Inégalités : l’école peut-elle (efficacement) être le front principal comme le propose Emmanuel Macron ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron dans une salle de classe lors d'un déplacement officiel sur le thème de l'éducation.
Emmanuel Macron dans une salle de classe lors d'un déplacement officiel sur le thème de l'éducation.
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Campagne électorale

Dans une lettre aux Français publiée jeudi soir, le chef de l'Etat sollicite leur "confiance" pour un nouveau mandat. Il s'engage à continuer les réformes et affirme vouloir lutter contre les inégalités en mettant la "priorité sur l'école". Une réforme de l’école serait-elle réellement efficace pour lutter contre les inégalités ?

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : « Nous lutterons contre les inégalités, non pas tant en cherchant à les corriger toujours trop tard qu’en nous y attaquant à la racine. (...) Pour cela, la priorité sera donnée à l’école et à nos enseignants », a déclaré Emmanuel Macron dans sa lettre aux français. Une réforme de l’école serait-elle réellement capable d’agir sur les inégalités ?

Alexandre Delaigue : En termes de projet et de programme, il ne s’agit pas d’un phénomène récent. Cela ressemble à ce que proposait Tony Blair avant son élection il y a maintenant 25 ans. Nous ne sommes donc pas face à des idées très neuves. Il n’est pas du tout certain que cela fonctionne. Nous avons du recul par rapport à ce genre de promesses. Considérer que les inégalités sont liées à des inégalités éducatives est une conception qui semble particulièrement limitée dans ce qu’elle est capable d’accomplir.

La limite concerne plusieurs niveaux. C’est la distribution des revenus sur le marché qui se trouve à être inégalitaire. Le fonctionnement du système éducatif va s’appuyer sur la distribution des talents, des compétences des individus. Un système éducatif vraiment idéal serait un système qui serait très fortement méritocratique. Dans ce système, pour un enfant pauvre mais talentueux, le fait d’être pauvre ne va pas lui empêcher de réaliser pleinement ce qu’il est capable de faire. C’est cela que peut faire de manière réaliste un système éducatif. Il peut essayer de remonter le niveau d’éducation de la population dans son ensemble en vue de provoquer un enrichissement net. Il n’est possible de le faire que dans la mesure où la distribution des revenus dans la société reflète ce genre de choses. Or, ce que l’on constate, c’est que cela est de moins en moins le cas. Il est donc difficile de faire autre chose que de corriger a posteriori la distribution des revenus.          

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Don Diego de la Vega : Pour un économiste, le débat est de savoir si les inégalités sont justes ou pas. Faire la part des deux n’est pas évident. Certaines inégalités sont productives quand d’autres dépendent de rentes et doivent être éliminées. Un pays sans aucune inégalité serait invivable. Les inégalités sont d’ailleurs plus basses en France qu’elles ne l’ont jamais été et globalement plus basses qu’ailleurs dans le monde. Les économistes considèrent que les inégalités viennent principalement du progrès technique biaisé, soit d’autres facteurs : la mondialisation des échanges, l’immigration, etc. L’idée que c’est par l’école qu’on va lutter contre les inégalités est un peu baroque. A ce titre, la cellule familiale est au moins aussi importante que l’école. Considérer que l’école est l’alpha et l’oméga, c’est une réflexion très « normalienne » des choses. C’est souvent repris par les politiques car c’est facilement compréhensible par la population. Cela donne des gages aux professeurs, etc. On ne peut pas dire qu’Emmanuel Macron ait vraiment « mis le paquet » sur l’école jusqu’à présent et je doute qu’il le fasse car selon les derniers événements, il doit « mettre le paquet » sur l’hôpital, sur l’armée, sur la police et la justice. Vu l’état de nos finances publiques, vu la conjoncture économique et le climat général, cela semble peu crédible d’entamer le chantier de l’école, a fortiori pour réduire les inégalités. Cela ne veut pas dire qu’il faut enlever du financement aux écoles mais le chantier de l’école, c’est très lourd, très cher, et cela ne produira des effets potentiels que dans 10-15 ans. 

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Quelles sont les explications aux inégalités actuelles si ce n’est pas l’école ?

Alexandre Delaigue : Pour les autres racines des inégalités, il y a un élément déterminant actuellement. Il s’agit du poids de plus en plus important du patrimoine. Que peut-on faire dans ce cas-là ? Faire en sorte que les gens puissent avoir des revenus plus élevés ? Jouer sur la distribution des revenus ne suffisait pas. À partir du moment où cela se passe au niveau des patrimoines, automatiquement c’est la redistribution des patrimoines qui jouera et c’est totalement indépendant de l’éducation. Si l’on regarde les prix de l’immobilier dans les très grandes agglomérations, à Paris où l’on est autour de 15 000 euros au m2, c’est inaccessible pour 90% des revenus des Français. Aujourd’hui, un foyer qui gagne le premier tiers du revenu des Français ne peut acquérir un appartement à Paris. La seule manière d’obtenir un appartement à Paris aujourd’hui est soit de l’hériter, soit d’être dans les 5% des revenus les plus élevés, il n’y a pas d’autres possibilités. Si l’on considère cet aspect sur les actifs, la valeur des patrimoines est devenue si importante qu’elle est de plus en plus déterminante sur les inégalités futures. Jouer sur les revenus, ne changera pas cet état de fait. 

De plus en plus, l’entreprise dans laquelle vous êtes est aussi un élément déterminant. Sur ce problème, nous ne pouvons pas faire grand-chose et le pouvoir de la fiscalité n’est pas assez grand pour que des personnes puissent accepter des taxations sur plus de la moitié de leur revenu. De ce point de vue-là, on peut garder la fiscalité actuelle atténuant les inégalités plus efficacement que dans d’autres pays. Il est pourtant peu probable que notre système fiscal devienne plus redistributif sauf si l’on engage un grand changement de système économique avec des idées de programme très à gauche. 

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Dans le contexte, ce que voudrait faire LREM est risible. Leur objectif est de dire que la fiscalité sur les hauts revenus est trop élevée, que la fiscalité sur le capital est trop élevée et dissuasive. Il ne faut donc pas rêver à propos de leur grande réforme du système éducatif, la France n’est pas le système éducatif américain, qui lui-même n’a pas obtenu des résultats significatifs suites à sa réforme. Le seul résultat que cela va avoir est une augmentation de la contrainte sur le système éducatif, réduire les marges de manœuvre du monde enseignant et certaines personnes du corps enseignant vont être payées plus que d’autres avec un système beaucoup plus managérial. Il n’y a aucun pays dans lequel cela a fonctionné sauf dans des petits pays où l’on peut payer les enseignants à des niveaux incompatibles avec nos finances publiques. En France, on ne peut pas rétribuer nos 900 000 enseignants comme Singapour ou la Corée du Sud. Nous n’avons pas les moyens financiers d’avoir ce niveau d’incitation. On va payer plus d’enseignants que d’autres et cela va être inégalitaire et ne pas aller dans le bon sens. 

Don Diego de la Vega : Certaines inégalités progressent en raison de facteurs sur lesquels nous n’avons aucune prise : la défragmentation des familles, avec de plus en plus de mères célibataires. Des inégalités progressent car il y a sans doute plus de population étrangère sur le territoire qu’il n’y en a jamais eu. Les inégalités progressent en entreprise car depuis 40 ans on démantèle l’entreprise fordiste, très syndicalisée, paternaliste et qui procédait à de la redistribution interne. Tout ce qui est numérique et technologique a produit des biais générationnels créant des inégalités de salaires. Ce sont ce qu’on appelle des inégalités fractales, elles se trouvent à l’intérieur de groupes censés être homogènes et qui ne le sont plus. Ce sont les appariements sélectifs. Les médecins épousent les médecins et plus les infirmières. Si on veut agir sur les inégalités, il faut empêcher le foncier de faire plus de 10 % par an. Face à tout cela, je ne vois pas en quoi mettre le paquet sur l’éducation résoudrait le problème. Le principal phénomène actuellement, ce sont les inégalités patrimoniales. Ce n’est pas politiquement correct, mais restreindre l’immigration aurait un effet sur les inégalités. On l’a vu aux Etats-Unis, entre les années 1920 et 1970, période de contrôle fort de l’immigration, les inégalités étaient au plus bas. Pour partie, les inégalités ne dépendent pas de nous donc on ne peut rien y faire. Vu la situation, il me semble plus important de se préoccuper de l’évolution des comportements de la banque centrale que du décrochage scolaire. S’occuper des remises des dettes, faire effacer des dettes, cela aurait du sens et ne coûterait pas grand-chose à Paris.

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Si Emmanuel Macron persiste à vouloir traiter le problème des inégalités par l’éducation. Que peut-il faire ?

Alexandre Delaigue : Cette mission n’est pas complètement vaine. Elle est seulement beaucoup trop chère… Des choses peuvent être faites, mais l’équation politique est intenable par rapport au programme général du gouvernement. En voulant améliorer le recrutement en augmentant les salaires à un niveau particulièrement élevé, très vite on va se retrouver dans un travail de longue haleine au-delà de ce que l’on peut faire sur cinq ans. Aujourd’hui, je ne vois pas qui veut passer le CAPES de mathématique au vu du salaire. Dans le secteur privé, il y a des salaires et des conditions de travail bien meilleurs. Il faudrait mettre des moyens que l’on n’a pas et je ne vois pas où aller les chercher par ailleurs. Si l’on veut faire des réformes avec une enveloppe budgétaire contrainte, on se condamne à une faible efficacité… 

Le système tel qu’il est lutte de manière assez héroïque contre les inégalités. Si l’on veut faire plus, on doit regarder dans un programme plus radical. Thomas Piketty a sorti un programme de cette ordre-là, mais qui s’accompagne d’un impôt sur le capital très élevé afin de prélever sur celui existant pour donner un capital de départ à tout le monde. Cela impliquerait un impôt de 1 à 2 % sur le capital global des personnes à niveau de fortune élevé pour reverser un capital de départ d’environ 50 000 euros à tous aux alentours de 20 ans. On peut s’interroger sur sa faisabilité, mais c’est une mesure concrète qui redistribue massivement.

Don Diego de la Vega : Je ne suis pas un spécialiste de l’éducation, notamment primaire. Il me semble que le discours consistant à dire qu’il faut plus d’initiatives, plus d’autonomie des établissements, un système plus souple, est un bon discours, tant qu’il ne se traduit pas par un démantèlement de l’Education nationale. Et avec le président de la République, on ne sait jamais trop. Tout est une question de dosage. Il n’y a pas de scandale sur le budget de l’Education à mon sens. Le problème n’est pas le quantitatif mais l’organisation et la motivation des équipes. Mettre le paquet sur l’école, les gouvernements successifs l’ont dit et cela ne s’est pas suivi d’effets. Il y a beaucoup de choses à faire (sur la structure, l’organisation) mais nous n’avons pas les moyens.

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