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La BCE et la Cour de Karlsruhe
©Sebastian Gollnow / dpa / AFP

Le point de vue de Dov Zerah

Le 5 mai dernier, le tribunal constitutionnel fédéral de Karlsruhe a reproché à la Banque centrale européenne sa politique monétaire. L’arrêt de la cour suprême allemande remettant en cause le programme anti-crise de la BCE a suscité de vives réactions au niveau européen. La présidente de la Commission, Urusla von der Leyen, avait annoncé qu’elle pourrait lancer une procédure d’infraction à l’encontre de Berlin.

Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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Le 5 mai dernier, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a rendu un arrêt qui interpelle ! Elle demande à la Banque centrale européenne (BCE) de présenter dans un délai de trois mois une justification de sa politique d’achats de titres publics conduite depuis cinq ans.

La Cour a pris la précaution de préciser qu’elle ne visait pas le refinancement des décisions liées à la pandémie. Était-ce utile ? L’argent est par définition fongible, et il est impossible d’assurer la traçabilité entre un rachat de titres publics et le paiement d’une dépense quelle que soit sa destination.

Avec des médias complétement focalisés sur les masques, les tests, les vaccins, l’hydroxy chloroquine…, l’information est passée sous les radars alors qu’elle aurait dû soulever un tollé. Á quel titre la Cour constitutionnelle se permet-elle de « sommer » la BCE ?

Comment une telle instance compétente pour dire le droit en Allemagne mais seulement outre Rhin, a-t-elle pu s’aventurer à adresser une injonction à la BCE ?

Heureusement que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rappelé qu’elle était « seule » compétente à apprécier et juger les actes des institutions européennes dont la BCE. Tous les États de la zone euro auraient dû réagir. Accordons-leur le bénéfice du doute en considérant qu’ils n’ont pas voulu monter en épingle le sujet car il n’y a aucun risque d’interférence dans l’ordre juridique européen.

Néanmoins le sujet n’est pas neutre car la Cour de Karlsruhe est récidiviste. Au-delà du problème juridique, elle crée un problème politique car elle donne le sentiment que l’Europe actuelle est allemande.

Cela a commencé au début des années quatre-vingt-dix au moment de la négociation du Traité de Maastricht, et l’opposition a été plus intense depuis la crise de 2008-2009.

La Cour constitutionnelle ne s’autosaisit pas d’elle-même ; elle intervient sur la base de plaintes reçues de citoyens allemands. Certes, mais cela ne justifie pas pour autant qu’elle y donne suite. Elle devrait purement et simplement débouter les plaignants en se déclarant incompétente, ou alors saisir le gouvernement allemand ou la CJUE. Elle a déjà saisi la CJUE en 2014, mais sans succès. Cela ne l’empêche pas de poursuivre.

Au-delà du sujet de la capacité de la Cour de Karlsruhe, et de l’opportunité d’une telle intervention, la politique d’assouplissement monétaire de la BCE soulève deux questions :

  • Un problème juridique. Le Traité de Maastricht interdit à toute banque centrale de la zone de participer au financement d’un État de la zone pour éviter toute création monétaire non directement liée à une augmentation de la production, conjurer la « planche à billets ».
  • Des inquiétudes économiques. La semaine dernière, j’écrivais : « La création monétaire par les banques centrales et le ralentissement, voire l’arrêt, des activités économiques devrait, selon la théorie conduire à l’hyperinflation. Selon la théorie monétariste … un excès de signes monétaires par rapport à la valeur nominale des biens entraine automatiquement, voire mathématiquement, un ajustement par les prix. Cela fait plus d’une vingtaine d’années que, de crise en crise, le Monde est submergé de liquidités sans aucune recrudescence de l’inflation ; bien au contraire, c’est le risque de déflation qui inquiétait les banquiers centraux. Merci à la mondialisation et à la concurrence exacerbée qui contrecarre tout mouvement inflationniste. »

Au-delà de ce risque, un excès de liquidités favorise tous les excès de la finance et la constitution de bulles spéculatives qui conduisent à leur éclatement.

Ces risques justifient toutes les interrogations, tous les questionnements des citoyens, des responsables… Elles peuvent venir de la Cour de Karlsruhe, à condition qu’elle ne perturbe pas l’ordre judicaire.

N’oublions pas que les Allemands ont toujours en mémoire les deux catastrophes monétaires du XXème siècle :

  • La crise de 1923-24. L’Allemagne a du mal à se relever de la défaite ; baisse de la production industrielle, prélèvements belges et français au titre des réparations, hyperinflation… En six mois, de juillet 1922 à janvier 1923, le dollar passe de 420 à 49 000 marks ; nous avons tous en tête les photos des Allemands allant faire leurs courses avec des brouettes de billets. Cela a entrainé la paupérisation des classes moyennes, ce qui constitua le terreau du nazisme.
  • La réforme monétaire de 1948. Au lendemain de la guerre, le pays est détruit ; il est divisé, et les Soviétiques finissent par faire bande à part. Le Deutsche mark est alors créé par les trois alliés occidentaux.
  • La gouvernance de la BCE. La démarche de la Cour constitutionnelle est, quelle que soit la pertinence de ses questions, dans une impasse. L’Allemagne a voulu un Banque centrale indépendante. Elle l’est. Cela ne pose aucun problème lorsque les décisions de la BCE déclinent un consensus.

Mais, il peut y avoir divergence. Ce fut le cas à la fin du mandat de Mario Draghi ; des membres du Conseil des Gouverneurs n’avaient pas hésité à exprimer publiquement leur opposition. Que faire dans cette situation ? Cela laisse entier le sujet du contrôle de la BCE dans l’espace démocratique européen.

Si la Cour constitutionnelle persiste dans cette démarche, elle ouvrirait un engrenage préjudiciable à la BCE, à la zone euro, à l’ordre judiciaire européen… La Cour ne peut indéfiniment remettre en cause de la primauté du droit européen sur les droits nationaux.

Heureusement que le leadership franco-allemand nous a dernièrement offert de véritables perspectives pour le continent avec le plan de relance de 500 Md€.

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