L'Occident complètement à l'Ouest : comment Hong Kong est devenu le New York du XXIeme siècle<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
L'Occident complètement à l'Ouest : comment Hong Kong est devenu le New York du XXIeme siècle
©Bobby Yip / Reuters

Bonnes feuilles

L'année 2008 se révèle celle d'une rupture historique, dont nous n'avons pas encore saisi toute l'ampleur, illustrée par l'accélération du retour de la Chine face à l'Occident et l'avènement d'un nouveau monde multipolaire. Extrait de "Génération tonique", de David Baverez, publié chez Plon (1/2).

 David  Baverez

David Baverez

David Baverez est investisseur. Après quinze années partagées entre Londres et Boston, il vit depuis trois ans à Hong Kong.

Voir la bio »

Il est de bon ton aujourd’hui de souligner l’incompétence des responsables politiques français, mais nous avons vu que Hong Kong était loin de briller dans ce domaine. La différence pour un entrepreneur hongkongais vient de ce qu’il peut y financer ses projets, ce qui fait aujourd’hui cruellement défaut en Europe. La carence européenne en business angels est, certes, connue de longue date, mais la crise de 2008 se manifeste par la disparition de financements bancaires disponibles pour les entrepreneurs. Et ce malgré les publicités mensongères des principaux établissements. En Europe, entre 2008 et 2013, les prêts bancaires aux PME ont chuté de plus de 35 % ! La faute à l’insuffisance de recapitalisation du système bancaire européen, comparée à la situation américaine, et à l’extrême rerégulation du secteur.

    Difficile de trouver contraste plus fort que celui entre l’industrie bancaire des années 2000, dont la dérégulation avait permis tous les excès, et celle des années 2010, où l’extrême rerégulation empêche toute prise de risques. La seule activité qui embauche dans les banques depuis 2008, et à tour de bras – à défaut de têtes ! –, est le département « compliance », gendarmes qui désormais imprègnent la culture de toute l’organisation.

    Même le très conservateur président du groupe HSBC, l’Écossais Douglas Flint, reconnaissait publiquement, lors de l’annonce de ses résultats annuels, que le fléau de la balance était passé d’un extrême à l’autre. Il faut dire que son établissement est contraint depuis plusieurs années par la justice américaine de défrayer à temps plein plusieurs centaines d’avocats américains extérieurs à la banque. Ils ont le droit de débarquer à tout moment dans n’importe quelle agence HSBC dans le monde pour jouer les Eliot Ness et vérifier que la banque agit bien en règle avec les standards d’éthique américains, qui, on le sait depuis l’affaire Madoff, sont la référence mondiale...

    J’ai pu moi-même constater les dégâts infligés aux vrais entrepreneurs lorsqu’une des sociétés françaises dans lesquelles j’ai investi lors de sa création s’est récemment lancée dans une opération de croissance externe très prometteuse. Sur un financement de plusieurs millions d’euros, la moitié a été apportée par les actionnaires, le quart par la Banque publique d’investissement, séduite à juste titre par la qualité du dossier et agissant en grand professionnel depuis que le spectre de Ségolène Royal s’en est éloigné.

    Restait donc le dernier quart à trouver auprès de notre banquier commercial, « fidèle partenaire » depuis quinze ans, au sein d’une des plus grandes banques françaises. Malheureusement, « le comité de crédit n’aime pas [notre] acquisition », alors que notre dossier remplit toutes les conditions financières préalablement exigées. « Il vous est impossible de leur parler, ils ne doivent pas rentrer en relation avec le client »... J’ai donc suggéré à notre contact de rebaptiser son département pompeusement appelé « Maison des entrepreneurs » en « Comité central du crédit stalinien », et ce que je crois être une pépite d’ingéniosité française est désormais financée par une banque étrangère qui, elle, a su voir tout l’intérêt de l’opération.

    Cette tendance semble devoir se répandre aux États-Unis, si l’on en croit les récents propos de l’ancien président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke. Ce dernier vient de reconnaître lors d’une conférence à Chicago que lui-même s’était vu refuser le refinancement de son prêt hypothécaire par sa banque ! Qui osera encore prétendre après cela que la société américaine est de nature injuste ?

    Le choix paraît simple pour un créateur d’entreprise : l’Europe, avec son absence de croissance durable, ses banquiers visionnaires et son imposition spoliatrice ; ou l’Asie, avec sa croissance créatrice, ses investisseurs-partenaires et sa juste imposition ? Reste à trouver le bon positionnement pour affronter une concurrence farouche, attirée par les perspectives exceptionnellement alléchantes de la région. Toute offre orientée vers les consommateurs se doit de répondre au triptyque magique produit/marque/expérience : produit innovant, marque « aspirationnelle », mais aussi expérience novatrice, précisément l’élément bien souvent manquant aux Européens qui tentent leur chance.

    Comment convaincre des Hongkongais ou des Singapouriens, champions du shopping dominical, d’entrer dans vos boutiques en y passant un moment mémorable, une nanoseconde magique, qui leur feront oublier ensuite le montant, espérons légèrement excessif, de l’achat qu’ils finiront par y effectuer ? Comment convaincre des Chinois que les services que vous leur proposez sont novateurs, efficaces, bientôt indispensables ?

    Les exemples de réussite occidentale sont légion : à titre personnel, j’ai ainsi eu le bonheur de participer au succès de la marque Éric Kayser, porte-drapeau du savoir-vivre français dans le domaine de la boulangerie-viennoiserie ; de Trading Central, leader mondial des logiciels d’analyse technique dans la sphère des services financiers, symbole du know-how français en matière d’ingénierie financière ; de Secret Ingredient, service innovant de home cooking, offrant de vivre en famille l’expérience de grands chefs cuisiniers à domicile ; ou encore de Deepsky, société high-tech inventant la digitalisation de l’affichage publicitaire à un coût enfin réaliste.

    Art de vivre, services financiers, services à la personne, très haute technologie... autant de témoignages variés montrant que tous les domaines de la création se trouvent favorisés par l’écosystème ambiant.

    Et si Maggie Thatcher se plaît à continuer d’avoir raison, il y a fort à parier que l’esprit d’innovation propre à Hong Kong n’en finira jamais de remodeler le continent chinois. En réalité, et c’est là l’une des surprises majeures, la Chine a commencé à innover depuis beaucoup plus longtemps qu’on ne le croit. Mais, comme toujours, elle l’effectue à sa manière, pour nous surprendre le plus tardivement possible.

Extrait de "Génération tonique - L'Occident est complètement à l'Ouest", de David Baverez, publié chez Plon, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !