Inégalités salariales : quand Elisabeth Borne transforme une juste cause en fake news <!-- --> | Atlantico.fr
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La Première ministre Elisabeth Borne à l'issue d'une réunion à l'Elysée.
La Première ministre Elisabeth Borne à l'issue d'une réunion à l'Elysée.
©Ludovic MARIN / AFP

Réalités économiques

Depuis 2015, la lettre d'information féministe Les Glorieuses calcule une date à partir de laquelle les femmes commenceraient à « travailler gratuitement ». La Première ministre a repris dans un tweet la date du 4 novembre cette année et souhaite réparer cette injustice.

Jean-François Amadieu

Jean-François Amadieu

Jean-François Amadieu est sociologue, spécialiste des déterminants physiques de la sélection sociale. Directeur de l'Observatoire de la Discrimination, il est l'auteur de Le Poids des apparences. Beauté, amour et gloire (Odile Jacob, 2002), DRH le livre noir, (éditions du Seuil, janvier 2013) et Odile Jacob, La société du paraitre -les beaux, le jeunes et les autres (septembre 2016, Odile Jacob).

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Atlantico : Lors de la journée du 4 novembre, la Première ministre a publié un message sur Twitter afin de dénoncer les inégalités salariales (« Il est 9h10 : en France, les femmes travaillent désormais gratuitement jusqu’à la fin de l’année. Les lignes doivent bouger : rétablir l’égalité salariale ce n'est pas accorder une faveur aux femmes mais réparer une injustice. Je continuerai à y mettre toute mon énergie ».) D’après le calcul effectué par la newsletter féministe Les Glorieuses avec les dernières données d’Eurostat, les femmes gagnent en moyenne 15,8% de moins que les hommes en 2020, à temps complet et tous métiers confondus. Dans quelle mesure faut-il nuancer ces chiffres ? Quelle est la réalité des inégalités salariales en France, bien loin de l’argumentation d’Elisabeth Borne ?

Jean-François Amadieu : Le message d’Elisabeth Borne sur Twitter est surprenant. Elle reprend à son compte le chiffre qui a servi au calcul pour déterminer la journée du 4 novembre. Mais il ne s’agit pas d’une estimation correcte. Elisabeth Borne avait tendance auparavant à se référer plutôt à un chiffre qui donnait l’écart de salaire en équivalent temps plein mais pour les mêmes postes.

Le chiffre repris pour le 4 novembre ne correspond pas à l’écart de salaire à poste équivalent. C’est assez surprenant. La Première ministre ne se référait pas d’habitude à ce chiffre-là. Elle citait un écart plus faible (de 9%).

Au fil des années, grâce aux études de l’Insee, l’écart salarial initial entre les hommes et les femmes permet de mieux en mieux d’être appréhendé, notamment vis-à-vis des causes. Dans le privé, il peut monter jusqu’à 28%. Mais ce chiffre brut ne prend pas en compte tout ce qui va expliquer cet écart. Certains critères permettent d’expliquer cette réalité. Il faut d’abord tenir compte du temps de travail. Cela réduit déjà l’écart et le chiffre auquel se réfère la Première ministre. Il faut tenir compte de nombreux autres critères et en particulier regarder finement les postes occupés. L’Insee le fait de mieux en mieux. Les critères déterminants sont aussi le type d’entreprise et les secteurs d’activité concernés.

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Selon l’Insee, d’après la dernière étude disponible, il y a un écart dans le secteur privé entre les salaires des femmes et des hommes qui est de 5,3%. Cet écart est inférieur à celui estimé précédemment dans des études antérieures car plus de variables ont permis de mieux comprendre et de cerner efficacement les différences de traitements.

L’Insee précise que dans la réalité de cet écart de 5,3% entre le salaire des femmes et des hommes dans le secteur privé, il peut y avoir d’autres explications au cœur des entreprises. Cela peut concerner le déclenchement de primes. L’Insee précise que ces 5,3% ne concerne pas que de la discrimination. Cette réalité peut s’expliquer par des critères propres aux entreprises.

La majeure partie des inégalités de salaires entre les hommes et les femmes ne sont pas liées directement à des discriminations. Cela peut en réalité correspondre à des choix d’orientation scolaire effectués très tôt, les décisions de suivre certaines filières qui sont plus ou moins rémunératrices. Des arbitrages sont faits. Cela débouche en réalité sur tout un modèle de société. Il ne s’agit pas d’une responsabilité systématique et directe de l’employeur public ou privé.

Les inégalités de salaires sont constatées car certaines carrières ont été ralenties. Si les carrières sont moins bonnes, moins de femmes deviennent cadres. Cela va donc se répercuter. Tout repose donc sur le système éducatif, sur les choix qui sont faits notamment au niveau des secteurs d’activités ou des emplois, sans oublier les déroulements de carrière.

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Pour les personnes les moins qualifiées, l’écart des salaires hommes – femmes est assez faible. L’écart se creuse pour les personnes plus qualifiées. Le déroulement de carrière va être un critère déterminant.  

La Première ministre reprend un signal fort comme pour la lutte contre le réchauffement climatique avec le jour du dépassement. La Première ministre ne va-t-elle pas trop loin avec ce genre de communication ? N’y a-t-il pas un risque à tordre la réalité, même pour la bonne cause ?

La Première ministre a suivi des militantes, Les Glorieuses, pour ces chiffres de la journée du 4 novembre. D’habitude, Elisabeth Borne évoquait l’autre chiffre de 9%.  

Le mécanisme des inégalités de salaires s’explique notamment par les carrières ralenties.

Des écarts de salaires subsistent mais il n’est pas opportun de les exagérer comme cela.  

La politique du gouvernement est-elle suffisamment efficace sur ces enjeux ? Quelles sont les mesures ou les solutions qui pourraient permettre de réduire encore un peu plus cet écart de salaires hommes – femmes en France ?

La mise en place de l’index de l’égalité professionnelle est un atout. Mais le problème réside essentiellement dans les choix d’orientation. Les pouvoirs publics s’orientent vers des politiques qui visent à mieux mesurer la part de garçons et de filles dans les filières informatiques et des filières spécifiques au sein du système éducatif. Il s’agit du chantier le plus important. L’objectif était de faciliter l’accès à tous les types d’emplois et notamment permettre aux femmes d’accéder à des emplois plus rémunérateurs. Cette tâche est plutôt délicate. Les progrès sont lents si l’on étudie les chiffres. L’écart de salaire provient essentiellement de choix d’orientation.

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La maternité et la question des enfants ont aussi un fort impact. Les écarts de salaires proviennent beaucoup du fait que les femmes soient obligées de faire des arbitrages en matière d’emplois, de temps de travail, de type d’entreprise. Cela impacte les salaires in fine.

Cela explique pourquoi l’évolution est lente dans la réduction des écarts salariés.

Même s’il existe des discriminations directes, pour l’essentiel cette réalité est liée à la construction de nos sociétés.

Malgré les mesures déployées comme l'index égalité, les entreprises s’en sortent bien. L'index de l'égalité professionnelle n’embarrasse pas trop les entreprises. Les critères ne sont pas très exigeants.

La Première ministre s’est engagée à aller de l’avant sur les enjeux d’égalités salariales.

Reste à savoir si cela va sensibiliser davantage les salariés et les entreprises ? Le monde de l’entreprise n’ignore pas le sujet. L’un des gros chantiers va être dans le domaine éducatif afin d’inciter les filles à aller dans d’autres filières.

La France est-elle moins inégalitaire que dans d’autres pays ?

Selon les données Eurostat des salaires en 2017, nos voisins comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni ne sont pas si bien placés. Il y a un écart de salaires entre les hommes et les hommes supérieur aux 16%.  

Le calcul du 4 novembre est d’ailleurs basé sur les chiffres d’Eurostat.

Certains pays font mieux que la France sur la question des inégalités salariales comme l’Italie, la Roumanie ou la Belgique mais l’Hexagone n’est pas une si mauvaise élève.  La France est dans la moyenne des 28 pays européens.

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