Quitte ou double
L'euro est-il un pari manqué ?
Un récent article du Financial Times prédit l’inexorable séparation de la zone euro, la monnaie unique n'ayant pas réussi à être une force d'harmonisation.
Philippe Waechter et Nicolas Goetzmann
Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.
Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.
Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie" (Editions Alphée, 2008).
Nicolas Goetzmann est Stratégiste Macroéconomique et auteur d'un rapport sur la politique monétaire européenne pour le compte de la Fondapol.
Atlantico : Dans un article intitulé Pourquoi la zone euro va se séparer tôt ou tard publié dans le Financial Times, Samuel Brittan déplore que la monnaie unique n'ait pas réussi à devenir la force d'harmonisation qu'elle était censée être (lire ici). Le pari de l'euro est-il déjà perdu ?
Philippe Waechter : Dans un article récent du Financial Times le chroniqueur Samuel Brittan suggère que tôt ou tard la zone euro ne pourra plus continuer à fonctionner. Pour l'auteur, la monnaie unique devait apporter une grande homogénéité dont la régulation par la banque centrale était suffisante pour en assurer la pérennité. Il déplore qu'en l'espace d'un peu plus d'une dizaine d'années les européens n'aient pas été capables de créer cette homogénéité. Pour cela il fait reposer son analyse sur la divergence des coûts salariaux entre l'Allemagne d'une part et l'Italie, l'Espagne,la Grèce ou encore le Portugal d'autre part. Il souligne aussi l'excédent commercial allemand qu'il contraste avec les équilibres extérieurs difficilement acquis par ces pays.
A la lecture de ces deux éléments il conclut que la zone euro est un échec et qu'in fine en échapper sera la seule solution pour un pays voulant retrouver de la croissance.
La première remarque est de considérer qu'il est excessif d'imaginer en très peu de temps la possibilité d'une homogénéité forte au sein de la zone euro. C'est imaginer que le seul signal observé par les acteurs de l'économie est celui du prix ou du salaire. C'est un peu réducteur et forcément excessif pour être réaliste. Les acteurs de l'économie, ménages ou entreprises, réagissent aussi à d'autres signaux. On ne peut imaginer déterminer son comportement que sur la vue d'un prix ou d'un salaire.
La lecture de cet article fait penser immédiatement à la Grande-Bretagne qui à l'automne 1931 est sortie du système de change-or qui bloquait la valeur de sa monnaie. Dès sa sortie l'économie britannique avait retrouvé une dynamique de croissance plus marquée. Cette analogie forte n'est cependant pas suffisante pour accepter son application à la zone euro. Plusieurs arguments doivent être mis en avant :
- L'Europe et la zone euro sont avant tout un projet politique. La zone euro en tant que telle ne peut et ne doit pas se résumer à la simple dimension économique et monétaire. Elle est essentielle mais insuffisante si l'objectif est de partager un destin commun car cela a alors une véritable dimension politique. La monnaie unique était l'aboutissement de la construction économique en Europe, elle n'est pas celui de la construction européenne.
- L'absence d'homogénéité que souligne Samuel Brittan reflète une construction institutionnelle manquant d'autonomie par rapport aux Etats. Il a été considéré au départ que le prolongement des règles du Système monétaire européen et la mise en place d'une Banque centrale européenne étaient suffisants. Cela n'a pas été le cas. Les économies de la zone euro ont pu évoluer avec des divergences de comportement qui s'accentuaient. C'est le point souligné par l'auteur. C'est une des faiblesses de la construction mise en œuvre car ces déséquilibres observés n'ont pas pu être corrigés de façon endogène, il n'existait pas de règles de correction.
En outre la zone a subi une série de chocs asymétriques, tous les pays n'ont pas, durant la crise, subi des chocs de même nature. Les institutions européennes n'avaient pas la capacité d'y répondre et de donner des solutions. C'est ce dernier aspect qui est majeur et qui a été observable lors de la crise de 2011. Les Européens ont eu à faire face à un défi pour lequel il n'y avait pas spontanément de solutions.
Cela change. Des institutions plus autonomes des gouvernements ont été mises en place afin d'assurer une meilleure régulation au sein de la zone afin d'éviter les déséquilibres qui ont pu être déplorés des dernières années. Le Traité de gouvernance, le Mécanisme européen de stabilité, le rôle que se donne désormais la BCE, l'Union Bancaire, toutes ces constructions vont permettre une plus grande autonomie à l'euro et c'est cela qui est souhaitable et souhaité.
- Ces changements profonds depuis un an doivent permettre de normaliser la zone euro et de ne plus systématiquement imaginer que la solution pour un pays qui a un problème est sa sortie de la zone euro. C'est cela l'enjeu des changements, des bouleversements institutionnels observés depuis un an maintenant.
- Mais ce n'est pas encore suffisant car il faut aussi retrouver de la croissance. Sans celle-ci il existe un risque fort d'instabilité sociale et politique. Sur ce plan la réduction à vive allure des déséquilibres budgétaires n'est probablement pas la solution adéquate car elle pénalise la demande adressée aux entreprises contraignant ainsi la production et l'emploi. La politique d'austérité menée depuis 2011 pèse sur la croissance et sur la capacité des économies à se réformer et à retrouver in fine la possibilité de créer des emplois. Cela s'observe notamment en Espagne et en Italie. Le risque de la politique actuelle est qu'elle pénalise la croissance et favorise les votes extrêmes ce qui n'est pas un gage de stabilité.
- Retrouver une dynamique économique plus robuste permettra alors de faire accepter la dimension politique de la zone euro. C'est le projet qu'avaient développé dans un rapport messieurs Von Rompuy, Barroso, Draghi et Juncker. Dans celui ci l'Europe mettrait en place une entité centrale capable de mieux coordonner les politiques budgétaires et de créer les impulsions nécessaires pour réduire les déséquilibres qui pourraient se présenter. Cette dimension est essentielle pour effectivement rendre la zone euro plus homogène. Cela peut avoir l'allure d'un gouvernement européen avec une composante de fédéralisme. Cela ne ressemblera ni aux Etats-Unis ni à aucune autre construction en raison du passé très différent de chacun des pays membres.
Cette homogénéité doit se construire et c'est cela la tâche à laquelle les Européens doivent s'atteler.
La zone euro est jeune et sa construction institutionnelle a été insuffisante pour garantir la cohérence des comportements de chacun des pays. Des options ont été prises pour stabiliser la zone euro en tant qu'Union Monétaire et cela a plutôt bien réussi pour l'instant car il n'est plus imaginé que cette zone monétaire explose. Il faut continuer et favoriser à tout prix la croissance. Cela passera par un changement de politique économique, moins tournée vers l'austérité afin de faciliter la reprise de la croissance puis la construction d'une dynamique politique plus intégrée. Ce n'est qu'avec une grande dimension que la zone Euro et que l'Europe continuera de disposer d'un poids fort au sein du concert mondial.
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