Génération farniente : les Français sont-ils paresseux ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des salariés lors de la pause déjeuner dans le quartier de La Défense.
Des salariés lors de la pause déjeuner dans le quartier de La Défense.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Bonnes feuilles

Pascal Perri publie « Génération farniente » aux éditions de l’Archipel. La France est confrontée à un vaste mouvement d'allergie au travail. Nombre de Français manifestent des doutes sur son intérêt et sa pertinence. Cette génération rassemble tous les âges et dénonce la dimension sacrificielle du travail. Elle entend vivre de la solidarité des autres et met notre société en péril. Extrait 1/2.

Pascal Perri

Pascal Perri

Pascal Perri est économiste. Il dirige le cabinet PNC Economic, cabinet européen spécialisé dans les politiques de prix et les stratégies low cost. Il est l’auteur de  l’ouvrage "Les impôts pour les nuls" chez First Editions et de "Google, un ami qui ne vous veut pas que du bien" chez Anne Carrière.

En 2014, Pascal Perri a rendu un rapport sur l’impact social du numérique en France au ministre de l’économie.

Il est membre du talk "les grandes gueules de RMC" et consultant économique de l’agence RMC sport. Il commente régulièrement l’actualité économique dans les décodeurs de l’éco sur BFM Business.

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Une certaine jeunesse manque-t-elle de courage ? Début 2023, Jean Peyrelevade, ancien conseiller de Pierre Mauroy, Premier ministre socialiste de 1981 à 1984, posait la question : « Les Français sont-ils paresseux ? » Le goût du travail s’est-il perdu dans la société des loisirs ou dans la « tyrannie du divertissement », selon la formule d’Olivier Babeau ? L’École a-t-elle échoué à transmettre le goût de l’effort ? En d’autres termes, existe-t-il une « génération farniente » ?

Au mois d’août 2022, la présidente de l’Unef, syndicat étudiant de gauche, voire d’extrême gauche, répond à des journalistes sur le coût de la vie étudiante : « Nous voulons la création d’une allocation d’autonomie universelle. »

Son message est repris par le syndicat étudiant sur les réseaux sociaux. Stéphane Manigold, fondateur d’un groupe de restauration indépendant et représentant syndical de la branche parisienne de l’UMIH (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie), répond du tac au tac : « Sinon, la restauration et l’hôtellerie recrutent, y compris des étudiants. »

Le chœur des démagos entonne aussitôt : comment ose-t-on demander à des étudiants de travailler pendant leurs études pour les financer, comme beaucoup d’autres l’ont fait avant eux ? Comment y songer quand l’argent présumé magique des Français riches ferait bien l’affaire ? Et pourtant, de très nombreux jeunes gens ont travaillé pendant les vacances scolaires. On finançait en partie ses études ou on constituait une petite cagnotte pour payer ses loisirs, aller au cinéma, acheter des livres ou faire quelques voyages entre copains. La France étudiante a beaucoup travaillé et s’est élevée par les études, parfois au prix de gros efforts. Ces épreuves de jeunesse endurcissent et forment des adultes plus éveillés et plus émancipés.

En l’an 2000, la génération des 20 ans se battait pour des jobs d’été et non pour des subventions ou une « allocation d’autonomie ». La formule peut d’ailleurs prêter à sourire : une allocation n’est-elle pas par nature incompatible avec le principe d’autonomie ? Peut-on s’émanciper quand on dépend des autres ? Il est temps de retrouver un peu de bon sens ! Temps de suggérer à ces jeunes soumis ou insoumis de se retrousser les manches et de mesurer la chance qu’ils ont, en France, de pouvoir accéder presque gratuitement à des études supérieures de qualité.

L’évolution du rapport au travail comporte une part d’impensé économique. On peut ici mesurer les ravages de l’« argent magique ». Pourquoi travailler quand, tout compte fait, les fins de mois sont financées par l’État… ou les parents ? Les sociologues observent le phénomène des « Tanguy » qui restent « à la maison » au-delà du raisonnable. Voilà deux générations, partir de la maison était un objectif de vie, un pas vers l’indépendance et la souveraineté personnelle. Pendre sa première crémaillère représentait un rite de passage à l’âge adulte. C’est moins le cas aujourd’hui. Le confort familial incite plus souvent au laisser-aller et les prix scandaleusement élevés des logements dans les zones tendues sont de vraies barrières d’entrée sur le chemin de la liberté.

En 2017, Benoît Hamon, candidat du Parti socialiste, défendait l’idée d’un revenu universel, quand Jean-Luc Mélenchon parlait encore de « valeur travail ». Nous verrons plus loin que le chef de La France insoumise s’est éloigné de ses positions historiques, sans doute parce que sa clientèle a changé et s’est consolidée autour de nouveaux combats « wokistes », tels que les luttes intersectionnelles, et contre le productivisme, associant ainsi sa voix à celle des zadistes et des décroissants. Quel grand écart pour un homme qui, depuis quarante ans, n’a connu que la politique, du cabinet du maire socialiste de Massy, Claude Germon, aux bancs du Sénat et de l’Assemblée nationale, aux bureaux des ministères, défendant alternativement, l’industrie, la production et le nucléaire. Il est toujours possible de changer d’avis, mais dans son cas, il s’agit d’un virage à 180 degrés.

Il faut dire que la classe ouvrière, sensible aux arguments du travail et du salaire, se retrouve plus souvent au Rassemblement national. Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon plébiscitent quant à eux les combats environnementaux ou décoloniaux, de race ou de genre.

(…)

Quand on produit mieux, on peut travailler moins ! Une vie humaine de 85 ans représente un total, enfance comprise, de 744 600 heures. Quarante-trois années d’activité aux 35 heures (1 607 heures par an), soit 172 trimestres cotisés en vue de la retraite valent 69 101 heures. À l’évidence, le travail n’occupe pas toutes nos existences (9,2 % du temps de vie retenu et, pour être plus fidèle au quotidien, environ 20 à 25 % de notre temps de vie éveillée), y compris quand on ajoute une période d’études plus ou moins longues. Quand elle affirme que « l’économie capte l’essentiel de notre temps », la philosophe Cynthia Fleury se trompe. Elle se rattrape un peu après en évoquant « l’économie du divertissement qui accapare de plus en plus notre attention et notre énergie ».

L’économie du divertissement n’est pas la production. Ne nous trompons pas de sujet. Nous ne sommes pas écrasés par le travail ; on peut même admettre que la quantité relative de travail en France permet tout à la fois d’abonder les caisses de l’État à travers la fiscalité et celles des organismes sociaux via les cotisations sociales.

Reprenons les chiffres ! Nous consacrons au travail moins de 10 % de notre temps de vie, repos inclus. Pour les catégories dites actives, voire super-actives, plus exposées aux contraintes du travail, l’espérance de vie à 78 ans, inférieure à la moyenne nationale, représente un total de 683 280 heures de vie. Pour ces métiers pénibles, la période de travail est à calculer sur 40 ans d’activité, soit 64 280 heures. Même dans ce cas d’un salarié soumis à des travaux pénibles, dont l’espérance de vie est réputée plus faible, le travail n’écrase pas l’existence, puisqu’il n’en représente que 9,4 % du total. Quand on sait que, selon certaines études, un adolescent passe entre quatre et cinq heures par jour sur Internet, on observe comme Edgar Morin que les trois heures quotidiennes d’espérance de vie gagnées grâce aux progrès des sciences sont plutôt consacrées à la consultation des écrans qu’au travail lui-même ! Le travail n’a pas gagné la bataille du temps libéré. Ce sont les loisirs qui l’ont emporté.

Extrait du livre de Pascal Perri, « Génération farniente Pourquoi tant de Français ont perdu le goût du travail », publié aux éditions de l’Archipel

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