Droit à l’IVG dans la Constitution : combattre un danger imaginaire en en créant de nouveaux <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron prononce un discours lors d'une cérémonie en hommage à la défunte figure féministe française Gisèle Halimi au palais de justice de Paris, le 8 mars 2023. (Photo de
Emmanuel Macron prononce un discours lors d'une cérémonie en hommage à la défunte figure féministe française Gisèle Halimi au palais de justice de Paris, le 8 mars 2023. (Photo de
©Michel Euler / POOL / AFP

Projet de loi

Emmanuel Macron a annoncé, ce mercredi, la présentation d'un projet de loi "dans les prochains mois" pour inscrire l'interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, en rendant hommage à Gisèle Halimi, lors de la Journée internationale des droits des femmes.

Jean-Eric Schoettl

Jean-Eric Schoettl

Jean-Éric Schoettl est ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel entre 1997 et 2007. Il a publié La Démocratie au péril des prétoires aux éditions Gallimard, en 2022.

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Atlantico : Emmanuel Macron vient d’annoncer l’inscription dans la Constitution du droit à l’interruption volontaire de grossesse . Comment peut se traduire cette inscription ?

Jean-Eric Schoettl : Le 8 mars, à l’occasion de la « Journée internationale des droits des femmes », le Président de la République a en effet annoncé vouloir inscrire « dans les prochains mois » le droit à l'IVG dans la Constitution. En marge de l’hommage national rendu à Gisèle Halimi, il a déclaré qu’il entendait « graver la liberté des femmes de recourir à l'interruption volontaire de grossesse dans la loi fondamentale (...) Pour assurer solennellement que rien ne pourra entraver ou défaire ce qui sera ainsi irréversible ».

Il s’agit là d’une révision constitutionnelle. Elle ne peut être menée à bien qu’au terme d’une procédure exigeante, qu’organise l’article 89 de la Constitution. Il faut un texte voté en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat. Si ce texte est d’initiative gouvernementale (projet de loi), il faut ensuite – au choix du Président – soit un Congrès (réuni à Versailles) adoptant le texte à une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, soit une approbation référendaire. Si la loi constitutionnelle est d’initiative parlementaire (proposition de loi), la voie du Congrès est fermée : seul le référendum peut incorporer le texte voté par le Parlement dans la Constitution.

Un référendum serait lourd à organiser alors que, dans l’état du pays, les Français ont d’autres soucis et les pouvoirs publics d’autres chats à fouetter. L’abstention pourrait être importante et la campagne référendaire réveiller dans la société française des clivages aujourd’hui surmontés. On comprend donc pourquoi le Chef de l’Etat est pressé par sa majorité et par la gauche de reprendre à son compte, sous forme de projet de loi constitutionnelle, la reconnaissance du droit à l’IVG.

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Mais que reprendre à son compte exactement ? 

C’est en effet la principale question soulevée par les propos présidentiels. En matière constitutionnelle, les mots sont déterminants. L’Exécutif pourra proposer la rédaction de son choix, mais il faut bien voir que deux grands types de rédactions sont envisageables, qui ont déjà fait l’objet de votes au Parlement depuis le début de la législature. Ils n’ont pas du tout la même portée.

Les propositions présentées par la présidente du groupe majoritaire de l'Assemblée nationale, Aurore Bergé, puis par la sénatrice écologiste Mélanie Vogel (rejetée par le Sénat le 19 octobre dernier), enfin par l’insoumise Mathilde Panot (largement votée par les députés le 24 novembre) instaurent un « droit créance ». Pour la proposition des écologistes du Sénat : « Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits. ». Pour celle des Insoumis (ralliée par la majorité présidentielle au Palais-Bourbon) :  « La loi garantit l'effectivité et l'égal accès au droit à l'interruption volontaire de grossesse » (en bon français, il faudrait écrire « La loi garantit l'effectivité du droit à l'interruption volontaire de grossesse et l'égal accès à ce droit »).

Pour sa part, le Sénat a adopté au début du mois de février une contreproposition de son questeur Philippe Bas (LR), ancien collaborateur de Simone Veil. Elle consiste à inscrire à l’article 34 de la Constitution (qui définit le domaine de la loi), la phrase suivante : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. ».

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Quelle urgence y a-t-il à réformer les institutions ?

Les deux types de rédactions (Bergé, Vogel et Panot, d’un côté, Bas de l’autre), n’auraient pas du tout les mêmes effets. Le premier type instaure un « droit-créance » absolu. Le second entérine le droit existant : la femme a la liberté d’interrompre sa grossesse, mais cette liberté (comme toutes les libertés) est conditionnée, et peut donc être limitée, par la loi. Le souci de Philippe Bas est d’éviter un texte qui bouscule l’équilibre de la loi Veil : « Nous ne pouvons pas accepter une sorte de droit absolu, indéfini, indéterminé qui ne postulerait pas l’existence de conditions et de limites. Toute liberté a ses conditions et ses limites, l’interruption volontaire de grossesse aussi, c’est ce qu’a voulu la loi Veil ».

Quelle est l’utilité d’une telle révision ?

Aucune. C’est un geste purement symbolique, sans doute aussi une façon de mettre en vitrine une « avancée » sociétale pour faire acte de progressisme.

Nous disposons déjà d’une législation libérale et non contestée. Il n'y a aucun risque de "régression législative". Quelle famille politique porterait une telle mesure ? Sur ce point, la France est aux antipodes des Etats-Unis où les prolife sont une force politique considérable.

Aucun risque non plus de revirement de jurisprudence du Conseil constitutionnel. A compter de la loi Veil du 17 janvier 1975, le Conseil a admis (par quatre fois) les moutures successives, toujours plus permissives, de la législation sur l'IVG, en considérant qu'il ne lui appartenait pas, dans un tel domaine, de substituer son appréciation à celle du législateur. Bien plus, par sa décision du 27 juin 2001, il a rattaché l'IVG à la liberté personnelle de la femme, protégée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. C'est la remise en cause de l'IVG par la loi qui serait censurée !

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La référence à la décision du 24 juin 2022 de la Cour suprême des USA (Dobbs vs Jackson women’s health organization), qui abandonne la jurisprudence Roe vs Wade de 1973, est inopérante. La Supreme Court a non pas déclaré l'avortement inconstitutionnel, mais jugé que, dans le silence de la Constitution américaine, l’IVG n’est ni garantie ni prohibée au niveau constitutionnel. C'est donc à chacun des Etats fédérés de légiférer comme il l’entend. Le propre du fédéralisme est en effet de confier au législateur local une compétence de droit commun, ce qui implique de lui laisser le soin de régler des questions parfois graves. C’est au peuple de chaque Etat fédéré de trancher de telles questions. Il le fait au travers des représentants qu’il a élus ou par la voie du référendum, selon sa sensibilité et son histoire propres. Comme le relève la commission des lois du Sénat, on ne saurait importer de ce côté de l’Atlantique un débat inhérent aux spécificités institutionnelles des Etats-Unis. Comparaison n’est pas raison dans l’espace.

Et dans le temps ? On nous explique (les propos du Chef de l’Etat vont dans ce sens) que l’inscription dans la Constitution d’un droit aujourd’hui incontesté se justifie parce qu’« on ne sait jamais » ce que l’avenir nous réserve. On conviendra que rien n’est jamais acquis dans l’histoire des nations. L’argument n’en est pas moins spécieux. Une France qui aurait changé à ce point que l’abolition de l’IVG soit réclamée par une majorité de parlementaires (et donc réponde aux vœux de la plus grande partie du corps électoral) ou soit admise par une majorité de membres du Conseil constitutionnel serait une autre France. Pense-t-on à une France intégriste ? Cette France-là aurait depuis longtemps « éteint les Lumières" et jeté par-dessus bord notre actuelle Constitution (et, avec elle, les pauvres précautions qu’on y aurait prises pour sauvegarder tel ou tel droit).

Que penserait Simone Veil de ce débat ? La constitutionnalisation du droit à l’IVG n’est-elle pas la consécration de son combat ?

Je me garderai de la faire parler à titre posthume, mais je dirai au moins ceci.

En créant un droit-créance illimité (pas de durée de gestation au-delà de laquelle l'IVG cesse d'être de droit, pas de clause de conscience du médecin, satisfaction « effective » et « égale » des demandes sur tout le territoire, donc là même où il n’y a pas de maternité), une disposition du type Panot/Vogel porterait atteinte, comme le dit Philippe Bas, aux équilibres et à l’esprit de la loi Veil. 

Simone Veil a toujours expliqué avoir mené son combat en faveur de la dépénalisation de l’IVG sous la bannière du moindre mal : dépénaliser, non glorifier.

Comment alors expliquer cet empressement à inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution ?

Parce qu’en France, nos responsables politiques parlent de réviser la Constitution chaque fois qu’ils entendent montrer l’importance qu’ils attachent à un sujet. C’est la posture qui est recherchée bien avant les effets escomptés de la révision. Aucune étude d’impact ne documentera d’ailleurs ces derniers. On est loin ici de l’éthique de la responsabilité. On n’est même pas dans l’éthique de la conviction : affichage et communication, sur fond de pensée magique, ont pris les commandes.

La visée des propositions de loi constitutionnelle de la Nupes et de la majorité présidentielle est purement politique. Mais, même de cet étroit point de vue, attention aux dommages collatéraux. Dans le camp présidentiel, la fuite dans le sociétal, avec l'idée tactique de pouvoir composer avec la gauche sur au moins quelque chose, accrédite l'image d'un pouvoir qui, éprouvé par cette dure confrontation avec la réalité qu’auront été la loi sur les retraites et celle sur l’immigration,  diffère désormais le traitement des maux de la société française en faisant diversion vers des sujets virtuels.

En adoptant une rédaction du type de celles de Mathilde Panot ou de Mélanie Vogel, la majorité présidentielle serait d’ailleurs en pleine contradiction avec elle-même puisque, en 2019, ses députés se sont opposés à une proposition de loi constitutionnelle introduisant dans la Constitution un article 66-2 aux termes duquel « Nul ne peut entraver le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse ».

Jean-Eric Schoettl

Ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel

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