Grève des médecins, des transports et cie : peut-on encore sauver le modèle social français ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Social
Des internes et des étudiants en médecine se rassemblent près du Panthéon lors d'une journée de grève, le 17 novembre 2022.
Des internes et des étudiants en médecine se rassemblent près du Panthéon lors d'une journée de grève, le 17 novembre 2022.
©ARCHAMBAULT / AFP

Meilleur système au monde ?

La majorité des Français plébiscitent leur modèle social. Mais ils sont nombreux à reconnaître la nécessité de réinventer un système à bout de souffle.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

Voir la bio »
Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

Voir la bio »

Atlantico : Grève des médecins, des transports et autres, notre prétention à détenir le meilleur système social au monde n'a semble-t-il jamais été autant démentie par la réalité. A quel point est-il en bout de course ? Peut-il encore survivre ?

Pierre Bentata : Il y a des revendications complètement compréhensibles, d’autres moins. Ces mouvements sociaux sont liés à l’ensemble des crises qui frappent la France depuis le Covid. La grogne sociale est d’abord liée à ça, mais nous ne pouvons pas parler de crise du modèle. Le système n’a pas bougé, mais les crises successives agissent comme un révélateur. Par exemple, avec un système médical qui suradministre, on se rend compte que cela ne fonctionne pas.

Lorsqu’on avait peu d’inflation avec des taux bas, personne ne se souciait vraiment de la fragilité du système.

Frédéric Mas : Le drame de notre système social et politique, c’est qu’il s’appuie sur une conception surannée de l’économie, le corporatisme, qui a eu son heure de gloire entre deux guerres. Le corporatisme prétendait offrir une alternative à la fois au socialisme pur et à l’économie de marché. L’idée est de maintenir le secteur privé sous tutelle publique pour éviter les « débordements » prêtés au capitalisme. Comme l’observe l’économiste Edmund Phelps, « les théoriciens du corporatisme, en transformant les secteurs capitalistes traditionnels en « organisations » patronales (…) et en syndicats (…) accroissent le pouvoir de monopole et nombreux organismes et coalitions, au point que ce pouvoir ne peut plus être infléchi que par un passage en force par l’Etat. » Le corporatisme imagine pour gouverner l’économie comme on gouverne en politique, organisant au sommet des instances supposées représentatives des secteurs et des différents acteurs de la production. 

À Lire Aussi

Et si le secret de l’incroyable développement de l’Europe à travers les siècles était… son génie financier ?

L’Etat social qui s’est imposé en France après-guerre ne fait qu’implémenter ces idées sur le sol national afin de « conduire l’économie (M. Gauchet) à travers les nationalisations, la planification, l’investissement public dans les secteurs d’activité considérés comme esssentiels et stratégique, etc. La constitution de monopoles, la cartellisation des réformes économiques par les groupes d’intérêts syndicaux et les technocrates de l’Etat, la dégringolade de la croissance économique ont abouti à la dégénérescence bureaucratique de l’Etat social. Son changement de modèle de financement, qui aujourd’hui repose essentiellement sur la dette publique, témoigne de son évolution parasitaire : il vit désormais sur le dos des générations futures pour payer le mode de vie de ses bénéficiaires actuels, qui sont essentiellement des rentiers. Sur le plan organisationnel, ça s’est traduit par une centralisation bureaucratique accrue des administrations publiques, qui, aujourd’hui comme dans le système hospitalier, est en train de s’effondrer. 

Malheureusement, la France, plutôt que d’engager les réformes économiques nécessaires pour se débarrasser de ce régime d’hyper-réglementation à la fin des années 1980, a préféré au contraire étendre son système de protection sociale et faire comme si l’approfondissement de la mondialisation comme de la concurrence internationale n’existaient pas. Résultat : d’un régime bureaucratique pesant piloté par des technocrates, nous sommes passés à un régime parasitaire, désincitant au travail, à la créativité et à l’innovation, et donc l’appareil redistributif bénéficie aux inactifs et à l’économie administrée au détriment des actifs et des secteurs productifs et créateurs de valeur. L’hyper-réglementation loin d’être un facteur de rationalisation économique, a organisé la dépossession des administrés et la transformation du droit en maquis juridique. 

À Lire Aussi

Le modèle social français se résume une fois de plus à une chienlit ingérable

Pourtant, il était dit que nous avions le meilleur système social au monde...

Pierre Bentata : Oui mais cela a été démenti par les faits. Ce qui me surprend davantage, c’est que l’illusion ait tenu aussi longtemps. Lorsqu’on regarde les sondages ou les analyses d’experts, aucun pays ne voulait avoir le même modèle que nous, aussi bien dans la gestion des infrastructures que pour les modèles social et scolaire.

Pouvons-nous nous permettre de continuer à être dans le déni de la situation ? Comment expliquer ce déni ?

Pierre Bentata : Les annonces sont insuffisantes dans la prise de conscience de ce problème. On verse davantage de subventions ou d’argent public, mais aucune grande réforme n’est prévue. A part sur l’écologie, on ne voit aucun grand projet en cours. Mais la population ne semble pas prête à changer de modèle. 

Pourtant, réformer le système est nécessaire car il est coûteux. Il faudrait une révolution, mais rien ne laisse penser que ce sera le cas dans les années à venir.

Frédéric Mas : Disons que les bénéficiaires dudit modèle social (et politique) peuvent se permettre le déni plus que les autres, c’est-à-dire les classes protégées (en cdi ou retraitées) plus que les jeunes actifs pour faire court.

Le problème, c’est que notre système social, qui a été consacré par nos institutions politiques de la cinquième république, a créé un marché politique particulièrement malsain. Une classe politique et technocratique particulièrement démagogique a vendu aux classes moyennes pendant 40 ans de la protection sociale et du pouvoir d’achat contre son accession et son maintien au pouvoir.

À Lire Aussi

49.3 ou pas, avec ou sans amendements débattus : voilà pourquoi le budget 2023 est l’un des moins adaptés aux défis auxquels est confrontée la France

En a résulté la pétrification du paysage politique français et son modèle d’exclusion particulier : une offre politique majoritaire à droite comme à gauche qui s’adresse aux classes protégées (actifs et retraités), qui offre aux outsiders et aux précaires un chômage relativement confortable et l’assistanat comme lot de consolation, le tout financé par la dette et une pression fiscale ahurissante.

Les classes moyennes ont vieilli, et ont rejoint les rangs des retraités. C’est le « grand vieillissement » dont parle Maxime Sbaihi. La concurrence internationale a accéléré la « démoyennisation » (Cassely, Fourquet), c’est-à-dire le fractionnement de la classe moyenne qui était le socle de la gouvernance de l’Etat social. La classe politique continue de ne s’adresser qu’aux classes protégées, qui se réduisent de plus en plus aux retraités et aux assistés qui ont tout intérêt à ce que le status quo se maintienne. La politique intéresse de moins en moins parce qu’elle s’adresse à un public de plus en plus réduit qui verrouille le fonctionnement de notre système totalement nécrosé.

La réélection d’Emmanuel Macron en cela ne fait que suivre l’évolution du modèle social français en Etat bureaucratique dégénéré : il incarne à merveille la technocratie qui prétend piloter l’économie par la planification publique, et dont les soutiens se retrouvent parmi les retraités et les professions protégées de la compétition internationale, que ça soit par la réglementation ou la position sociale. Il faut vraiment être totalement à côté de la plaque pour considérer ce pur produit du saint-simonisme néokeynésien comme un « libéral ». Ses intérêts de classe parlent contre lui.

À Lire Aussi

Découplage entre émissions CO2 et croissance : les chiffres qui montrent que l’extrême-gauche activiste du climat ne comprend RIEN à la réalité du monde

Que faire de radical pour sauver notre modèle de la ruine à laquelle il semble promise ? Est-il encore possible de sauver le modèle social français ? Ou faut-il le changer ou le révolutionner ?

Frédéric Mas :Faut-il vraiment sauver un modèle devenu un parasite sur le dos de la société civile, qui vit aux dépens de ses éléments les plus productifs, le tout pour bénéficier aux bureaucrates, aux rentiers et aux assistés (qu’on ne veut surtout pas aider !) ? Qui détruit de la richesse et des emplois en France, pousse nos éléments les plus créatifs et nos élèves les plus méritants à l’exil, qui subventionne nos concurrents par la pression fiscale sur la production et sélectionne les technocrates les plus incompétents au sommet ?

Non seulement il faudrait que nous changions de logiciel idéologique, et que nous remettions aux vestiaires une bonne fois pour toute l’idéologie corporatiste qui imprègne encore notre univers économique national, mais il faudrait sortir de la mentalité franco-française étatique, qui, hélas, ne date pas d’hier, et qui, parce qu’elle pétrifie notre pays dans le temps, et en train de nous étouffer lentement mais sûrement. La réforme des retraites aujourd’hui n’est qu’une illustration parmi tant d’autres de cet enfermement : il n’y a aucune volonté de capitalisation. Pire encore, la menace de l’étatisation totale du secteur n’est pas totalement écartée. La révolution libérale n’est pas pour demain.

Quelles peuvent être les solutions pour réformer le système ?

Pierre Bentata : Il faut réformer sans créer de désordre. On est obligé de proposer des solutions qui sont mixtes, à la fois en valorisant les métiers et en n’aggravant pas les déficits. C’est là où le manque de culture du consensus est problématique en France. Nous devons accepter des coûts plus élevés pour que le système soit viable.

Quelles sont les actions radicales à mener pour changer le système ?

Pierre Bentata : L‘Etat doit se concentrer sur ses fonctions régaliennes, à savoir la sécurité ou la justice. Il faut déréglementer le système de santé, avec une autonomie absolue pour l’hôpital. De plus, il faudrait ouvrir à la concurrence les grosses structures. Pour la SNCF, le coût est trop élevé pour l’Etat. Concernant les impôts, une simplification drastique est nécessaire, avec la création d’un seul impôt (flat tax). L’Etat doit intervenir uniquement quand le privé ne peut pas faire mieux.

De manière générale, la France reste un pays attractif, duquel les créanciers sont prêts à frapper à la porte. En dépit des augmentations d’impôts et des dépenses sociales.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !