Inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution ou l’impuissance politique drapée dans le fétichisme juridique <!-- --> | Atlantico.fr
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Une manifestation pour la défense du droit à l'IVG.
Une manifestation pour la défense du droit à l'IVG.
©Charly TRIBALLEAU / AFP

IVG

L’avortement est déjà protégé par des dispositions à valeur constitutionnelle. Investir sur des combats politiques déjà gagnés quand tant de fronts sont abandonnés ne fait qu’aggraver le malaise démocratique.

Anne-Marie Le Pourhiet

Anne-Marie Le Pourhiet

Anne-Marie Le Pourhiet est professeur émérite de droit public.

 

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Atlantico : Mélanie Vogel et Laurence Rossignol ainsi que Laurence Cohen ont inscrit une PPL pour mettre l’IVG dans la Constitution. Est-ce utile ? Dans quelle  mesure des textes, y compris à valeur constitutionnelle, protège-t-il déjà l’avortement ?

Anne-Marie Le Pourhiet : Il n’existe nulle part de « droit à l’avortement » mais seulement une liberté des femmes de mettre un terme à leur grossesse dans les conditions prévues par la loi. Cette liberté, pas plus qu’aucune autre, n’est absolue et elle doit être conciliée avec un autre principe qui a aussi valeur constitutionnelle et qui est « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation ». Ce principe a été déduit du préambule de la Constitution par le Conseil constitutionnel qui en a fait application pour les lois bioéthiques en  1994 et pour la prolongation du délai d’IVG de 10 à 12 semaines en 2001. Jusqu’à présent le Conseil constitutionnel n’a jamais censuré une quelconque extension de la liberté d’avorter.

Inscrire un « droit à l’IVG » dans la Constitution ne sert strictement à rien puisque la liberté d’avorter découle déjà de la liberté tout court inscrite à l’article 2 de la Déclaration de 1789, elle-même mentionnée au préambule de la Constitution. Et comme l’on n’imagine pas que les initiatrices de ce texte vont proposer de supprimer au passage la dignité de la personne humaine, la question de la conciliation restera identique, elles n’auront pas « avancé » d’un pouce. Je signale au passage que l’article 16 du Code civil, issu de l’article 1er de la loi Veil dispose que « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ». Qu’est-ce que ces dames veulent faire de cet article du Code civil ? L’abroger ?

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A vrai dire, elles n’ont pas lu le Code civil, pas plus que la jurisprudence du Conseil constitutionnel ni le Code de la santé publique.. L’inculture juridique de nos parlementaires est abyssale.

Y-a-t-il en France des éléments qui pourraient laisser craindre une remise en cause de l’avortement ?

« Remise en cause de l’avortement » ne veut rien dire juridiquement, ce qui est toujours en cause ce sont les conditions dans lesquelles s’effectue la conciliation entre la liberté de la mère et la vie du foetus, qui touchent essentiellement aux motifs possibles de l’avortement et à ses délais. La loi Veil a posé un principe : le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, et l’a assorti de deux exceptions : l’avortement pour cause de détresse enfermé initialement dans un délai de 10 semaines et l’avortement thérapeutique (grave malformation fœtale ou menace pour la santé de la mère) possible jusqu’au terme. Ce qui est toujours discuté ce n’est pas le principe de l’IVG mais ses conditions. Les féministes ont fait adopter par deux fois le rallongement du délai d’avortement volontaire (douze puis quatorze semaines) et ont aussi obtenu la suppression de la condition de détresse remplacée par la seule volonté discrétionnaire de la mère. Certaines voudraient aussi supprimer la clause de conscience des médecins. À vrai dire, ce sont plutôt les militantes féministes qui ne cessent de vouloir remettre en cause la législation pour déboucher sur un droit absolu qui ne rencontrerait plus aucune limite tenant à la protection du fœtus.

L’invocation de la récente décision de la Cour suprême américaine par les initiatrices de la proposition de loi et leurs soutiens gouvernementaux est complètement hors-sujet et montre encore l’ignorance crasse de nos gouvernants en droit comparé. Cette décision concerne le fédéralisme américain et se borne à rendre aux Etats leur compétence en matière d’IVG, elle ne remet rien en cause sur le fond.  La France est, quant à elle, un Etat unitaire légicentriste où seul le parlement a compétence pour faire la loi, notre système juridique n’a rien à voir avec une fédération de common law.

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Dans quelle mesure est-ce une mesure symbolique pour cacher une forme d’impuissance politique sur d’autres sujets ?

C’est surtout la démagogie de la majorité qui ne peut compter sur le soutien de la Nupes que sur les sujets dits « sociétaux » et qui trouve là un terrain « de gauche » à satisfaire. Mais ce n’est pas nouveau puisqu’Emmanuel Macron avait déjà proposé au parlement européen d’inscrire le « droit à l’avortement » dans la Charte européenne des droits fondamentaux, histoire de bien froisser la présidente maltaise du Parlement de Strasbourg et de provoquer encore les Polonais ainsi d’ailleurs que … les Allemands qui ont une législation et une jurisprudence constitutionnelle très protectrices de la dignité de l’enfant à naître.

La loi et la Constitution sont-elles de plus en plus utilisées à des fins de communication ou de symbolique plutôt que de pertinence juridique ?

Elles ne servent malheureusement plus qu’à la démagogie.. La loi se fait désormais sur les réseaux sociaux, au café du commerce et au bac à shampoing, c’est un véritable désastre pour le droit français dont la qualité et la cohérence s’effondrent. C’est peu dire que le niveau du législateur est en baisse. On a souvent honte en lisant nos lois. La rédaction de la proposition de loi constitutionnelle sur l’IVG est encore particulièrement bâclée. Le niveau de culture générale de nos parlementaires est indigent et confine parfois à l’illettrisme.

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