Éducation : derrière l’ambition habilement affichée par Emmanuel Macron, un discret renoncement aux missions fondamentales de l’école<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Pap Ndiaye ont fait la promotion de « l’école du futur », une expérimentation, lors de leur déplacement à Marseille ce jeudi.
Emmanuel Macron et Pap Ndiaye ont fait la promotion de « l’école du futur », une expérimentation, lors de leur déplacement à Marseille ce jeudi.
©Sebastien NOGIER / POOL / AFP

École du futur

Emmanuel Macron s’est rendu jeudi à Marseille au côté du nouveau ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, pour faire la promotion de « l’école du futur », une expérimentation contestée par les syndicats d’enseignants.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Jeudi 2 juin,  le ministre de l’Éducation Pap Ndiaye s’est rendu à Marseille avec Emmanuel Macron pour promouvoir sa vision du système scolaire, ce qu’ils nomment “l’école du futur”. Quel est le fond idéologique de cette vision déjà déployée par Emmanuel Macron il y a quelques mois? Pap Ndiaye se retrouve-t-il à devoir y souscrire de facto ? 

Vincent Tournier : Ce déplacement à Marseille est lourd de symboles et d’enjeux. Le choix du lieu est évidemment très important. Pour le grand public, Marseille est la ville de la délinquance et des trafics, mais pour le président, qui plaide pour un monde ouvert et une société diversifiée, elle est le symbole de la France de demain. C’est pourquoi Emmanuel Macron s’est souvent rendu à Marseille, notamment à l’occasion de ses deux campagnes électorales. Ce faisant, il est cohérent avec lui-même : dire du mal de Marseille, ce serait se désavouer. Il doit donc en dire du bien, comme il doit dire du bien de la Seine-Saint-Denis (qu’il compare à une « Californie sans la mer »). C’est cette exigence de cohérence qui explique pourquoi le ministre de l’Intérieur développe un récit assez stupéfiant sur les évènements qui se sont produits récemment au stade de France à Saint-Denis : reconnaître qu’il y a un problème obligerait à revoir tout le projet qui repose sur la valorisation de l’immigration et de la diversité.

Deuxième point : l’école du futur. Cette expression est également lourde de sens. Parler de l’école du futur, c’est dire qu’il faut en finir avec l’école du passé. Or, qu’est-ce que l’école du passé sinon l’école républicaine ? A travers cette formule, il faut donc comprendre qu’Emmanuel Macron entend réformer en profondeur le système scolaire. Il ne s’en cache d’ailleurs pas puisqu’il parle d’une « révolution culturelle ». Pourquoi une révolution ? On comprend que, pour quelqu’un comme Emmanuel Macron, qui est de sensibilité néolibérale, le système actuel a pour défaut de reposer sur des principes comme la méritocratie et l’égalité qui sont pas compatibles avec le projet que défend le président : la méritocratie est en effet structurellement défavorable aux populations issues de l’immigration, sauf lorsque les familles acceptent de jouer le jeu du travail acharné (ce qui arrive parfois, notamment pour les familles originaires d’Asie) ; quant à l’égalité, elle va de pair avec une gestion réglementée et rigide (carte scolaire, recrutement et affectation centralisés des enseignants, programmes nationaux, etc.). Du point de vue libéral, un tel système est donc excessivement centralisateur et bureaucratique. 

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Le problème est que les Français y sont très attachés. Ils sont généralement assez fiers de leur école car, malgré ses défauts, elle leur semble issue d’une longue et prestigieuse histoire commencée sous la Révolution et la IIIème République, et aussi parce que cette école a su garantir un bon niveau d’éducation à tous les enfants, quels que soient leurs origines et leur lieu de résidence.

Pour justifier des réformes qui s’annoncent donc assez radicales, le président de la République doit procéder par étape. Pour cela, il utilise astucieusement deux paramètres : l’expérimentation et les bons sentiments. C’est ainsi que, depuis l’automne dernier, des écoles marseillaises expérimentent une nouvelle organisation qui donne plus de liberté aux chefs d’établissement pour constituer leur équipe pédagogique, ce qui est une vraie rupture. Cette expérimentation est justifié par un objectif noble : l’inclusion des élèves en difficulté, qu’ils soient issus de l’immigration ou handicapés. 

Logiquement, la prochaine étape est donc que ce système va être généralisé à l’ensemble du territoire. C’est effectivement ce qui est annoncé. Pourtant, plusieurs questions se posent. Est-on sûr que ce système soit plus efficace que le système antérieur ? Comment le démontre-t-on ? Quels sont les critères qui permettent de trancher ? Et puis l’expérimentation est-elle une bonne manière de conduire une réforme de cette importance, en sachant que les résultats des expérimentations sont rarement limpides et peuvent souvent être interprétés de différentes manières ?

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Ajoutons que, pour la gauche, le piège est redoutable. Il va être en effet lui très difficile de s’opposer aux objectifs du gouvernement : comment pourrait-elle être contre l’inclusion et la lutte contre les discriminations ? Les arguments avancés par le président sont redoutables car ils semblent tomber sous le coin du bon sens : il faut faire confiance au terrain, il faut mettre de la souplesse dans le système, etc. Pourtant, il serait ironique que la gauche approuve une réforme dont la conséquence sera inéluctablement de remettre en cause le statut des enseignants, auquel elle est très attachée. 

Avons-nous dans ce déplacement une première vision de comment se positionne le ministre Pap Ndiaye politiquement/idéologiquement parlant par opposition à l’universitaire qu’il était? Propose-t-il quelque chose ou n’est-il que le nouvel avatar de la politique macronienne ?

Pour l’heure, on ne sait pas quelle va être la politique du nouveau ministre de l’Education, même si on peut présumer qu’il approuve les grandes orientations définies par le président et qu’il compte les mettre en œuvre. Mais pour en savoir plus, il va falloir attendre que l’intéressé fasse ses premières déclarations, lesquelles devraient venir après le discours de politique générale d’Elisabeth Borne, annoncée pour après les élections législatives.

Ce qui est clair à ce stade, c’est que Pap Ndiaye se situe sur une ligne assez éloignée de la ligne Blanquer. Depuis son séjour de jeunesse aux Etats-Unis, Pap Ndiaye a pris ses distances avec l’universalisme républicain, dont il a pourtant été un bénéficiaire et un fervent défenseur, y compris en donnant à ses enfants des prénoms très traditionnels (Rose et Lucien). Sous l’influence des idées nord-américaines, il a alors développé une lecture racialisante de la société qui l’a conduit à se retrouver sur le terrain des idées décoloniales, comme l’a récemment indiqué le philosophe Alain Finkielkraut. Mais plus encore que ses propos ou ses réflexions, ce sont certains de ses engagements qui paraissent critiquables, notamment sa contribution à la création du CRAN (collectif des associations noires de France) ou sa participation à des réunions en non-mixité raciale, donc interdites aux Blancs, sans parler de sa décision de scolariser ses enfants dans une école privée.

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Bien évidemment, il faudra juger le nouveau ministre sur pièces. Sa décision de se rendre au collège de Conflans-Saint-Honorine où enseignait Samuel Paty constitue un signe aussi inattendu que marquant. Il reste toutefois à savoir comment il compte se situer sur certains enjeux, notamment sur la question de la discrimination positive dont il est un partisan convaincu. Compte-t-il la développer, et si oui comment ? Compte-t-il la mettre en œuvre également dans le recrutement des enseignants, ce qui impliquerait de revoir le principe des concours ? Le sujet est sensible. La discrimination positive peut vite exaspérer l’opinion car, comme le dit Alain Finkielkraut, il s’agit de remplacer le critère du mérite par celui de la naissance, ce qui est problématique dans un pays qui a justement voulu abroger les privilèges liés à la naissance. C’est pourquoi Emmanuel Macron semble soucieux d’encadrer son ministre, comme le montre le fait que son directeur de cabinet est un proche de Jean-Michel Blanquer. 

Les commentateurs ont souligné que la nomination de Pap NDiaye visait aussi à séduire un électorat de profs et de cadres sup’ urbains qui pourraient être tentés par la Nupes. Faut-il voir dans ce déplacement à Marseille notamment, une instrumentalisation électorale du nouveau ministre de l’éducation nationale ? Avec quels effets ?

Sur le plan tactique, Pap Ndiaye présente le grand avantage de rendre possible une jonction entre l’électorat d’Emmanuel Macron et celui de Jean-Luc Mélenchon. En raison de sa personnalité et de ses déclarations, le nouveau ministre est en effet en mesure de plaire à cette frange de la population qui correspond aux « anywhere » dont parle David Goodhart, c’est-à-dire en gros aux cadres supérieurs et moyens qui vivent dans les grandes métropoles et qui sont acquis aux valeurs post-matérialistes. Bien que divisée politiquement (une partie est plus libérale et légitimiste, donc plutôt macroniste ; l’autre est plus régulatrice et contestataire, donc plutôt mélenchoniste), cette population partage des préoccupations communes : la critique du nationalisme, l’idée que les minorités ethniques sont discriminées, la conviction que la France est un pays raciste et inhospitalier, ou encore le refus d’accorder de l’importance aux questions d’identité et de sécurité. De surcroît, Pap Ndiaye peut également séduire les électeurs issus de l’immigration ou de confession musulmane qui ont massivement opté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour, puis pour Emmanuel Macron au second tour.

Bref, le choix de Pap Ndiaye est assez judicieux, comme est assez judicieux le fait de se rendre avec lui à Marseille pour développer un discours sur l’inclusion et les discriminations. Ajoutons un point positif : la présence de Pap Ndiaye à la tête du ministère de l’Education devrait sérieusement affaiblir les accusations de racisme systémique qui sont parfois adressées à l’école. 

Mais deux problèmes subsistent. Le premier est que le message qui est envoyé à l’opinion publique est que la seule population qui mérite l’attention du gouvernement est la population des quartiers. Déjà en 2017, Emmanuel Macron avait créé un trouble lorsqu’il avait entrepris de dédoubler les classes dans les écoles classées en REP, donnant le sentiment que le gouvernement voulait déshabiller Paul pour habiller Pierre. Si on ajoute à cela les nouvelles procédures d’affectation dans les lycées, qui sont défavorables aux bons élèves, ainsi que la fin programmée des lycées d’excellence (Henri-IV et Louis-le-Grand) et la hausse des primes pour les enseignants qui vont dans les quartiers difficiles, on comprend que le risque est d’aboutir à une inversion de la logique méritocratique à l’avantage des populations issues de l’immigration.

Le second problème est qu’on peut se demander si le choix du président de mettre en avant l’inclusion et la lutte contre les discriminations, sujets qui sont finalement très secondaires, ne sert pas surtout d’alibi ou de paravent pour ne pas aborder des problèmes autrement plus importants, à savoir la baisse du niveau scolaire et l’effondrement de l’attractivité des métiers de l’enseignement. C’est là-dessus qu’on aimerait entendre le président Macron et son ministre de l’Education, d’autant que, par certains côtés, la lutte contre les discriminations peut avoir pour effet pervers d’accroître la baisse du niveau et d’aggraver le désenchantement des personnels.

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