L'Allemagne assouplit ses conditions de naturalisation : comment le débat sur l'intégration se pose outre-Rhin<!-- --> | Atlantico.fr
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La CDU d’Angela Merkel a accepté la proposition du Parti social-démocrate d’introduire le principe de double nationalité pour les enfants d’immigrés nés sur le sol allemand.
La CDU d’Angela Merkel a accepté la proposition du Parti social-démocrate d’introduire le principe de double nationalité pour les enfants d’immigrés nés sur le sol allemand.
©Reuters

Différence d'approche

Les enfants d'immigrés vivant en Allemagne ayant entre 18 et 23 ans n'auront bientôt plus à choisir entre la nationalité allemande et celle de leurs parents : ils pourront bénéficier de la double nationalité. Cette réforme est le fruit des tractations entre Angela Merkel et les social-démocrates visant à établir une coalition en mesure de gouverner.

Yvonne  Bollmann

Yvonne Bollmann

Yvonne Bollmann est ancien maître de conférences à l'université Paris XII, auteur de La Bataille des langues en Europe et de Ce que veut l'Allemagne, publiés tous deux chez Bartillat

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Atlantico : Après cinq semaines de négociations pour former un gouvernement de coalition, la CDU d’Angela Merkel a accepté la proposition du Parti social-démocrate d’introduire le principe de double nationalité pour les enfants d’immigrés nés sur le sol allemand. Ces derniers devaient auparavant choisir entre la nationalité allemande et celle de leurs parents. Cette décision constitue-t-elle un changement majeur pour le pays ? Pourquoi ?

Yvonne Bollmann : La notion de "double nationalité" n’apparaît pas nommément dans l’accord de coalition. Depuis la réforme du code de la nationalité de 2000, l’enfant d’immigrés reçoit automatiquement la nationalité allemande à la naissance si la mère ou le père réside depuis huit ans sur le territoire fédéral avec un droit de séjour, et si, lors de sa naissance, la mère et le père disposent d’un droit de séjour illimité. Une fois majeur, à 18 ans, et jusqu’à l’âge de 23 ans, l’enfant possédant la nationalité des parents et la nationalité allemande doit se prononcer pour l’une des deux. C’est cette déclaration d’option qui sera supprimée, le droit de la nationalité restant "sinon inchangé".

On lit dans l’accord de coalition que pour les enfants d’étrangers qui sont nés et ont grandi en Allemagne, "la plurinationalité  (Mehrstaatigkeit) est acceptée". Une trouvaille sémantique ! Mehrstaatigkeit permet d’éviter qu’il soit question de "double" nationalité. En même temps, le mot souligne implicitement qu’il s’agit bien de la nationalité d’État (Staatsangehörigkeit), pas de la nationalité "ethnique" (Volkszugehörigkeit), et que ces nouveaux "Allemands" n’en seront jamais de "vrais" (voir l’article 116 de la Loi fondamentale).

D’ailleurs, accepter n’est pas forcément reconnaître. De ce point de vue, il ne s’agit donc pas d’un changement majeur.

Plus largement, quel est le climat en Allemagne sur la question de l’intégration des immigrés ? Les débats suscitent-ils des tensions entre les différentes tendances ? De quel ordre ces dernières sont-elles ?

Pour le moment, c’est chez "les musulmans, les immigrés et les Turcs" que les débats sont les plus vifs. Beaucoup se sentent déçus, voire trahis, par cet accord de coalition "qui ne change rien à la situation de la première génération de Turcs venus faire tourner les usines allemandes à partir de la fin des années 50". Le droit à la double nationalité pour tous aurait été "une reconnaissance de leurs prestations". Ce texte déplaît également par sa volonté affirmée de soutenir les "forces modérées" dans le dialogue avec le monde islamique, et par le choix des mots lorsqu’il est question "d’associations musulmanes" plutôt que de "communautés religieuses islamiques". Certains, sur les réseaux sociaux, appellent les adhérents du SPD à voter contre l’accord de coalition.                                                          

Plus généralement, la question de l’intégration des immigrés continue de susciter des réactions opposées. On connaît les thèses de Thilo Sarrazin sur l'immigration en provenance de pays à prédominance musulmane. Il les a réitérées récemment lors d’une conférence sur "l’avenir de la famille", à Schkeuditz, près de Leipzig,  où étaient présents également plusieurs centaines de contre-manifestants. Mais le recrutement massif et ciblé, par l’Agence fédérale pour l'emploi, de "travailleurs hôtes/Gastarbeiter" dans les pays en crise du sud de l’Europe, pourrait bien modifier la donne à ce sujet, tout comme l’accès facile au vivier de main d’œuvre qu’est pour l’Allemagne son hinterland est-européen. Le marché de l’immigration est lui aussi livré à la concurrence.

Par rapport à la France, le thème de l’intégration se pose-t-il différemment en Allemagne ? Pourquoi ?

L’accord de coalition fournit une réponse. Dans sa quatrième partie, consacrée à la "cohésion de la société", le premier chapitre précise en dix points comment "renforcer les liens et améliorer l’égalité des chances". C’est en point 6, sous le titre "Façonner l’intégration et l’immigration", que figure entre autres la mesure relative à la déclaration d’option. En dixième et dernière position vient sans surprise un passage sur les "rapatriés (Aussiedler), expulsés (Heimatvertriebene) et minorités nationales". Les aides au bénéfice des minorités allemandes dans les territoires de provenance des rapatriés seront maintenues, de même que le soutien "aux quatre minorités nationales en Allemagne – Danois, Sorabes, Frisons, ainsi que Sintis et Roms allemands – et à la minorité allemande au Danemark, ainsi qu’aux minorités allemandes en Europe du centre-est et du sud-est et dans les États successeurs de l’Union soviétique". Est également  réaffirmée l’adhésion à la politique européenne des minorités, qui est, comme on sait, un facteur d’ethnicisation du politique. C’est donc sur une note ethnique que s’achève ce chapitre de l’accord de coalition. Chacun y est assigné à sa place dans un groupe.

Rien de tel en France, pas de minorités ethniques, l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Dans une étude sur le processus d’intégration des jeunes d’origine turque en France (Bordeaux) et en Allemagne (Hambourg), Maïténa Armagnague écrit que "la voie 'communautaire' d’adaptation caractérisée par une faible assimilation" est davantage suivie en France qu’en Allemagne par les jeunes Turcs. Elle en conclut que "c’est donc paradoxalement dans un système national qui nie l’existence des communautés ethniques en tant qu’instances de régulation que se maintient, voire se fortifie, la logique communautaire" (voir ici). Mais cela n’est pas une preuve pour justifier l’abolition du caractère a-ethnique de l’Etat-nation France, tellement mis à mal ces temps-ci, depuis l’extérieur comme de l’intérieur. C’est une raison supplémentaire de faire de cette exception française d’avant-garde une "ardente obligation".

Compte tenu de l’importance de l’Allemagne en Europe, cette dernière pourrait-elle être influencée par les positions de l’Allemagne sur l’immigration ? Pourquoi ?

Martin Schulz, membre du SPD et président du Parlement européen, qui se voit en futur président de la Commission européenne, a participé aux négociations pour un accord de coalition. Dans le préambule du texte adopté, un paragraphe traite "d’une Europe forte et stable – l’avenir de l’Allemagne", avec la conclusion suivante : "Nous aidons à combattre de façon ciblée l’important chômage des jeunes en Europe. Nous agirons avec nos partenaires pour que chaque jeune ait une chance et une perspective." On lit en filigrane l’appel aux chômeurs de tous les autres pays à venir travailler en Allemagne.

Il en va de même pour la sixième partie de l’accord de coalition, qui traite "d’une Europe forte". Elle affirme d’emblée "la responsabilité de l’Allemagne en matière de politique européenne", et présente "l’œuvre d’unification européenne" comme "la tâche la plus importante de l’Allemagne". La mobilité accrue des jeunes y apparaît comme un élément de la démocratisation de l’Europe. L’Allemagne s’y dit "prête à manifester son soutien solidaire, sous la forme par exemple de crédits et d’aide technique, pour permettre, dans les pays récipiendaires, des politiques de réformes destinées à retrouver de la compétitivité et à faire reculer le chômage". Une politique analogue de recrutement de main d’œuvre bien au-delà des frontières de l’UE est une nécessité pour l’Allemagne. Sa "responsabilité dans le monde", à l’affirmation de laquelle est consacrée la septième partie de l’accord de coalition, lui inspirera sûrement une politique d’immigration conforme à ses intérêts économiques, sur le modèle de la lutte contre le chômage en Europe.

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