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Destruction de nos emplois industriels : et si le libéralisme
était le seul moyen d'en finir
avec le libre-échange
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Parler vrai !

Après l'annonce par PSA d'un plan de redressement prévoyant 8 000 suppressions d'emplois, c'est Alcatel-Lucent qui envisage de supprimer 5 000 postes dans le monde d'ici à la fin 2013. Si le libre-échange peut être pointé du doigt, le libéralisme n'en est pas la cause... mais le remède !

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Libéralisme ! Il est convenu que le monde vit depuis trente ans – disons depuis le tournant des années 1980 – sous le règne du libéralisme (néo ou ultra, qu’importe) sans que l’on se soucie vraiment de le définir.

Pour s’en tenir à l’économie, le libéralisme recouvre au moins le libre-échange, qui n’a cessé de progresser depuis que la Conférence de la Havane (1947-1948), une des grandes réunions de l’après-guerre l’ayant posé comme l’idéal à atteindre dans le monde entier. II a fait de considérables progrès sous l’impulsion du GATT [1], créé à cette occasion, devenu OMC [2] qui, de cycle en cycle [3], s’est efforcé avec un succès croissant d’effacer un peu partout les protections douanières.

La liberté de circulation des capitaux, tout aussi importante, a connu un développement plus tardif, à partir de 1985. Elle est aussi devenue un dogme de l’économie mondialisée.

Le contrôle des prix a à peu près partout disparu. D’autres dimensions du libéralisme comme la liberté du marché du travail rencontrent plus d’obstacles, notamment en Europe. La privatisation des services publics, et a fortiori du reste de l’économie, a aussi beaucoup progressé.

Augmentation générale des prélèvements publics

Mais si un peu partout le patrimoine public s’est rétréci, les flux économiques, transitant par les entités publique (État, collectivités locales, Sécurité sociale), qu’on les mesure en termes de prélèvements obligatoires ou de dépenses publiques rapportés au PIB, n’ont cessé de croître dans la plupart des pays industriels. Jamais ils n’ont, en France, été aussi élevés qu’en 2011 : dépenses publiques et transferts représentent aujourd’hui, après trente ans de politique supposée libérale, plus de 56 % du PIB. Compte tenu des déficits et des recettes non fiscales de l’État, les prélèvements publics sont à un niveau inférieur mais tout de même très élevé  46 % du PIB.  

Même si d’autres pays ont connu une certaine orientation à la baisse depuis 1995, ils sont très au-dessus du point où ils étaient au milieu du XXe siècle. Si les prélèvements publics n’augmentent plus depuis environ 15 ans dans la plupart des pays industriels, ils n’ont cependant diminué que peu, en dépit des gesticulations néo-libérales des Reagan, Thatcher et autres [4]. Pensons qu’en 1960, ils se situaient en moyenne à environ 15 points de PIB plus bas qu’aujourd’hui : en France, 30 % en 1960, 45 % en 2010.

Or quoi de plus significatif en regard de la vie quotidienne des citoyens que le curseur qui sépare l’économie publique de l’économie privée, soit  le taux de dépenses publiques et des transferts ? Comment ne pas voir dans le fait que celles-ci représentent plus de la moitié de la production nationale le signe d’une ingérence toujours plus grande de la puissance publique dans la sphère privée ? Un indice autrement significatif dans la vie quotidienne des citoyens que le niveau des droits de douanes ou des contingents !

Quel singulier paradoxe donc que les 30 dernières années que l’on place sous le signe du libéralisme économique aient vu, en termes de flux, l’économie publique prendre une part sans précédent dans la vie de la plupart des États !

Certains se féliciteront de cette socialisation croissante de l’économie. Pourtant, au-delà d’un certain seuil, les effets pervers se multiplient ; fraudes de toutes sortes (évasion fiscale, travail au noir), pouvoirs disproportionnés entre les mains de la puissance publique - dans certaines villes moyennes, les citoyens n’osent pas s’opposer à la mairie qui est la fois le premier employeur et le premier client de la ville -, et donc menace sur la démocratie, découragement des initiatives, mauvaise régulation et gaspillages. Trop lourds, les prélèvements perdent leur légitimité et minent la démocratie.

Un lien de cause à effet avec le libre-échange ?

Paradoxe ou évolution concomitante ? Notre soupçon est que, au rebours de toutes les théories néo-libérales en vogue, il y a un lien de cause à effet entre le développement du libre-échange et l’inflation de la sphère publique au sein des États.

Pourquoi ? Parce que le libéralisme absolu n’est pas dans la nature de l'homme lequel a besoin d’une certaine stabilité, d’une certaine visibilité de l’avenir. La sécurité que les hommes ne trouvent plus dans une sphère privée tributaire du marché mondial, ils la cherchent dans la sphère publique : l’emploi public apparait ainsi comme une variable d’ajustement à la montée du chômage frictionnel - ou même structurel. On en voit en France l’enchaînement dans la multiplication, en cas de crise, d’emplois aidés sur financement public. Ces emplois sont financés par les collectivités locales mais généralement aboutissent à une titularisation.

D’autres pays ont des mécanismes analogues. Le chômage développe l’obligation d’assistance. Sa montée entraîne une inflation des budgets sociaux. En matière de marchés publics, malgré les directives qui ordonnent d’ouvrir les appels d’offres à toute l’Europe, règne notoirement un protectionnisme régional voire départemental bien ancré. Bref dans ce monde que le libre-échange rend imprévisible, la tendance naturelle des populations, dont le pouvoir politique se fait l’écho conscient ou inconscient, est de préserver voire de développer une sphère publique échappant aux lois du marché.

Le lien entre mondialisation et développement de la sphère publique est particulièrement patent dès que l’on considère les politiques de relance. Dans l’économie cloisonnée d’autrefois, celles des années 50 par exemple, une politique keynésienne pouvait prendre la forme d’une hausse générale des salaires : cette hausse suscitait une demande portant d’abord sur la production domestique. La spirale vertueuse était particulièrement patente s’agissant de l’automobile : une augmentation de 10 % des salaires chez Renault, entreprise nationale de référence, était suivie très vite par une augmentation équivalente dans toute l’industrie française. La vente d’automobiles Renault s’en trouvait stimulée bien au-delà de ces 10 % et c’était  bénéfice pour tout  le monde.

Aujourd’hui une hausse de salaires a de fortes chances de gonfler les seules importations de biens manufacturés et de se traduire donc par un déséquilibre accru de la balance de paiements, sans contribuer d’aucune manière à relancer la production nationale.

La seule relance keynésienne qui tienne encore, dans un contexte mondialisé, est celle des dépenses publiques, en particulier celles qui, comme les travaux publics ou l’embauche de fonctionnaires, échappent à la concurrence internationale. C’est ainsi que procédèrent Reagan et ses successeurs  au travers du gonflement des budgets de défense. C’est également ce qu'a fait  le gouvernement Sarkozy avec le grand emprunt. Ainsi l’économie mondialisée, privant les gouvernements du levier du pouvoir d’achat, les pousse, de différentes manières, à enfler toujours un peu plus la sphère publique.

La vérité est que, contrairement à ce que croient ses idéologues, le libéralisme n’est pas un bloc. Il peut progresser sur certains plans et régresser sur d’autres et cela de manière corrélative. Les libéraux de toutes obédiences qui chantent les louanges du libre-échange généralisé feraient bien de prendre garde à ces mécanismes paradoxaux qui font que le libéralisme joue contre le libéralisme dès lors que, poussé à l’extrême, il tend à ignorer  un des fondamentaux de la nature humaine qui est la recherche de la  sécurité.

Autant qu’il est tenu pour un instrument de politique économique parmi d’autres, et non comme un absolu, le libre-échange a assurément un rôle à jouer. Tenu unilatéralement pour un absolu, on découvrira un jour qu’il aura fait reculer la vraie liberté.   



[1]General agreement on tariffs and trade

[2] Organisation mondiale du commerce

[3] Cycles (en anglais round) appelés  successivement du nom de leur initiateur ou de la conférence de lancement : Dillon, Kennedy, Nixon, Tokyo, Uruguay, Doha.

[4] Les dépenses publiques représentaient, dans   la zone euro 50,4 % du PIB en 1990 à 46,1 % en 2008. La Suède qui avait atteint 72 % a particulièrement baissé.

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