… Guichets de préfectures, des sous-préfectures, des commues, des intercommunalités, des Caf, des CCAS, des départements… Nous sommes les champions des guichets aux amplitudes horaires très réduites. De 8 h 30 à 12 h 30 et de 14 h  à 16 h 30. Sauf les jours où c’est ouvert que le matin… 

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Mais pourquoi ne tirons-nous aucune leçon de ce sentiment d’absurdité récurent rapporté par 80% des fonctionnaires dans l’exercice de leur travail ?

Erwan Le Noan : Le service public sera ‘sauvé’ quand le financement qui lui est attribué permettra de produire de meilleures prestations aux citoyens. Les voies pour y arriver sont multiples : réformer le fonctionnement du secteur public, déléguer certaines missions au secteur privé (c’est-à-dire lui demander de les réaliser sous le contrôle de la puissance publique), etc. Chaque euro qui est prélevé sur les citoyens les prive des fruits de leur travail : que les motifs soient légitimes (financer la solidarité nationale, l’éducation pour tous, etc.) ne justifie en rien qu’on puisse interroger la performance de cette dépense.

La voie à éviter est la voie comptable : il ne faut pas réformer le service public ou baisser la dépense publique pour suivre les consignes d’un tableur Excel ou d’un texte juridique abscons. Bien sûr, on peut considérer – à raison d’ailleurs, que réduire le poids de l’Etat français serait bon pour l’économie, la société et la liberté. Mais même sans s’engager dans ce débat, il faut juste se poser la question des missions de la puissance publique. Qu’attendons-nous d’elle ? Est-il pertinent qu’elle finance tel service ou tel autre ? Est-il justifié qu’elle réglemente telle activité ou telle autre ? C’est en fonction des réponses à ces questions qu’on dessinera le niveau de dépense publique accepté par la société et qu’on l’orientera par la performance.

Aborder le sujet du service public par le prisme comptable n’est pas erroné mais ce n’est pas le plus pertinent dans un débat politique.

A-t-on trop tendance à considérer qu’améliorer le service public nécessiterait forcément plus de fonctionnaires et plus de dépense publique ? Est-ce un mauvais calcul ? 

Agnès Verdier-Molinié : Attention à la notion de « service public », ce n’est pas forcément un organisme public avec des personnels statutaires à vie en situation de monopole. Nous sommes l’un des seuls pays d’Europe à ne pas l’avoir compris. On continue de faire la confusion (exprès ? ) entre statut public et service public. Le Conseil d’Etat a bien reconnu que des organismes privés pouvaient avoir des missions de service public. Si nous avons tant perdu en qualité de nos services publics c’est parce que nous avons dévoyé la notion. Et aussi par ce que nous ne voulons pas reconnaître et valoriser le travail des agents impliqués auprès de nos concitoyens. Beaucoup de nos agents publics sont prêts à s’impliquer beaucoup plus à condition d’être reconnus pour leur travail. Cela demande d’aller à l’encontre de la doxa syndicale qui veut l’égalité de traitement entre tous et de flexibiliser les rémunérations.

Quand on voit que la place de la France dans les classements PISA en lecture et en mathématiques (23ème et 25ème sur 82 pays), on se rend compte que nous avons atteint les limites du « modèle français » que personne ne nous envie en Europe. Mettre des milliards ou des personnels en plus ne résoudrait rien (excepté dans la justice, le pénitentiaire et la défense, domaines régaliens par excellence). Rappelons que nous avons tout de même 1 million d’agents publics en plus par rapport à la moyenne de la zone euro…

Par ailleurs, on sous-estime trop, en France, l’économie grise. Dans Le vrai Etat de la France, l’estimation de ce PIB caché est d’environ 270 milliards d’euros par an. Preuve s’il en est d’une hypocrisie liée au poids public, au niveau de taxation, de réglementations. Tout incite à contourner les règles. Dans le pays qui dépense le plus, taxe le plus et travaille (officiellement) le moins, il est plus que temps de remettre les choses à l’endroit : produire la richesse avant de la redistribuer. Cela passera forcément par taxer moins, dépenser moins et travailler plus.

Erwan Le Noan : Il existe dans le débat public plusieurs idées reçues qui sont fausses.

La première est une fausse égalité, inscrite dans de nombreux esprits, qui prétend que le service public serait une activité nécessairement exercée par la puissance publique, uniquement avec ses fonctionnaires et souvent en monopole. Ce n’est théoriquement pas vrai (rien n’oblige au moindre de ces éléments) mais, comme je l’ai relevé plus haut, ce n’est en pratique pas vrai du tout non plus. Et ce n’est pas nouveau puisque cela date au moins de Louis 14 ! On a fait mieux comme esprit ultra-libéral soucieux de détruire l’Etat en France !

La seconde idée fausse est que la performance des services publics croît avec le montant de leur financement. C’est évidemment erroné : la preuve en est que les dépenses publiques ne cessent de croître en France sans que les services rendus aux citoyens ne semblent s’améliorer de façon notable (au contraire). S’il suffisait d’augmenter les moyens pour améliorer le service public, la politique serait extraordinairement simple : augmentons tout, et vite. Ce n’est évidemment pas comme cela que ça marche.

De la même façon, il ne suffit pas de promettre de baisser le nombre de fonctionnaires pour que tout aille mieux. C’est autrement plus compliqué – et ambitieux : il faut revoir la façon dont fonctionne le secteur public en France. 

Les propositions des différents candidats à la présidentielle sont-elles en mesure d’améliorer la situation ?

Erwan Le Noan : Les candidats à l’élection présidentielle ne disent pas grand-chose sur les services publics. Les uns sont dans le réflexe du « plus de moyens », les autres dans celui du « moins de fonctionnaires », les uns et les autres pensant flatter ainsi leur clientèle. C’est non seulement pauvre en termes de réflexion mais en outre assez triste en termes de projet et d’ambition. Philippe Juvin, cependant, avait tenté de poser ce débat pendant la primaire LR d’une façon différente, en affirmant qu’il fallait interroger l’utilité de l’action publique, redonner du sens au service public et accentuer la performance de la dépense publique. Il n’est pas certain qu’il ait été très entendu à ce stade.

Agnès Verdier-Molinié vient de publier « Le vrai Etat de la France » aux éditions de L’Observatoire

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