Et si l’instabilité géopolitique planétaire actuelle était une excellente nouvelle pour reprendre le contrôle d’un capitalisme ultra financiarisé et mondialisé ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une pièce de monnaie en rouble russe est photographiée avec des billets d'un dollar américain et une pièce d'un dollar à Moscou, le 15 mars 2022.
Une pièce de monnaie en rouble russe est photographiée avec des billets d'un dollar américain et une pièce d'un dollar à Moscou, le 15 mars 2022.
©AFP

Opportunités

La multiplication des sanctions financières internationales révèle les faiblesses qui pourraient saper les marchés financiers occidentaux. Mais elle pourrait bien être aussi une occasion à saisir.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : La multiplication des sanctions financières pourrait saper les marchés financiers occidentaux. Cette situation pourrait-elle être une occasion à saisir pour prendre le contrôle du capitalisme qui est actuellement débridé ou ultra financiarisé et mondialisé, selon certains experts. Est-ce que cela pourrait être une possibilité ?

Alexandre Delaigue : Un précédent de ce type de période a déjà été constaté, au cours de laquelle la transition d’un niveau de mondialisation assez élevé a connu ensuite une réduction sous l’effet de sanctions. Il s’agit de la période de l’entre-deux-guerres. Cela a abouti à de plus en plus de conflits et de moins en moins d’aspects coopératifs. Au bout du compte, il y a eu une remise en cause du système existant mais pas du tout dans le sens de la correction de ses travers mais plutôt dans un vaste système de plus en plus conflictuel. 

Il est possible de dresser le même constat aujourd’hui. En analysant les principaux problèmes du monde actuel, on observe que ce sont des difficultés qui nécessiteraient plus de coopération internationale permettant ainsi de résoudre une partie des problèmes actuels.

Réduire les inégalités au niveau mondial, par exemple, doit passer par une dose de coordination fiscale. Pour corriger les excès productifs qui génèrent de la pollution et le réchauffement climatique, plus de coopération est nécessaire. Or nous observons maintenant que certains Etats, au sein de l’Europe et les Etats-Unis (le monde Occidental), exercent leur pouvoir via la finance et à travers les sanctions économiques au niveau international. Cela a tendance à réduire la coopération et à rendre plus difficile la réduction des travers de la mondialisation qu’à en faciliter la résolution.

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Le contre-argument est celui qui vient de la critique du néolibéralisme et qui consiste à dire que nous étions dans une période où l’intégration internationale se faisait avec une idéologie qui aboutissait à réduire la marge de manœuvre et le pouvoir des Etats. De ce fait, il serait possible de restaurer une forme de souveraineté et de fiscalité. Cela constitue un espoir à un certain niveau. Mais cela ne résout fondamentalement aucun des principaux problèmes.

Cela ne permet pas de résoudre les inégalités au niveau mondial, ni même à l’intérieur des pays. Cela permet à certains pays de mener quelques expériences. Mais en réalité, cela va multiplier les sources de conflits.

Oren Cass, le directeur d’American Compass, a publié un article récemment sur la recherche d’un nouveau capitalisme dans les décombres de la mondialisation. Il estimait qu’historiquement, nous avions trop associé capitalisme, liberté de marché et mondialisation alors que ce n’est peut-être pas comme cela que le capitalisme avait été pensé au départ…

Il est possible d’aborder l’idée un peu naïve d’un développement harmonieux via les marchés et une faible intervention publique. Cela permet de considérer que la mondialisation soit une espèce de vague qui entraîne tous les pays vers l’enrichissement. En réalité, cette situation a évolué. Nous ne sommes plus dans cette direction-là et ce depuis un certain temps.

Le développement capitaliste devient le résultat d’une politique industrielle volontariste plus qu’une simple intégration dans l’économie mondiale.

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Il ne suffit pas d’être intégré dans l’économie mondialisée pour se développer. Ce constat peut s’observer avec la comparaison entre le Mexique, extrêmement intégré avec son voisin (les Etats-Unis) et qui a assez peu de croissance économique en réalité, et d’autres pays comme la Chine et tous les pays émergents d’Asie qui ont contrôlé leur degré d’intégration et qui se sont intégrés seulement dans la mesure où cela s’accompagnait d’une stratégie de développement industriel.

Ce type de stratégie autonome de développement ne s’est jamais vraiment fait en autarcie. Cela a été possible dans un monde dans lequel les pays peuvent choisir leur manière de s’intégrer. Il y a une façon de profiter d’un système institutionnel stable qui permet de se développer, de bâtir une politique industrielle, de trouver une clientèle. Nous n’avons pas vu réellement d’alternatives à cette forme d’intégration.

Il est toujours possible de dire qu’il y a des problèmes pour l’intégration des marchés des capitaux internationaux. Cela fait vingt ans que cela est constaté. Depuis la crise asiatique, à la fin des années 1990, de nombreux pays émergents ont décidé de mettre un certain nombre de limites à l’intégration financière, à leur exposition aux marchés financiers internationaux. Nous ne sommes pas sur une tendance spécifique à la période actuelle.

Si l’on souhaite reconstituer quelque chose après une période de démondialisation, le seul précédent historique que l’on ait c’est celui d’une reconstruction qui est héritée d’un conflit majeur, soit la fin des guerres napoléoniennes en Europe, l’établissement d’un ordre mondial à cette occasion, soit le système de Bretton Woods en 1945. Tout cela s’est fait avec une puissance majeure qui était assez largement contestée dans sa zone, les Etats-Unis au sein du monde occidental.

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Dès lors que nous sommes dans un monde multipolaire et conflictuel, il devient extrêmement difficile de mettre en place des institutions d’une autre forme et qui viendraient corriger éventuellement les limites du système institutionnel antérieur.

Il ne suffit pas de dire que la démondialisation va permettre de corriger les travers de la mondialisation existante. Cela va surtout exacerber les conflits. Peut-être qu’à l’issue de ces conflits, une nouvelle répartition des pouvoirs interviendra avec des puissances qui pourront imposer un nouveau type de système institutionnel. Il ne faut pas s’imaginer que cela va être un processus pacifique et agréable.

Quelles vont être les conséquences des frictions que l’on observe actuellement sur les marchés et au cœur de l’économie mondiale ? A quoi faut-il s’attendre ?

Nous devrions avoir une dose de relocalisations des activités avec moins de spécialisations. Nous n’allons pas forcément obtenir des gains de productivité et une nouvelle croissance.

Malheureusement, il s’agit de la seule manière que nous avons pu trouver pour avoir des gains de productivité. L’idée de relocaliser certaines activités parait difficile. Ponctuellement, certains secteurs d’activité avec une politique industrielle pourraient en bénéficier.

Mais les technologies actuelles sont caractérisées par beaucoup de coûts fixes et le poids très important des connaissances. Cela nécessite des échelles de production très importantes pour être rentable. Et cela exige de mettre en coopération beaucoup de types de compétences différentes. Toutes ces caractéristiques ne peuvent pas se faire dans un monde très compétitif. On le voit d’un certain point de vue avec les vaccins.

Les vaccins qui étaient très « nationalistes », comme le vaccin chinois et le vaccin russe, ne marchent pas. Ils deviennent une source de problèmes et une défiance s’installe par rapport à des vaccins qui sont des produits mondialisés, fabriqués par des entreprises multinationales, avec un système qui fait appel à une production et à des laboratoires disséminés à travers la planète.

D’un certain point de vue, si on envisageait un recloisonnement, en tirant les leçons de ce qu’il s’est passé pour les laboratoires, ce n’est pas du côté des vaccins « nationalistes » que l’on peut trouver un grand succès.

Sur le plan des marchés boursiers, une forte instabilité financière est évoquée. Est-ce qu’il faut s’attendre à cela ? Est-il possible là encore qu’il y ait un silver lining comme expliquent les anglo-saxons, un aspect positif d’une situation qui resterait précaire ou problématique par ailleurs ?

Il est possible qu’il y ait un certain nombre de pays dans lesquels ce mécanisme vienne corriger des déséquilibres.

Une grande partie des équilibres financiers internationaux aujourd’hui s’explique grâce au fait qu’un certain nombre de pays (très exportateurs de produits et qui de ce fait cumulent des excédents de capitaux qui sont tellement importants qu’ils génèrent de l’instabilité à la fois économique et politique) ont tendance à renforcer les inégalités. De ce point de vue-là, on pourrait envisager que certaines zones géographiques, que certains pays en étant un peu plus auto centrés,  soient moins sujets à ce problème et génèrent moins de difficultés liées à ces importants déséquilibres macro-économiques internationaux.  

La Chine, par exemple, a très clairement la volonté d’essayer de rééquilibrer son modèle économique. Mais elle n’a pas l’air d’y arriver de manière autonome.

On peut envisager en théorie que cela puisse marcher. Il est tout à fait possible qu’il y ait des régions dans le monde dans lesquelles, cette stratégie paye. Mais ce n’est pas quelque chose d’automatique. L’exemple de la Chine montre que cela n’a rien d’immédiat. Malgré son rééquilibrage, le pays est toujours confronté à d’importantes difficultés économiques.

Y a-t-il une volonté politique de faire ce genre de corrections au niveau mondial et pas seulement en Chine ?

La Chine souhaite être moins dépendante du reste du monde et être moins mondialisée. Les autorités chinoises ont vu les problèmes que cela posait à leurs entreprises, notamment les sanctions américaines pour Huawei. Certains commentateurs ont expliqué que le fait d’être sous l’effet de sanctions a été le meilleur argument que l’on n’ait jamais vu pour une politique industrielle de haute technologie en Chine. A partir du moment où les entreprises chinoises ont vu qu’elles pouvaient se retrouver sans processeurs américains et que les meilleures entreprises pouvaient se retrouver en très grandes difficultés, cela a contribué au fait que le secteur privé chinois des grandes entreprises de technologies se sont retrouvée d’un seul coup très volontaires pour accompagner les désirs du gouvernement de faire de la politique industrielle, alors qu’avant elles prenaient les subventions et  étaient bien contentes d’être intégrées sur les marchés mondiaux. 

Il y a donc une volonté assez nette et qui est liée actuellement aux circonstances. Mais tout n’est pas qu’une question de volonté, encore faut-il obtenir des résultats concrets. Ce n’est pas garanti que cela réussisse.

Si l’on veut prendre un autre exemple d’un pays, la Russie, qui, contraint et forcé, va devoir s’adapter d’être sorti du système international, pour l’instant la Russie pourrait se retrouver obligée de reconstruire des filières industrielles pour fabriquer certains produits comme les avions de ligne pour remplacer certains modèles ou toute une série d’autres biens mais en le faisant avec des technologies d’il y a vingt-cinq ans. Cela ressemble plus à un recul et à quelque chose de très défensif que véritablement à un développement d’un nouveau modèle économique.

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