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Enfant soldat 
dans les rangs du Hezbollah
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Frères d'armes

"La Route des abeilles" de Rami Ollaik retrace le parcours d'un jeune chiite du sud du Liban, qui accédera, pendant treize années, aux échelons supérieurs du Hezbollah. Une première dans l'histoire de ce mouvement, peu habitué aux voix discordantes. Extraits (1/2).

Rami Ollaik

Rami Ollaik

Rami Ollaik enseigne aujourd'hui l'apiculture à l'université américaine de Beyrouth, avec l'obsession d'arracher la communauté chiite au Hezbollah.

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J’avais quatorze ans et j’étais membre du Hezbollah dans toute sa grandeur. C’était le rêve sacré qui devenait réalité !

Malgré mon jeune âge, j’assumais des responsabilités : parler, témoigner, convaincre les élèves, les inviter à se joindre au parti, les rallier à notre cause. Quelle fierté j’éprouvais à me voir accorder cette mission : on me faisait confiance ! Ce sentiment amplifiait mon excitation et enracinait ma conviction. Je savais au fond de mon être que la purification extrême devait passer par le combat. Patiemment, j’attendais mon heure.

Ma ferveur et mon engagement étaient grands. J’assistais à toutes les réunions et mon imagination fertile me dictait fréquemment ce que je devais faire.

Je confectionnai un grand tableau représentant l’imam Khomeiny avec des citations et des versets coraniques et décidai de l’accrocher, sur un grand panneau, dans la cour de l’école. Mais il fallait la permission du directeur de l’établissement, qui refusa catégoriquement car l’école était privée, sans parti pris religieux ou politique. Je sortis sans discuter, me dirigeai vers le panneau, y accrochai mon tableau. Je savais que je commettais un acte irréparable mais j’étais comme mû par une volonté divine. Je fus convoqué avant la fin de la journée chez le directeur qui me demanda, calmement, de décrocher le tableau.

– Le tableau restera là où je l’ai accroché !

– Tu as désobéi, tu vas aller sur-le-champ décrocher ce tableau...

Mon arrogance n’avait plus de limite.

– Je ne décrocherai rien du tout, et puis, vous savez quoi... Je me demande comment vous pouvez permettre à votre femme de porter des tenues indécentes, de se balader dans la rue en jean et sans voile ! Comment pouvez-vous organiser des fêtes et hausser la musique à fond dans l’établissement alors que des hommes, des résistants meurent tous les jours sur le front pour vous défendre ? Alors, au lieu de m’empêcher de mettre des slogans religieux, vous feriez mieux d’apprendre ce qu’est la foi !

– Sortez... Sortez et que je ne vous revoie plus ici... Vous... vous êtes renvoyé...

Rouge de rage, le directeur s’étouffait. Je le fixai sans baisser les yeux et me mis à l’insulter. Il fit un pas vers moi, je reculai jusqu’à la porte et continuai à le défier. Dehors, je retrouvai mon calme et relatai les faits à Saëb. Il me félicita pour mon comportement et me promit que le parti me ferait réintégrer à l’école, de gré ou de force.

Quelques jours plus tard, j’éprouvai une immense satisfaction en apprenant que le directeur avait fermé l’établissement pour une grève de trois jours : des membres du Hezbollah l’avaient menacé par les armes. J’ignorais alors que le directeur était un sympathisant du mouvement Amal. Or, comme tout le monde le savait à l’époque, les deux partis se disputaient le pouvoir dans le sud du pays.

À la fin de la semaine, je fus « élégamment » convoqué au siège du parti Amal, avec mon père qui désespérait de me voir retrouver le droit chemin. On envoya deux hommes armés nous chercher. Je ne cache pas avoir ressenti un frisson me traverser tout le corps. Ainsi encadrés, nous entrâmes dans les locaux du parti à Nabatieh. Puis mon père fut congédié. J’étais vraiment seul.

Je fus incarcéré dans un cachot. L’odeur de moisi et d’urine était insupportable. C’était une petite pièce aux murs sales, couverts de graffitis. Sur le sol, des couches aux draps pisseux.

Dans un coin, deux urinoirs. Je restai silencieux, impressionné et n’arrivai pas à me concentrer tant les autres détenus hurlaient des injures et des menaces à qui voulait les entendre. Mes yeux passaient de la couche à l’urinoir et de l’urinoir à la couche.

Je me souviens encore de chaque détail tant ce lieu dégoûtant s’est imprimé dans mon esprit. Je n’étais plus aussi sûr de moi. Fatigué, j’avais peur mais ne voulais pas me l’avouer. Je pensais à mon père, qui devait se faire du mauvais sang pour moi.

Vers une heure du matin, j’entendis des pas. Un homme, sans doute un chef, accompagné de deux éléments armés, s’avança.

– Ollaik ?

Je me levai d’un bond.

– Tu sais que tu as failli faire éclater une guerre entre les deux partis ?... Suis-moi !

Dans les bureaux, je découvris, soulagé, Saëb qui se retenait pour ne pas me sourire. Je fus libéré. Malgré mon épuisement, je trouvai le moyen d’ironiser :

– Tu sais, ça fait vraiment du bien d’entrer en prison pour quelques heures... Ça permet de se ressourcer, de réfléchir...

– Alors tu ne regrettes pas ?

– Tu plaisantes ? Je suis plus motivé que jamais.

Pour la première fois j’avais vécu une vraie détention, et, malgré la peur ressentie, j’étais convaincu d’être sur la bonne voie, celle des grands maîtres chiites, la voie des ténèbres et de la souffrance, mais surtout celle de la foi.

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Extraits de La route des abeilles, Éditions Anne Carrière (1 mars 2012)

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