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Islamophobie : comment les Occidentaux tombent dans le piège qui leur est tendu
©NICOLAS MAETERLINCK / Belga / AFP

Bonnes feuilles

Philippe d’Iribarne publie "Islamophobie : intoxication idéologique" chez Albin Michel. Le concept d'islamophobie est un leurre, une illusion, une intoxication. Pour rendre meilleur les rapports entre l'Occident et le monde de l'islam, il faut échapper à cette manipulation et cultiver un regard de vérité. Extrait 1/2.

Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel).

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

 

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Loin d’être seulement des compagnons de route, « idiots utiles » de l’islamisme, les Occidentaux qui professent le discours de l’islamophobie ont leurs propres objectifs. Les uns voient dans les musulmans le substitut d’une classe ouvrière qui a massivement trahi les idéaux progressistes. Ils comptent sur eux pour être les nouveaux soldats d’une lutte contre une société engluée dans un passé « nauséabond ». D’autres aspirent à une fraternité postrépublicaine au sein d’un monde de tolérance, de respect et de paix, où la place occupée par l’islam dans une société métissée témoignerait du fait que celle-ci ne doit rien à un héritage culturel et religieux particulier. Pour d’autres encore, l’islam est un allié dans une lutte contre la sécularisation de l’Occident. Enfin, beaucoup ont simplement peur d’être mal vus, traités de xénophobes, racistes, fermés, etc., s’ils osent contester la doxa. Tous se rejoignent dans une fascination commune pour un islam de convention qu’il est possible de célébrer sans se soucier de ce que le monde islamique donne à voir. Et ceux qui prêtent attention à ce monde sont accusés de mauvaises pensées. 

Pendant ce temps, la plupart des Occidentaux sont loin d’être prêts à prendre pour argent comptant la fable d’un islam victime d’un Occident haineux. Pensant qu’il faut juger l’arbre à ses fruits, ils sont attentifs aux faits que les médias rapportent jour après jour, quelle que soit leur orientation idéologique, concernant la vie sociale dans le monde de l’islam. Ils reprochent à leurs sociétés de ne réagir qu’avec mollesse à l’emprise d’un islamisme conquérant. Le crédit accordé au discours de l’islamophobie est pour eux un symptôme du triomphe des islamistes.

Les ennemis de mes ennemis sont mes amis

Certains des Occidentaux qui se posent en défenseurs de l’islam et des musulmans sont animés par le vieux principe selon lequel « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». L’ennemi est pour eux le monde occidental, blanc, riche, judéo-chrétien, accusé d’être dominateur, colonialiste, oppresseur, méprisant, exploiteur. Il s’agit de le combattre, de s’attaquer à sa superbe, de le mettre à bas. Parmi les alliés à mobiliser, l’islam et les musulmans occupent une place de choix. Ceux qui adoptent cette position se divisent eux-mêmes en de multiples courants unis par une commune détestation des « dominants » tout en se focalisant sur l’une ou l’autre composante de leur univers honni. On peut saisir la passion commune qui les anime en se penchant sur un rapport officiel français où elle se donne à voir d’une façon particulièrement virulente : « La grande nation pour une société inclusive ». 

L’objet du ressentiment est la France du passé, avec ses traditions, son attachement à la patrie, que l’auteur, conseiller d’État, poursuit de ses sarcasmes : Empilons sans crainte – ni du ridicule ni de l’anachronisme  – les majuscules les plus sonores, clinquantes et rutilantes : Droits et Devoirs ! Citoyenneté ! Histoire ! Œuvre ! Civilisation Française ! Patrie ! Identité ! France ! Ce vocabulaire, remarquable par son archaïsme et sa boursouflure, relèverait de généralités majuscules de bronze, plus creuses qu’une statue de fer-blanc. Les dénonciations pleuvent : Un stock fini de cathédrales et de musées où périclite une identité nationale passée, sans présent ni avenir ; une France repliée sur la célébration de ses archaïsmes ; une politique qui cherche des dérivatifs dans la rumination du passé ; la frénétique invocation du drapeau, ou encore les images d’Épinal jaunies et flétries du roman national fêté avec nostalgie et amertume. 

À l’égard de ceux qui la rejoignent, est-il affirmé, la société française est profondément coupable de s’enfermer dans son passé. Elle est marquée par une xénophobie archaïque, une atmosphère de crainte, de suspicion, de mépris. Elle traite de manière indigne toutes les générations françaises qui aujourd’hui encore, par leur couleur, leur patronyme, leur foi, voire leur cuisine, leurs vêtements, leurs chants, sont rejetées, tenues à l’écart, cantonnées ou évitées. Elle fabrique en son sein les parias, les ilotes, les affranchis, sans citoyenneté ni liberté. Et c’est parce qu’elle n’est pas clémente à ceux qu’elle appelle étrangers que trop souvent ils clament en retour malaise ou détestation. 

Dans ces conditions, la France devrait cesser de faire pression sur les nouveaux venus pour les inciter à respecter ses mœurs. Elle devrait se laisser déstabiliser, transformer par eux. Il est, selon le rapport, scandaleux de faire de ceux qui la rejoignent les objets d’un usinage, le matériau d’une machine à mouler les Français, dont les ratés seraient dus au fait qu’il refuserait la fonte, le creuset, de les traiter comme une pâte inanimée, qu’on va triturer, avec générosité mâtinée de condescendance, une fermeté mêlée de distance. Il faut cesser d’apprendre aux étrangers un prétendu socle commun. Il est temps de ramener nos compatriotes au cœur de notre société sans leur reprocher leurs origines. Ce sont leurs cultures qu’il faut respecter, par opposition à une situation où comme on le voit aujourd’hui, le système blesse, heurte, éteint, ignore. Il faut à cet effet connaître chaque population et identifier sa provenance et sa culture d’origine, ses mœurs et ses pratiques religieuses, ses modalités de socialisation des enfants, des adultes et des vieux, son rapport à l’école au sport, etc. C’est ainsi que l’on construira une nation joyeuse, multiple, ouverte, et non obsédée par des périls imaginaires ou des projets liberticides et absurdes, qui méconnaissent la réalité du monde, que l’on échappera au rapetissement de la France au rabougrissement de son âme généreuse.

C’est dans cette perspective inclusive qu’est abordé l’islam en adoptant la représentation victimaire que le terme d’islamophobie synthétise. L’islam et les musulmans ne seraient source d’aucun problème. Ce sont les réactions de la fraction majoritaire de la société qui seraient condamnables  : la question musulmane, qui ne cesse d’enfler et de soucier, de polluer le débat public, et de troubler jusqu’au délire les meilleurs esprits est une pure invention de ceux qui la posent. Toutes les inquiétudes liées à l’islam sont balayées comme imaginaires, sans qu’il paraisse utile d’examiner précisément ce qui fait problème : Aucune religion pratiquée sur le territoire ne menace la République, restons sérieux […]. Croit-on sincèrement qu’une religion, quelle qu’elle soit, pourrait durablement imposer à des fidèles aussi informés, critiques, éduqués, que le sont les Français, un credo de violence, d’intolérance, d’exclusion et de terreur ? L’injure faite à nos compatriotes rejaillirait sur nous tous – nous n’aurions donc pas été capables, à l’école, sur le forum, dans notre vie politique et sociale, de faire mieux que cela ? 

Ainsi, rien de ce qui touche au statut des femmes dans le monde musulman n’est vu comme susceptible de semer le trouble. Le pourfendeur effarouché du statut qu’il pense diminué de la femme en islam est invité à se taire en pensant que les Églises n’ont pas toujours été parfaites en la matière. La question du voile islamique est tournée en dérision : Que le vêtement évolue nous rendra peut-être un peu moins gris, compassés, et encravatés. Quand même, reprenons-nous ! La France a-t-elle jamais dépendu de ce qu’un bout de tissu – boubou, coiffe bretonne, chèche ou béret – soit porté d’une façon ou d’une autre ? […] Qu’on sache, aucun mouvement de fond n’est venu exiger que les femmes de confession musulmane puissent déambuler en Burqa. C’est le gouvernement qui a décidé de cibler les quelques femmes ainsi vêtues pour les dévêtir de la toute-puissance de la loi, inventant ce slogan, qui laisse encore perplexe, selon lequel la République se vit à visage découvert. Il est pourtant noté que l’accompagnement scolaire réalisé au pied des mosquées, qui engendre ségrégation des garçons et des filles, attire de plus en plus les musulmans – mais c’est à la société française que cela est reproché. 

Ce qui touche aux liens entre l’islam et le terrorisme est écarté de même : Cessons de confondre quelques malades mentaux, hélas sans confession, qui – comme hier nos anarchistes – croient que tuer des innocents est un mode d’action politique, avec la religion. Non, l’islam ne génère pas le terrorisme, il n’est pas inscrit dans ses gènes. Comme toute religion et comme aucune n’y a fait exception, l’histoire le montre assez, elle a ses obscurantistes et ses fanatiques. […] mais ils sont, dans notre pays, rares, minoritaires, et sans rapport aucun avec l’islam. Ceux qui s’inquiètent du terrorisme sont présentés comme hantés par un imaginaire qui transforme le pauvre hère mal payé ou chômeur, déconsidéré et relégué, en élément de hordes islamistes terroristes qui fait la une des magazines, terrorise le bourgeois, et le fait colloquer gravement sur tous les tons du choc de civilisation qui se prépare ! En voulant stigmatiser quelques zélotes, on arrive à ostraciser des millions de croyants. 

Dans cette logique, ce sont ceux qui résistent à l’emprise de l’islam qui sont dénoncés comme adeptes d’un laïcisme de combat, furibond et moralisateur, qui mêle dans un étrange ballet les zélotes des racines chrétiennes de la France […] et républicanistes tout aussi intégristes, qui semblent n’avoir de la liberté qu’une idée terrifiée, où, hélas, souvent terrifiante. Il est temps de considérer enfin l’islam comme une religion paisible et respectable de lui laisser toute sa place de grande religion. 

Cette détestation du monde occidental – et en particulier de la société française –, jointe au désir de s’appuyer sur le monde de l’islam pour le déstabiliser, se rencontre sous bien d’autres formes. Il s’agit, pour la nébuleuse à laquelle est associé le terme générique d’islamogauchisme, de reprendre le combat anti-impérialiste avec ses divers avatars, du projet communiste aux luttes anticoloniales, avec d’autant plus de zèle qu’il s’agit de surmonter les déceptions nées des combats perdus.

Dans cette perspective, la seule chose qui importe concernant l’islam et les musulmans est que le rapport de ces derniers à l’Occident soit suffisamment conflictuel pour qu’une alliance soit possible contre l’ennemi commun. En revanche ce que le monde musulman est lui-même ne mérite pas qu’on s’y attache, d’autant plus que prêter trop d’attention à sa face obscure risquerait de miner la solidarité dans les luttes. Les femmes en hijab, ou même en burqa, seront déclarées héroïnes du combat féministe. Et on arrive à assimiler sans vergogne la situation des musulmans d’aujourd’hui à celle des juifs d’hier. Seul compte le fait que plus les musulmans croiront qu’ils sont victimes d’un Occident vu comme l’empire du mal, plus ils seront incités à le combattre.

Extrait du livre de Philippe d’Iribarne, "Islamophobie : intoxication idéologique", publié chez Albin Michel.

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