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Fraude sociale : pourquoi il est temps de changer notre système de solidarité
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Serpent de mer

Eric Verhaeghe revient sur la question de la fraude sociale et de la sécurité sociale à l'occasion de la publication du rapport de la députée LREM, Carole Grandjean, et de la sénatrice UDI, Nathalie Goulet.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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La fraude sociale est un serpent de mer qui réapparait régulièrement dans l’actualité. Après une note de l’ACOSS révélée cet été, qui estimait la fraude à environ 8 milliards d’euros, essentiellement du fait du travail dissimulé, une députée LREM, Carole Grandjean, et une sénatrice UDI, Nathalie Goulet, annoncent elle-même un prochain rapport d’information sur le sujet avec un nouveau chiffrage. Les deux parlementaires ont fait le buzz en dénonçant d’ores et déjà les incohérences du registre national d’identification des personnes physiques, qui considérerait comme encore vivantes des millions de personnes mortes. La polémique devrait sévir. Mais le rapport touche-t-il bien le problème?

Selon les deux parlementaires, qui  n’en sont qu’à un rapport d’étape sur la fraude, l’Etat ne contrôle pas assez la vie des citoyens, ce qui multiplie les risques de fraude. Face à un Registre National d’Identification avec 84,2 millions de personnes nées en France inscrites comme vivantes, dont 3 millions de centenaires, il faut prendre des mesures nouvelles: imposer un certificat annuel de vie à produire, obliger tous les Français à déclarer leur changement de domicile, interdire le versement des prestations sociales sur des comptes étrangers.

On connaît la musique: pour récupérer quelques milliards mal chiffrés, on met en place de nouvelles usines à  gaz pour tout le monde. Et dans quelques années, un rapport découvrira que ces usines à gaz sont elles-mêmes contournées et appellent de nouvelles usines à gaz.

La fraude sociale, cet inchiffrable mistigri

En l’état, on prendra compte avec des pincettes les résultats de ce rapport qui n’est pas encore rédigé, et qui libre en pâtures à des oreilles complaisantes, promptes à crier au loup, des chiffres qui font le buzz mais que personne n’a eu le temps de vérifier ni d’expliquer. Car, à lire le rapport entre les lignes, l’existence de 3 millions de centenaires encore vivants dans le Registre National, à comparer aux 20.000 centenaires réels recensés, induit qu’il existe une fraude de plusieurs millions d’assurés. En admettant l’hypothèse que chaque centenaire bénéficie (en fourchette basse) de 15.000 euros de retraites par an, ils seraient à eux seuls responsables d’une fraude de 45 milliards, soit 10% environ des prestations de la sécurité sociale.

Avant de crier au scandale, on prendra donc le temps d’approfondir le sujet et bien vérifier cette source, qui est très éloignée des vérités connues ce jour. D’autant que ce rapport ne retient comme source de fraude que les fraudes à l’identité. Mais on sait qu’il existe bien d’autres sources de fraude, qu’il s’agisse de fraudes aux prestations classiques (par exemple le mensonge sur la situation de l’assuré, qui se fait passer pour invalide, ou isolé alors qu’il est en couple), ou de fausses déclarations (émanant de professionnels de santé qui « inventent » des soins).

On peut d’ailleurs s’interroger sur le sens des responsabilités dont font preuve deux parlementaires qui communiquent bien avant la publication de leur rapport sur des chiffres mal étayés.

La sécurité sociale n’aime pas lutter contre la fraude

Dans ces polémiques sur l’ampleur de la fraude, la sécurité sociale porte elle-même sa part de responsabilité. Depuis plusieurs années, les rapports et les mises en garde se succèdent pour pointer les failles dans les contrôles. Il n’est pas si loin le temps où la Cour des Comptes suspectait 3 milliards de fraudes à la Caisse Nationale aux Allocations Familiales, dont le directeur montait alors sur ses grands chevaux pour expliquer qu’elle ne pouvait pas dépasser le milliard.

En outre, une simple addition du nombre d’assurés déclarés par chaque organisme de sécurité sociale permettait de savoir, de longue date, qu’il existait un gap de 20 millions entre le nombre de personnes recensées sur le territoire et le nombre d’assurés sociaux. Aucune autorité ne semble s’en être jamais préoccupé ni n’avoir eu la volonté d’éclaircir le problème.

Tous ces éléments nourrissent de longue date le fantasme de fraudes massives, dont le coût serait bien supérieur au déficit de la sécurité sociale. Dans l’opinion, ils agitent la vieille peur de l’Algérie qui ferait vivre jusqu’à cent cinquante ans la grand-mère décédée de longue date, mais dont on continue à percevoir la pension. Cette peur ne manque pas d’être paradoxale, puisque la majorité En Marche a, l’an dernier, facilité l’accès des Algériens aux soins en France…

La sécurité sociale organise-t-elle son propre malheur?

Sur le fond, il existe une méthode radicale pour diminuer drastiquement le nombre de fraudeurs sociaux. Ceux-ci sont en effet (en dehors des usurpations d’identité, qui sont un phénomène bien spécifique et sur lequel on attend le chiffrage des parlementaires) largement produits par la complexité des règles et des conditions d’attribution des prestations. On invente, notamment dans le domaine des allocations familiales, des prestations sous des conditions tellement spécifiques qu’elles prêtent le flanc à la fraude, parfois à l’insu même des bénéficiaires.

On retiendra ici l’exemple de l’ACCRE, dont aucun conseiller de Pôle Emploi ne donne une version claire du fonctionnement. Pour bénéficier de cette aide, il faut pratiquement être un fraudeur obligatoire.

Une solution simple consisterait, pour limiter fortement la fraude, à simplifier en profondeur la logique de distribution. Au lieu de cibler des situations précises pour déclencher des prestations, il y aurait plus de sagesse à transformer la machine à prestations en revenu universel. Dans un système où les milliards de cotisations seraient redistribués non aux médecins, aux hôpitaux et aux retraités, sous forme de chèque, mais à chaque assuré, de sa naissance à sa mort, sous forme d’avoir sur un contrat de protection sociale de son choix, il n’y aurait plus de fraude…

La mécanique serait simple: chaque assuré, tout  au long de sa vie, disposerait d’un  crédit mensuel d’environ 800 euros pour souscrire au contrat famille, santé ou retraite qu’il déciderait. Ne relèverait plus de la solidarité nationale que ce qui le justifie vraiment: les maladies graves, qui seraient prises en charge gratuitement, et les accidents du travail.

Dans cet univers, on ne parlerait plus d’attributions frauduleuses de prestations sociales. Celles-ci seraient un droit universel.

Cet article à été initialiement publié sur le site Le courrier des stratèges : ICI

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