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Endettement record pour les transports en Île-de-France : faut-il vraiment réduire les dépenses d’investissement ?
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Difficultés financières

Un rapport de la Cour des comptes a dévoilé les difficultés financières et l'endettement record dans les transports en Ile-de-France. Les dépenses d'investissement vont-elles être réduites ? Faut-il s'en inquiéter ?

Alain Bonnafous

Alain Bonnafous

Alain Bonnafous est Professeur honoraire à l’Université de Lyon et chercheur au Laboratoire d’Economie des Transports dont il a été le premier directeur. Auteur de nombreuses publications, il a été lauréat du « Jules Dupuit Award » de la World Conference on Transport Research (Lisbonne 2010, décerné tous les trois ans).

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Patrice Salini

Patrice Salini

Patrice Salini est consultant indépendant, spécialisé dans le secteur des transports. Il est également dynamicien des systèmes, ancien membre du Conseil national des transports (Commission marchandises et Commission sociale), ancien Professeur des Universités associé à temps partiel (Université Paris 4 Sorbonne). Il fut aussi directeur de l'Observatoire économique et statistique des transports (O.E.S.T. ministère chargé des Transports) et directeur du cabinet du secrétaire d'Etat aux transports. 

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Atlantico.fr : Un rapport de la Cour des comptes publié lundi dans Le Monde évoque les difficultés financières et l'endettement record des transports en Île de France. Faut-il s’en inquiéter ?

Alain Bonnafous : La chambre régionale des comptes vient en effet de rapporter sur le Syndicat des transports d'Ile-de-France (STIF) qui, en 2019 n’était pas encore devenu « Ile-de-France Mobilités » (IdF-M). Comme pour la plupart des rapports de la Cour des comptes, il s’agit d’un travail solide qui met le doigt là où ça fait mal et alerte sur les difficultés de financement à venir. Notons que la dernière situation examinée est celle de 2019 et qu’elle est donc antérieure à la crise du Covid-19.

Avant même cette crise, il y avait une situation en effet préoccupante liée à deux causes principales. Depuis 2005, le STIF est présidé par le président de la région (puis par la présidente) et on peut affirmer que le dossier des transports est le plus lourd de cette présidence régionale dans la mesure où il représente près d’un tiers du budget. Lorsque Valérie Pécresse a succédé à Jean-Paul Huchon, ce dernier lui a légué un tout nouveau boulet financier : il avait en effet mis en place un tarif unique pour le pass Navigo en septembre 2015 alors que ce tarif était jusque-là fondé sur un tarif à la distance. Passons sur le fait que cela résultait de la pression des élus écologistes (pratiquement les seuls en Europe à ne pas souhaiter dissuader les transports quotidiens à longue distance). Le résultat en a été un trou budgétaire annuel dont les dernières estimations frisent le demi-milliard. Ce « trou » très partiellement compensé par des bouts de chandelle est une première cause de l’aggravation des difficultés financières des transports franciliens.

La deuxième cause de ces difficultés tient au fait que le système de transport francilien a un besoin pressant d’investissements. C’est ainsi que le conseil régional a voté un budget 2020 qui prévoit 834 M€ d’investissements (en hausse de 51% par rapport au dernier « budget Huchon » de 2015). Le renouvellement du matériel roulant et des opérations d’infrastructures de première nécessité ne peuvent pas être considérés comme un grand luxe.

Il résulte évidemment de tout cela une dérive de l’endettement que la Cour des comptes se devait de signaler.

Patrice Salini : L’impasse budgétaire  pour 2020 pour l’île de France - dont je ne connais pas l’ampleur - est à distinguer de celle évoquée par la Cour des Comptes. La Cour, (après avoir souligné la singularité de l’organisation des transports collectifs en île de France, où la société du Grand Paris - dont elle avait critiqué jadis la gestion et les perspectives financières - a retiré des compétences à Île de France Mobilité) a simplement mis en lumière un inéluctable trou budgétaire de plus de 1 milliard € par an à partir de 2023. Autant dire que la crise du Covid19 peut rapprocher cette échéance. Mais il n’y a pas, à mes yeux, de lien à faire.

Faudra-t-il réduire les dépenses d'investissement ?

Alain Bonnafous : A titre très personnel et sur ce que je connais de ce dossier, je ne crois pas qu’il y ait des dépenses inconsidérées dans les investissements prévus par la région, mais cela peut appeler un examen précis avec un souci de hiérarchiser les opérations sur la base d’évaluations rigoureuses. En principe, ces évaluations socioéconomiques sont disponibles et plutôt bien faites (dans la tradition de SNCF Réseau et de la RATP). On peut en déduire une programmation optimisée des investissements sur la base du critère de la value for money. Cela veut dire que les investissements doivent être réalisés dans l’ordre décroissant du ratio de la valeur actualisée que dégage un projet par euro d’argent public engagé.

Un exemple précis peut faciliter la compréhension de ce que je préconise là : j’ai eu l’occasion de calculer avec deux éminents économistes du groupe SNCF la création de valeur qui aurait résulté de l’usage de ce principe pour quelques dizaines d’investissements ferroviaires financés sur les dix dernières années par les contrats de plan Etat-Région (CPER) : nous avons trouvé qu’avec les mêmes dépenses publiques que celles qui ont été effectivement affectées à ces investissements, l’ordre de réalisation selon la value for money aurait dégagé plus d’un milliard d’euros de création de valeur alors que l’ordre de réalisation effectif a dégagé moins de 100 millions d’euros.

Bien évidemment il s’agit de « valeur socioéconomique », c’est-à-dire qui prend en compte les avantages de temps et de confort pour les usagers, la sécurité ou les effets sur l’environnement. Sur la base de cet exemple, on peut imaginer que les investissements les moins créateurs de valeur soient remis à plus tard et qu’une telle optimisation permette de réduire quelque peu la dépense.

Patrice Salini : L'alerte de la Cour des Comptes est toujours utile, et parfois salutaire. Pour autant, dans le domaine des transports, elle a souvent alerté, mis en garde, critiqué, et force est de constater que les solutions apportées pas l’Etat n’ont pas toujours été durables et les remises en cause suffisantes. 

La question de la dette de la SNCF, ou du financement du réseau TGV, voire de la rentabilité de certains grands projets, n’ont pas été des découvertes de la Cour. Mais celle-ci a le mérite, de manière indépendante, de livrer un jugement, qui plus est public, généralement très éclairé.

On voit bien que les structures ou les outils de mise en cohérence (Plan, outils de programmation financière) ont aujourd’hui largement disparu, et les grands choix stratégiques se soucient peu ou pas assez du financement.  On le voit par exemple avec la soi-disant programmation des infrastructures de transport, où on retire pudiquement de la liste des grands projets toujours maintenus... 

En outre, et La Cour des Comptes Européenne vient de  le rappeler,  les mégaprojets européens, et singulièrement ceux auxquels la France participe, ont tendance à voir leurs coûts et leur délais dériver, parfois dangereusement. 

Nous somme loin d’une approche cohérente, raisonnée, planifiée, concertée dans ces domaines, et je suis de ceux qui régulièrement regrettent l’absence d’évaluation pluraliste, contradictoire des grands projets, et des politiques sectorielles.  Ce qui se passe dans les transports n’est pas très différent de ce qui se passe, hélas, dans la santé. Les transports en Ile de France n’échappent pas à cette critique, et subissent en plus une politique fortement jacobine. La décision centralisée sans Plan devient peu à peu une calamité publique.

Quelles solutions la RATP peut imaginer afin d'alléger ses difficultés financières ? Pensez-vous qu'il est préférable de renoncer à des investissements au risque de perdre en croissance ? Ou au contraire, faudrait-il cette fois-ci une restructuration de l'entreprise ? 

Patrice Salini : A vrai dire, votre question m’amène à en poser une autre : Est-il logique que ce qui est parfaitement prévisible (et l’était), - une multiplication par 10 de la dette d’île de France mobilité étant prévue entre 2018 et 2030 - devienne ensuite un motif impérieux de restructuration ou de remise en cause de la seule RATP , et pourquoi ?  D’autant que la Cour souligne que l’on ne répond pas à la croissance de la demande de transport !

L’enjeu me semble de remettre de la cohérence dans les moyens publics - y compris décentralisés - et de créer les conditions d’une visibilité financière à moyen terme des transports en île de France.  Mais on ne peut faire l’impasse sur une remise en cause d’une organisation complexe opacifiant les responsabilités, et ne permettant pas à la Région d’exercer pleinement ses responsabilités dans le cadre d’un plan dont elle aurait la maîtrise.

Alain Bonnafous : Tout d’abord on peut souligner qu’au niveau national les investissements de transport sont à un niveau historiquement faible. C’est aujourd’hui le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) qui est chargé de « hiérarchiser les grandes infrastructures de transport ». Sa dernière proposition (2017) mérite d’être comparée à ce qui était proposé 20 ans plus tôt. Le rôle du COI était alors tenu par un « Atelier sur les orientations stratégiques de la politique des transports et leurs implications à moyen terme », atelier du Commissariat au Plan de l’époque que je connais un peu pour en avoir été le président. Le scénario proposé en 1997, qui a été effectivement été mis en œuvre, représentait 0,54 % du PIB. La comparaison à 20 ans devient saisissante car, dans le scénario du COI le plus vraisemblable, cet effort ne représente plus que 0,11 % du PIB. En résumé, l’effort de la nation pour financer les grandes infrastructures nouvelles a été divisé au moins par 4 en 20 ans !

Il s’agit là d’une évolution lourde passée inaperçue : ce pays subit une déflation des dépenses d’investissement au profit des dépenses de fonctionnement dans beaucoup de domaines, la santé, la sécurité, les transports… et c’est un signe bien désolant de la préférence pour le présent. On peut cependant observer que la Région Ile-de-France a fait des efforts remarquables pour rompre avec cette tendance historique, en baissant son train de vie et ses dépenses de fonctionnement (1,9 Mds€ au budget 2020) au bénéfice des dépenses d'investissement (2,2 Mds€). En 5 ans, les dépenses de fonctionnement auront baissé de 20% et les dépenses d'investissement auront augmenté de plus de 41%.

Cette évolution des choses ne résout pas pour autant le problème du financement des transports franciliens dans la durée, d’autant que la crise actuelle aura des conséquences lourdes sur la recette du versement mobilité (ex versement transport) et que les pertes de recette du transport liées à la crise dépasseront vraisemblablement le milliard.

Il conviendra certainement d’agir sur toutes les commandes du système, qu’il s’agisse de l’optimisation des investissements que je viens d’évoquer ou de la tarification qui peut être augmentée. En passant de 70€ par mois en 2015 à 75,20€ aujourd’hui, ce tarif du pass Navigo a à peine suivi l’inflation. On peut aussi espérer que les coûts du transport soient mieux maitrisés : il n’est pas dit que les 27 % de déficit de compétitivité reconnus pas la direction de la SNCF lors des grèves liées à sa réforme soient définitifs, ne serait-ce qu’en accélérant la mise en place d’appels d’offre concurrentiels (recommandée par la Cour pour les activités routières).

Dans tous les cas, la présidente de la Région a du pain sur la planche.

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