ISF climatique : les très mauvais calculs de Greenpeace<!-- --> | Atlantico.fr
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Greenpeace ISF climatique méthode calcul
Greenpeace ISF climatique méthode calcul
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Méthode

Dans un rapport intitulé "L'argent sale du capital", Greenpeace préconise de rétablir l'impôt sur la fortune (ISF) en lui adjoignant une composante carbone appliquée au patrimoine financier. La méthode de calcul de Greenpeace dans leur étude est-elle fiable ?

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico.fr : Greenpeace affirme que "les 1% les plus riches de la planète seraient responsables de deux fois plus d'émissions de CO2 que la moitié la plus pauvre" et que leur patrimoine pollue encore plus, est-ce que ce calcul qui est l'un des prémices de leur proposition est correct et fiable ?

Pierre Bentata : Non. Si vous regardez le cas qui nous concerne, le cas de la France, Greenpeace est assez démagogique et assez biaisé dans son étude car la source principale qu’ils utilisent c’est une étude de l’OFCE, assez récente, qui date du début des années 2020 et le reste ça vient de OXFAM. Mais l’étude de l’OFCE précise qu’il y a une telle hétérogénéité au sein des différents déciles de revenus que l’on ne peut pas conclure qu’il y a un rapport entre le niveau de richesse et le niveau de pollution. Rien que dans les sources qu’ils utilisent, c’est assez discutable. Car dans ce très bon rapport de l’OFCE vous voyez qu’il y a des écarts à l’intérieur des déciles qui sont tellement importants que vous avez des gens du premier décile de revenus qui ont le même niveau de pollution que des gens du dixième décile. C’est une manipulation des chiffres qui est sournoise, vicieuse et pas du tout scientifique. Ils précisent « si vous n’êtes pas convaincus, regardez » en expliquant qu’il y a une sorte d’injustice parce que les 1% des plus riches ne paient pas assez d’impôts. C’est vrai que les 1% les plus riches ont un taux d’imposition inférieur à la moyenne, mais il y a deux biais. Le premier c’est qu’on regarde une fraction de la population qui est minuscule, car lorsque vous regardez les 10 % les plus riches et les 10% les plus pauvres, ils paient à peu près le même taux d’impôts :  50% pour les plus riches contre 46 % pour les plus pauvres. Là-dedans on n’intègre pas la redistribution, parce que sinon en France, en gros 50% des ménages paient la totalité des impôts.

Donc c’est une vraie distorsion de la réalité dans la manière dont on présente les chiffres. Surtout, ils ne s’intéressent jamais au volume : que les 1% aient un taux d’imposition plus faible ne signifie pas du tout qu’ils ne paient pas d’impôts. Ensuite, leur façon de faire le lien entre l’imposition et le taux de pollution, c’est de parler des placements mais évidemment, ils regardent simplement les secteurs en disant : « les riches doivent investir selon la répartition moyenne des investissements aujourd’hui ». Or ça, on n’en sait rien du tout, on ne sait pas si les gens très riches investissent exprès dans des projets verts. Des mécènes, comme Léonardo DiCaprio aux Etats-Unis qui veut faire du réchauffement climatique une priorité. Dans ce cas-là, vous allez taxer quelqu’un qui dédie déjà une partie de son patrimoine pour mettre des énergies vertes. C’est simplement dogmatique, avec la volonté de taxer les plus riches en rétablissant un ISF. Le patrimoine, tout dépend de ce que vous y intégrez, est-ce que vous avez des actifs pour posséder des parts d’une mine de charbon ou une maison qui respecte toutes les normes et qui est propre, ou une entreprise zéro pollution. Ça n’a aucun sens, il faudrait regarder dans le détail, mais on voit bien que ce n’est pas leur problème. C’est faux, démago, biaisé et inefficace.

Mettre en place un ISF climatique, comme le propose Greenpeace permettrait-t-il réellement de réduire les émissions de gaz à effet de serre des plus riches ? 

Non, parce qu’ils partiront. Donc soit il va falloir le faire de façon globale, mais ça veut dire que vous niez complètement l’hétérogénéité, des façons de consommer, d’investir, et même les répartitions de patrimoine des individus. Donc vous allez directement avoir des gens qui vont être immédiatement punis, alors qu’ils n’émettent pas d’avantage d’émissions de gaz à effet de serre que le reste de la population et d’autres qui vont payer pour ça. Mais ça ne va pas avoir d’impact qui va être significatif. En plus de ça, on se concentre sur la France qui représente entre 0.6 et 0.9 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Vous pouvez taxer autant que vous voulez et même avoir zéro pollution dans le pays, ça ne changera rien si le but c’est vraiment de limiter les émissions de gaz à effet de serre. Nos émissions par point de PIB sont également parmi les plus faibles du monde donc on est déjà un pays propre. Les indicateurs environnementaux nous le montrent : on est toujours deuxième ou troisième dans le classement mondial de la performance environnementale. Donc vous pouvez faire ce que vous, ça va permettre à l’Etat de récupérer un peu d’argent, ça va inciter les plus riches à partir en créant une sorte de sanction. Mais si le but c’est de protéger l’environnement ça n’aura aucun effet. Le but d’une telle proposition de Greenpeace ce n’est pas que le monde soit plus propre, c’est qu’il soit plus pauvre. Pour limiter les gaz à effet de serre, il faut investir dans les énergies qui sont les plus vertes, propres et efficaces. On les connait très bien et aujourd’hui ça s’appelle le nucléaire. Si Greenpeace voulait vraiment protéger l’environnement, il faudrait encourager les investissements dans le nucléaire.

A défaut d’une efficacité écologique, cet ISF climatique aura-t-il un effet économique pour taxer les plus riches ?

Ils veulent appâter le chaland en disant « militer avec nous ça va rapporter quatre milliards d’euros ». Donc l’argument massue c’est que ça va rapporter de l’argent : « Il faut taxer les plus riches et d’ailleurs regardez, ils paient moins d’impôts ». Dans le contexte actuel, c’est ridicule, vu les quantités d’argent qui ont été mobilisées aujourd’hui, vu le poids de la dette qu’on aura en 2020, quatre milliards d’euros c’est ridicule. Ce n’est rien du tout, une paille. Donc c’est un ISF qui serait au maximum complètement inefficace, inutile, et qui en plus ne prend pas en compte l’injustice vis-à-vis des plus riches et en plus de ça, le fait que comme à chaque fois qu’un pays a tenté de mettre un ISF ou un impôt supplémentaire sur le patrimoine des plus riches, vous aurez une fuite des plus riches. Ce n’est pas un risque, c’est une certitude puisque quand on a commencé à réformer l’ISF, nous avons eu des retours. Et d’ailleurs on a suivi là-dedans l’exemple de tous les pays scandinaves, notamment la Suède, qui quand ils ont arrêté de taxer les héritages ou le patrimoine ont eu un retour de leurs fortunes dans le pays. Donc s’ils le font dans un sens ils n’hésiteront pas à le refaire dans l’autre. Quand vous avez un taux de pression fiscale qui dépasse les 50 % et en France un impôt marginal parmi les plus élevé du monde. Si vous rajoutez des taxes là-dessus, les gens ont raison de partir. Par ailleurs, les pays les plus riches sont aussi ceux qui ont les moyens d'investir dans les technologies propres donc décourager les grandes fortunes aura nécessairement comme conséquence de réduire les moyens du pays. C’est une habitude de Greenpeace, ils n’ont jamais de propositions qui ont pour objectif d’arriver à faire ce qu’on appelle du développement durable : c’est-à-dire concilier des impératifs qui sont économiques, sociaux et écologiques. C’est une vieille habitude qui n’est plus du tout en vogue parmi les gens sérieux qui est une soutenabilité forte : ne plus jamais toucher au capital naturel et donc appauvrir la population. Mais il n’y a jamais d’idées qui sont scientifiquement et socialement tenables.

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