La France est-elle en train de s'allier à Wall Street et à la City pour isoler l'Allemagne ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Le communiqué final du G8 signé par la France est un modèle de reniement de ce pourquoi les électeurs de gauche ont voté.
Le communiqué final du G8 signé par la France est un modèle de reniement de ce pourquoi les électeurs de gauche ont voté.
©Flickr / howzey - PS (montage)

Croisade financière

Au XIXème siècle, l'Allemagne avait pris la tête de la Triplice, dont l'objectif était d'isoler la France. Deux siècles plus tard, la France semble vouloir se venger en menant les opposants à l'Allemagne. Et si les socialistes étaient les "idiots utiles" pour faire progresser l’agenda des Anglo-saxons ?

Bruno Bertez

Bruno Bertez

Bruno Bertez est un des anciens propriétaires de l'Agefi France (l'Agence économique et financière), repris en 1987 par le groupe Expansion sous la houlette de Jean-Louis Servan-Schreiber.

Il est un participant actif du Blog a Lupus, pour lequel il rédige de nombreux articles en économie et finance.

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Au XIXème siècle, la Triplice, c'était une triple alliance conduite par les Allemands pour isoler la France. La Triplice à l’envers dont nous faisons notre titre, réunit au sein d’une alliance insolite Wall Street, la City de Londres et la France nouvellement socialiste de Francois Hollande contre l’Allemagne.

Pour remplir un agenda électoral, la France rejoint le camp des opposants à son alliée, l’Allemagne, et signe un texte étonnant qui prône la productivité à tous crins, c’est à dire les licenciements, les réformes structurelles c’est à dire la flexibilité et la précarité, les changements des lois sur le travail.

Lesparagraphes 7 et 8 du communiqué publié à l'issue du G8 sont un modèle de reniement de ce pourquoi les électeurs de gauche ont voté : on met l’accent sur la productivité, les réformes structurelles, la poursuite de l’intégration du marché international, l’ouverture des marchés, le refus du protectionnisme, l’insistance sur le rôle de l’OMC, les dérégulations etc etc; Jean-Luc Mélenchon s’il n’était pas pressé par son calendrier électoral personnel devrait déjà ètre en train, avec ses amis de l’ex LCR d’organiser les premières grèves de masse.

Il est temps, grand temps de se remettre au travail. Les semaines qui viennent vont être agitées. Nous sommes un peu comme des funambules sur un fil, c’est-à-dire en équilibre dans un environnement instable. C’est le moment d’abandonner les œillères électorales, d’être rigoureux, de juger du réel en fonction non pas des opinions et de la propagande mais en fonction des éléments concrets mis à notre disposition. Plus que jamais il faut décoder, déconstruire, revenir aux faits et aux fondamentales.

Pourquoi ? Parce que :

  • La crise grecque est à un tournant
  • L’Espagne a rejoint l’enfer
  • L’offensive, la pression  anglo-saxonne est à son comble
  • La France est à nouveau en période électorale
  • Merkel est aux abois.
  • La droite française est dans les cordes
  • La situation iranienne est instable
  • Les marchés sont fragiles, au bord du précipice.

Commençons par les marchés...

L’indice phare mondial, le S&P 500 a chuté de 4,3%. Les cycliques de 7%, les banques de 7,03%. Même la technologie a subi des dégagements importants avec un rétro de 5,03%.
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Le coût, pour échanger des revenus en euros et emprunter des dollars, a monté fortement et la hausse est la plus vive depuis 5 mois. Cela veut dire que les capitaux cherchent le refuge du dollar, pas seulement les capitaux européens, mais aussi les capitaux de pays comme la Corée, l’Afrique du Sud, le Brésil. On fuit également la Russie. Le monde est à la courette de dollars. C’est le signe que la tension monte, que la peur gagne.

Fait significatif : le pétrole a dégringolé de 4.84%, on est revenu à 91 dollars le baril. L’or a retrouvé un courant d’achat de protection, il gagne 0.88%, grâce à un boom des achats chinois. On se précipite sur les céréales, en très forte hausse. Les devises du risk-on chutent avec plus de 2% de déchets sur le dollar canadien, sur l’australien, avec 3% sur le réal brésilien, 3,5% sur dollar néo-zélandais. Les devises du risk-off, dans le sillage du dollar US, sont recherchées, ainsi le yen progresse de 1,3%. Les spreads corporate se dilatent et ceux des junks s’envolent. Les bons du trésor américain sont bien sûr achetés et sur-achetés, le rendement du 10 ans US perd 11 pbs à 1,72 et le rendement du 30 ans perd 31 pbs à 2,8%.

En Europe, c’est la débandade. Aussi bien sur les actions que sur les dettes souveraines.

Le Dax abandonne près de 5%, l’Ibex espagnol fait un plongeon de 6,2%, le MIB fait encore plus mal avec un déchet de 7,1%. Pas besoin d’augmenter l’impôt sur la fortune pour réduire les inégalités, la répression financière fait son travail toute seule. Et pas seulement sur les placements à risque, mais aussi sur le soi-disant sans risque ! Chute de la dette espagnole, le rendement monte de 26 points à 6,25 %. Chute de la dette italienne avec un rendement qui fait un bond de 30 pbs à 5,80%. Le rendement du 10 ans grec monte à 28,54% soit un saut de 438 pbs.

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Un mot sur la France, alors que le rendement des bunds allemands est en chute de 9 pbs à 1,42%, refuge oblige, le rendement des emprunts français monte comme celui des pestiférés à 2,84%, plus 5 pbs, ce qui met le spread franco-allemand à 1,48, record depuis novembre 2011.

Merci messieurs, on voit les effets de votre compétence, de votre capacité à gérer et à traiter les problèmes qu’ils soient grecs, espagnols, italiens et français, La France, pour ceux qui en doutaient encore, a bien rejoint le camp des pestiférés et décroché de l’Allemagne. Et ce n’est qu’un début, bien sûr. Heureusement, les grands de ce monde, ce sont des grands n’est-ce pas, se sont réunis le week-end dernier à Camp David. Ils sont allés présenter leurs doléances à leur suzerain, lequel suzerain a daigné distribuer quelques bons points aux plus mauvais élèves, soucieux qu’il est de favoriser leur affaiblissement et quelques mauvais points aux Allemands qui ont le malheur de déplaire et de s’obstiner, plus pour longtemps, à refuser l’infamie de l’avilissement concerté.

En résumé, la bonne gestion des souverains a permis une nouvelle étape d’appauvrissement généralisé, ce qui est le but de leur gestion et accéléré le deleveraging, le désendettement mondial, la fuite devant le risque, ce que, bizarrement et contradictoirement, ils ne souhaitent pas. À moins que leur objectif ne soit que l’on prenne plus de risque pour s’appauvrir plus.
Avant d’en venir à nos grands garçons réunis en week-end à Camp David, nous voulons être sûrs que vous comprenez bien ce qui se passe, c’est essentiel; si vous ne comprenez pas, eux, et leurs journaux, vont pouvoir continuer à raconter n’importe quoi.


La situation globale s’aggrave. L’embellie artificielle électorale US provoquée par l’injection de crédit d’Etat, de crédit étudiant, de crédit automobile, etc. prépare la réélection de Obama, mais c’est temporaire.

Crédits des ménages américains (en milliers de milliards)

Cours du marché S&P 500 et chances de victoire d'Obama selon intrade.com



Partout ailleurs, le fond se détériore; partout, on est, soit à la peine, soit en crise. Cette situation provoque des mouvements contrastés, mais dont le sens est la fuite devant le risque, le désendettement, la réduction du bilan des banques privées, la liquidation de positions fragiles. On vend, on liquide et on s’en va, comme sur les marchés et on va se mettre à l’abri, au parking.

Performance des marchés (monnaies, bourses, matières premières) depuis les élections législatives grecques du 4 mai 2012


C’est la débandade du risk-on, le retour en force du risk-off. Cette débandade agit comme un révélateur, comme un décapant. À deux niveaux :


- Au niveau micro :

C’est la perte de JP Morgan que l’on connait et surtout celle de tous les autres que l’on ne connait pas.

Prix des CDS des grandes banques européennes et américaines

Toutes les grandes banques US et les autres géants mondiaux avec elles sont placés en risk-on car ils vendent tous des protections, des hedges, des assurances, soit des CDS, soit des autres. Ce sont des opérations complexes, mais dont la logique est d’être de fausses assurances au sens où il n’ y a pas de réserves, pas de garanties pour faire face aux sinistres.

Cette fausse assurance fonctionne de façon dynamique, c’est-à-dire que le pseudo assureur couvre son risque sur le marché au fur et à mesure que la situation évolue. Ces pseudo-assureurs gagnent beaucoup d’argent à vendre des assurances contre les inondations… quand il ne pleut pas, c’est-à-dire en période de grande sécheresse. Mais, quand les inondations arrivent, ces pseudo assureurs/réels spéculateurs sont forts dépourvus, comme la bien connue cigale, ils n’ont pas de réserve pour faire face aux accidents, donc ils viennent eux-mêmes sur les marchés pour chercher à se couvrir; et ils le font dans des opérations complexes, abracadabrantes, fondées sur des analyses mathématiques, des corrélations etc.

Et quelquefois, compte tenu de l’étroitesse des marchés, de l’absence de liquidités, ils font des opérations tellement complexes qu’elles deviennent impossibles à dénouer, en tout cas à dénouer discrètement. C’est ce qui est arrivé à JP Morgan et c’est ce qui est arrivé à au moins six autres grands établissements du même genre.

Donc, il faut surtout bien comprendre que cet accident, ces accidents ne sont pas exogènes, ils sont intrinsèques au système et les Banquiers Centraux et la BRI les connaissent.

Le passage brutal du risk-on au risk-off ces dernières semaines alors que la grande communauté spéculative mondiale est unanimement dans le même sens et joue le risk-on crée un risque systémique. Nous disons bien systémique. Ils sont tous du même côté du bateau. Inutile de dire que des grands hedge funds bien gérés et sans scrupules profitent de cette situation pour jouer contre ces banques géantes, les requins sont attirés par l’odeur du sang des grosse baleines.


- Au niveau macro :

Il faut savoir que les prises de position risk-on des grands établissements de la communauté spéculative mondiale sont fondées sur une croyance : la croyance que,  toujours en cas de grippage du système, les complices des Banques Centrales les sauveront.

Réaction des marchés aux injections de liquidités et aux plans de refinancement des banques (LTRO)

Ben Bernanke (le président de la Réserve fédérale des États-Unis) n’arrête pas de rappeler ses promesses, on fera ce qu’il faut, ne vous en faites pas, sous-entendu on arrosera de liquidités pour rétablir le risk-on. Donc, allez-y,  refaites des profits, refaites du capital en vendant des assurances bidons, nous joueront le rôle de ré-assureur, gratis bien sûr. Et puis, Draghi /Goldman, pas de problème, on sait qu’il connait la musique et il sera là quand on aura besoin de lui.

Le problème est que tout ne fonctionne pas comme sur des roulettes, les comparses des Banques centrales sont un peu gênés aux entournures, ils n’ont pas les mains libres en ce moment. Ils aimeraient pouvoir re-pratiquer une politique agressive de reflation, création monétaire, printing, mais il y a des empêcheurs d’inflater en rond.

Aux USA, les Gouverneurs de la Fed sont loin d’être unanimes sur un nouveau Quantitative Easing et montrer, étaler les dissensions serait une catastrophe. Et puis, il y a les conservateurs, c’est-à-dire les 15% de personnes, généralement de très haut niveau, qui sont proches des idées de Ron Paul, le candidat à la présidentielle anti-Fed, lequel a une audience, une tribune, malgré la censure. Ses idées se propagent, les prises de conscience se font. Ce serait un risque politique considérable pour la Fed que de passer outre, tant que la campagne bat son plein et que les conservateurs ne sont pas neutralisés. La Fed ne peut sauver en ce moment ses complices.

Draghi/Goldman est dans la même situation, il ne peut refaire un LTRO si proche du dernier, il n’a pas les mains libres à cause des Allemands, ces monstres responsables de tous les maux européens qui prétendent imposer au monde rigueur, honnêteté, bon sens,vision du long terme.

Le système bancaire anglo-saxon, américain et britannique, est en position périlleuse; c’est lui le plus exposé à ces produits toxiques d’un nouveau genre, ces hedges, fausses assurances, réelle spéculation sur la possibilité infinie de printer.

Si vous nous avez suivi jusque-là, et vous y avez intérêt, si vous ne voulez pas être le gogo perpétuel que l’on gruge, si vous nous avez suivi jusque là vous comprenez:

- Pourquoi les Anglo-saxons sont à fond pour la croissance à tout prix, c’est vital, leur système financier périclite si le risk-off dure un tant soit peu.

- Vous comprenez pourquoi ils font semblant de mettre en avant leur soi-disant priorité sur l’emploi et le chômage, c’est le masque de la kleptocratie, son alibi pour être sauvée. Car qui dit politique noble, en faveur de l’emploi, dit alibi pour refaire un tour de mesures monétaires non conventionnelles, alibi puisqu’on sait bien qu’il n’y a plus d’autres ressources disponibles pour financer la croissance, les dettes étant au maximum. Peu importe le cynisme qui consiste à utiliser l’alibi de l’emploi pour spolier les travailleurs, peu importe qu’il soit prouvé que toutes ces mesures sont inefficaces et se réduisent à de la poudre aux yeux

- Vous comprenez l’alliance anti-Merkel, les accouplements contre nature Obama-Cameron-Hollande; FrançoisHollande sert de cheval de Troyes, de bélier, pour fissurer l’édifice européen dominé par les Allemands.

- Vous comprenez pourquoi nous avons écrit, il y a quelques jours, que les socialistes sont les idiots utiles pour faire progresser l’agenda des Anglo-saxons, des kleptocrates, et vive l’eurobond qui permettra à la kleptocratie de faire son plein et à l’Europe de revenir au statut qu’elle n’aurait jamais dû quitter, celui de vassal obéissant, content, fier de sa place de second rang.

-Vous comprenez pourquoi nous n’avons pas besoin de vous commenter le G8 puisque ce G8 donne à voir, maintenant que vous y êtes préparés, les manigances, les alliances malsaines qui tentent de se nouer entre les contraires, entre ceux que tout oppose, alliances Obama-Cameron-Hollande, contre notre véritable allié et partenaire, l’Allemagne.

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