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Fermeture de la mosquée Al-Kawthar à Grenoble : reflet de la montée de l'islamisme en France
©Reuters

Radicalisation

Cette mosquée n'est pas novice dans la radicalité. Son histoire, inscrite dans la grande, permet de mieux comprendre son actualité, mais aussi celle d'autres lieux de culte, et de saisir certains enjeux liés aux luttes de pouvoirs intracommunautaires.

Naëm Bestandji

Naëm Bestandji

Écrivain/essayiste, Naëm Bestandji est un laïque et féministe engagé. Il a longtemps travaillé dans le domaine socio-culturel auprès des enfants et adolescents des quartiers populaires. Il y a toujours vécu et a été très tôt confronté à la montée de l'intégrisme religieux.

Il a publié de nombreux articles sur l’islamisme politique.

Son site internet : https://www.naembestandji.fr/

Il est l’auteur d’un essai remarqué, pour tout comprendre sur le sexisme politique du voile : « Le linceul du féminisme – Caresser l’islamisme dans le sens du voile » (éditions Séramis, novembre 2021).

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    "Le mardi 5 février 2019, le préfet de l’Isère a fait notifier l’arrêté de fermeture de la mosquée Al-Kawthar à Grenoble. Cet arrêté, pris pour une durée de six mois, entrera en vigueur (…) le 7 février 2019."
Ce communiqué émane de la préfecture de l'Isère (1). Sa décision a été motivée par ce qui suit : "les propos tenus et les idées et théories diffusées au sein de ce lieu de culte provoquent à la violence, à la haine et à la discrimination. A travers plusieurs de ses prêches, l’imam légitime le djihad armé, provoque à la violence, à la haine et à la discrimination contre les fidèles des autres cultes et véhicule un message contraire aux valeurs républicaines en légitimant la charia et la discrimination envers les femmes."

Depuis les indépendances et la forte immigration économique puis de regroupement familial dans l'hexagone, les pays d'origine ont tout fait pour garder un droit de regard sur leurs émigrés. Le contrôle d'associations et des lieux de culte est un outil important de leur politique intérieure et étrangère. Des indépendances jusque dans les années 1990, le Maghreb (et la Turquie) géraient la quasi-totalité des lieux de culte musulman et plusieurs associations en France. A Grenoble comme ailleurs dans l'hexagone, l'apparition de l'islamisme dans les années 1980 marqua le début de l'érosion de l'influence étatique du Maghreb. La répartition des lieux de cultes n'allait plus seulement se faire selon les pays. Ils allaient aussi être partagés, et de plus en plus, selon les courants islamistes. Telle salle de prière pouvait être contrôlée par le Maroc. Telle autre par des salafistes ou bien une autre par des Frères Musulmans. Toutes ces "chapelles" mènent une véritable lutte pour ravir des lieux de cultes aux autres.
Ces contrôles étatiques commencèrent aussi à s'effriter par l'émancipation lente des populations concernées. Les enfants des immigrés, nés en France, avaient peu de liens avec le pays d'origine de leurs parents. Une fois adultes, les consulats eurent moins de prise sur eux. Cela facilita aussi le transfert d'influence vers l'islamisme pour certaines mosquées.

Le premier enjeu sur le terrain est la nomination des imams. N'importe qui peut le devenir. Un homme peut s'auto-proclamer imam et réussir à séduire les fidèles qui le choisissent. Mais les imams ne débarquent pas seuls. Ils étaient envoyés depuis les pays d'origine par les gouvernements et étaient donc liés aux consulats. L'arrivée des islamistes étrangers pourchassés par leur pays au tournant des années 1980 allait modifier le profil des imams. Un transfert de pouvoir allait s'opérer dans un certain nombre de lieux de cultes. Toutes les situations ne se ressemblent pas. Un vide peut par exemple être comblé par un nouvel imam. Il peut aussi y avoir une prise de pouvoir en poussant l'imam en place vers la sortie : des islamistes débarquent dans un lieu de culte, généralement où se trouve un vieil imam qui prêche un "islam de grand-père". Un jeune imam islamiste et son équipe négocient avec lui pour qu'il laisse sa place. Sinon, ils s'arrangent pour l'exclure.

A Grenoble, les luttes sur le terrain pour ces nominations ont joué un rôle important dans le développement de l’intégrisme musulman et le recul de l'influence des États étrangers sur les lieux de culte. La guerre civile algérienne (1991-2002) y est pour beaucoup. L’exemple de la mosquée Al-Kawthar en est un cas d'école. Des documents consultés aux archives départementales de l'Isère et le témoignage d'un fidèle de la mosquée présent à l'époque m'avaient permis de reconstituer, il y a quelques années, un évènement à la fois exceptionnel et illustratif de l'évolution d'un certain nombre de lieux de culte.

Située en bordure de la Villeneuve, un quartier populaire et excentré de Grenoble, cette salle de prière appartenait à une association proche du consulat algérien. En 1995, le poste d'imam fut vacant. La grande mosquée de Paris en recruta un nouveau, comme d'habitude, en Algérie. Seulement voilà, l'imam envoyé par les autorités algériennes, salarié par la grande mosquée de Paris, était un sympathisant du FIS (Front Islamique du Salut, mouvement politique islamiste à l'époque en guerre civile contre l'État algérien). Une information que ces autorités ignoraient.

Le nouvel imam profita de son poste pour faire entrer des islamistes au Conseil d'Administration de l'association. L'objectif était de devenir majoritaire et de supprimer progressivement le contrôle de l'Algérie. Lorsque les musulmans fréquentant la mosquée, fidèles au consulat et donc à la grande mosquée de Paris, réalisèrent ce qui se jouait, ils décidèrent d'agir. Mais il était trop tard. Le Conseil d'Administration avait basculé du côté islamiste. Le lieu de culte voyait désormais deux camps s'opposer. L'affrontement en devint même violent : des bagarres aux couteaux avaient éclaté entre ceux qui soutenaient les islamistes et ceux qui défendaient l'ancienne administration. Il y eut plusieurs blessés.

Dans l'urgence, la grande mosquée de Paris dépêcha un nouvel imam pour affirmer son autorité. Mais l'imam en poste, militant du FIS et désormais soutenu par une partie des fidèles, n'avait aucune envie de laisser sa place. La mosquée se retrouva avec deux imams et deux prières différentes le vendredi. La confusion était totale. Les violences et les interventions de la police étaient fréquentes. Cela prit une telle ampleur que l'affaire fut portée en justice. Un juge imposa l'organisation de nouvelles élections au sein de l'association pour élire un nouveau bureau et un nouveau Conseil d'Administration. Mais les islamistes sont de vrais militants actifs avec une bonne expérience de terrain. Les représentants de la grande mosquée de Paris, eux, sont des notables qui n'ont pas la culture militante pour aller chercher des voix. Ayant su mobiliser leurs ouailles, les islamistes remportèrent les élections. Le juge dut reconnaitre cette victoire. Un arrêté d'expulsion avait bien été émis contre l'imam du FIS. Mais le mal était fait. Les islamistes étaient dans la place, les autres furent contraints de la céder.

Le 6 mars 2014, le prêche du principal imam de la mosquée légitima le djihad armé en déclarant, entre autres, que "la mort en djihad est mieux que la vie". Ce lieu de culte est aujourd'hui encore "fréquenté par des individus radicalisés, adeptes du djihad armé" dont certains étaient partis dans la zone syro-irakienne en 2013 et 2014. Tout ceci a été notifié par le préfet dans un courrier adressé au président de l'association qui gère la mosquée, daté du 15 janvier 2019, et révélé par le Dauphiné Libéré (2). En novembre 2013, une Grenobloise de 19 ans, qui fréquentait aussi ce lieu, quitta sa famille pour partir faire le djihad en Syrie. Lors d'un rare appel téléphonique à ses parents, elle dit être là-bas au nom de Dieu et qu'elle rejoindra ses parents au paradis (3). Le 26 avril 2015, le Comité Contre l'Islamophobie en France (idéologiquement la branche juridique des Frères Musulmans en France) donna une conférence dans cette même mosquée sur le thème "connaitre ses droits"… En 2018, certains fidèles étaient toujours tentés par le djihad en Syrie.
Un lieu de culte n'est certes pas systématiquement responsable de la radicalisation violente de certains de ses fidèles. Cette radicalisation se construit souvent en dehors de la mosquée, sur Internet et/ou dans des lieux de réunions extérieurs. Mais l'histoire de la mosquée Al-Kawthar, certains prêches qui y ont été prononcés et le nombre proportionnellement élevé de candidats au djihad qui la fréquentent, ne laissent aucun doute sur sa responsabilité morale et judiciaire.

Une question demeure : les services de renseignements, la police et la justice sont informés depuis 1995 des problèmes posés par cette mosquée. Les prêches prônant le djihad relevés par le préfet datent de 2014. Comment est-il possible que la procédure de fermeture ait mis autant de temps et, surtout, qu'elle soit seulement provisoire ? Peut-être parce qu'il est nécessaire de savoir où se rencontrent ces islamistes violents et faciliter leur surveillance. Le problème est toujours le même : laisser ce genre de lieux ouvert pour surveiller ces fous de Dieu, au risque de faciliter le développement de leur idéologie, ou les fermer et tarir une source de renseignements qui permettrait de faire tomber toute une filière, voire même de déjouer des projets d'attentats.

Telle est l'histoire de ce lieu de culte, similaire à quelques autres, qui ne trouve peut-être pas son épilogue dans cette fermeture temporaire. Dans six mois, il rouvrira ses portes. Une nouvelle page s'écrira dans la continuité ou le changement (la rupture est peu probable). Seule la suite de l'histoire nous le dira.

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