Derrière le rassemblement des musulmans de France au Bourget, le plus grand rassemblement islamiste d’Europe. Et voilà ce qu’on pouvait y entendre<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Derrière le rassemblement des musulmans de France au Bourget, le plus grand rassemblement islamiste d’Europe. Et voilà ce qu’on pouvait y entendre
©#Reseau1905

Islam de France

La Rencontre Annuelle des Musulmans de France (RAMF) a eu lieu du 30 mars au 2 avril au salon du Bourget, en Seine-Saint-Denis. Entre intervenants controversés, inégalité des sexes et poupées voilées, entrez dans les coulisses du plus grand rassemblement islamiste d'Europe.

Naëm Bestandji

Naëm Bestandji

Écrivain/essayiste, Naëm Bestandji est un laïque et féministe engagé. Il a longtemps travaillé dans le domaine socio-culturel auprès des enfants et adolescents des quartiers populaires. Il y a toujours vécu et a été très tôt confronté à la montée de l'intégrisme religieux.

Il a publié de nombreux articles sur l’islamisme politique.

Son site internet : https://www.naembestandji.fr/

Il est l’auteur d’un essai remarqué, pour tout comprendre sur le sexisme politique du voile : « Le linceul du féminisme – Caresser l’islamisme dans le sens du voile » (éditions Séramis, novembre 2021).

Voir la bio »

"Regardez dans les mosquées, regardez dans ces groupes musulmans, non seulement ils veulent enfermer les femmes musulmanes dans une sorte de cercle de fer, mais en plus ils veulent conquérir le monde". Cette production orientaliste du XIXe siècle, dans un contexte colonial, est un peu précurseur de "l'islamophobie" actuelle. C’est-à-dire de la naissance de cette image que l'on appelle "l'homo islamicus". Ce musulman qui est rétrograde. Ce musulman qui pense l'infériorité de la femme. Ce musulman qui vit dans le passé. Ce musulman fanatique. (…).

Cette réflexion est celle de Vincent Geisser, sociologue. Il était l'intervenant du débat "Les musulmans : ennemis imaginaires ?" à la Rencontre Annuelle des Musulmans de France (RAMF) qui eut lieu du 30 mars au 2 avril 2018 au Bourget. Il se situe dans la ligne idéologique développant les thèses victimaires habituelles. Il est un des grands défenseurs du terme "islamophobie". Il n'a jamais su faire la distinction entre la critique d'une idéologie et les attaques envers des individus. Il n'a jamais su non plus la faire entre les islamistes et les musulmans. Pour lui, tout est "islamophobe", même les musulmans qui luttent contre les intégristes. Ainsi, il est naturellement un des chouchous de l'extrême droite musulmane et des indigénistes. Son intervention lors de cette Rencontre était une évidence.

Durant 30 minutes, il n'a eu de cesse d'entretenir un climat antimusulman assimilant, comme toujours, les intégristes à de simples musulmans persécutés par une société intolérante. Durant ces 30 minutes, nous étions plongés dans un monde anxiogène. Les spectateurs en sortent groggy et renforcés dans leur vision d'une France qui rejetterait les musulmans.

Cette Rencontre est-elle éloignée de ce qu'il pointe du doigt comme un fantasme ? Les intégristes (qu'il confond avec "les musulmans") expriment-ils leur désir d'"enfermer les femmes musulmanes dans une sorte de cercle de fer" ? Cette catégorie de musulmans "fanatiques et rétrogrades qui pense l'infériorité de la femme, qui vit dans le passé", est-elle présente dans les lieux même où Vincent Geisser s'exprime ?

En réalité, nous sommes à la "Rencontre Annuelle des Frères Musulmans de France". Un seul mot vous manque et tout est déformé. L'UOIF s'étant rebaptisée "Musulmans de France" dans son projet de représenter tous les musulmans, l'OPA islamiste sur l'islam en France continue. Pour savoir si nous sommes dans un fantasme "islamophobe" selon Vincent Geisser, nous pouvons observer la liste des intervenants, écouter ce qu'ils ont pu dire lors des débats durant ce week-end, nous promener dans les allées au gré des stands et des librairies.

N'étant pas en comité restreint mais sous les projecteurs, la plupart des propos tenus lors des débats ont été consensuels. Mais il suffit de regarder les pedigrees de quelques-uns des intervenants et d'être attentifs à certains de leurs discours pour se faire une meilleure idée.

Hassan Iquioussen est l'une des personnalités les plus importantes des Frères Musulmans en France. Ce prédicateur star de l'UOIF est antisémite. Il est également un homophobe assumé. Il compare l'homosexualité à la pédophilie et estime qu'après avoir autorisé "le mariage des hommes avec des hommes", la prochaine étape sera le mariage des hommes avec des animaux. Il est exactement dans la même ligne que son mouvement. En novembre 2012, lors des débats sur le mariage pour tous, l'UOIF avait publié un texte où elle compare l'homosexualité à la zoophilie.

Hassan Iquioussen considère aussi la mixité comme un problème. Il regrette également de ne plus pouvoir voiler sa petite fille à l'école à cause de "la loi infâme du 15 mars 2004". Il parle de "pseudo attentats" en évoquant ceux du 11 septembre 2001, de Madrid, Londres et Toulouse, noyé dans son complotisme coutumier. Il revendique l'islam politique. Bref, il est un islamiste dans toute sa splendeur.


Hassan Iquioussen, mosquée de Dunkerque, octobre 2012

Il a participé à plusieurs débats durant cette Rencontre. L'organisation n'ignorant rien de ses "opinions" exprimées par le passé, et n'étant pas présent pour un débat contradictoire mais pour prêcher la bonne parole, l'UOIF les valide par sa présence.

Sofiane Meziani fut un autre intervenant. Enseignant au "Lycée musulman Averroès" de Lille sous l'égide de l'UOIF, il est un auteur prolifique sur Oumma.com et un des intervenants préférés de Havre de Savoir, autre vitrine des Frères Musulmans. Il aime faire l'éloge de Hassan Al-Banna et de la victoire des Frères Musulmans en Égypte en 2012. Son dernier ouvrage, "Petit manifeste contre la démocratie : pour une redéfinition de l'homme et de la société", est en bonne place sur les rayons de ventes de livres de la Rencontre.

Il s'exprima au RAMF, dans le débat "Quelle quête spirituelle pour la jeunesse ?", pour dire notamment ceci : Dans quelle atmosphère j'évolue ? J'ai besoin d'une ambiance autour de moi qui symbolise l'éclosion de ma fleur intérieure. Une ambiance qui va permettre à ma foi de briller de tout son éclat. Il faut créer cette ambiance spirituelle. Il faut créer du sacré dans cette société devenue excessivement profane. Il faut penser la sacralisation du monde. Certains sont en train de penser la sécularisation de l'islam. Alors que le but aujourd'hui c'est de penser la sacralisation du monde.

Il assume clairement la doctrine frériste quant à l'irruption du religieux dans toute la société, à travers l'islam évidemment, pour "bien vivre ensemble" (expression chère au président de l'UOIF, Amar Lasfar).

Ahmed Jaballah était également présent à quelques débats. Ancien président de l'UOIF, il est membre fondateur et secrétaire général du Conseil Européen de la Fatwa et de la Recherche, structure européenne des Frères Musulmans présidée par Youssef Al-Qaradhawi. Ce dernier est le plus célèbre théologien des Frères Musulmans encore en vie. Nombre de ses ouvrages sont d'ailleurs vendus dans les allées de la RAMF, dont un qui a fait date et que j'aborderai un peu plus loin. Ahmed Jaballah est également membre de l'Association internationale des savants musulmans dirigée, là encore, par Youssef Al-Qaradhawi, dont le siège est au Qatar. Enfin, parmi de multiples autres casquettes dans le même genre, Ahmed Jaballah est cofondateur de l’Institut Européen des Sciences Humaines (IESH) situé dans la Nièvre. Cet institut a pour vocation de former des cadres musulmans qui partiront aux quatre coins de France pour diffuser l’idéologie des Frères. Par qui a-t-il été inauguré en 1992 ?... Par Youssef Al-Qaradhawi.

Ahmed Jaballah concentre à lui seul la doctrine de l'UOIF et celle de cette Rencontre. Dans le débat "Droits des femmes : quel intérêt d'être une femme en islam ?", il affirma son hostilité aux mariages mixtes. Mais si cela devait se produire, il a la même position que les radicaux : un musulman aurait le droit de se marier avec une femme d'une des religions du Livre (chrétienne, juive ou musulmane). Mais une musulmane n'aurait pas ce droit : elle aurait l'obligation de se marier avec un musulman.

Comme tous les Frères Musulmans, il rajoute d'emblée que les hommes et les femmes sont quand même égaux : J'ai des textes coraniques qui établissent l'égalité absolue entre l'homme et la femme. Il n'y a pas de discrimination. Seulement, il y a toujours un "mais" : Mais il y a une vision en islam qui est basée aussi sur ce que j'appelle la notion du couplage. C’est-à-dire que Dieu a créé l'homme et la femme, le mâle et la femelle. Et il a réparti quelques fonctions. C’est-à-dire à la base il y a une égalité absolue entre les deux. (…) Cette différence existe par le fait qu'il y a une complémentarité entre les deux éléments qui vont être unis pour former justement la famille.

"L'égalité absolue", oui, mais seulement "à la base". Cette fameuse "complémentarité" revient souvent dans les discours des Frères. Ce terme permet de rester ambiguë et de ne pas affoler ceux qui le seraient par "supériorité de l'homme". Cette ambiguïté permet également d'y associer l'égalité tout en la relativisant. La "complémentarité" avait été un point d'achoppement en Tunisie. Lors de l'élaboration de la nouvelle Constitution en 2012, les Frères Musulmans tunisiens (le parti Ennahda) ne voulaient pas du terme "égalité" concernant l'homme et la femme. Ils lui préféraient le terme "complémentarité", avec toutes les conséquences discriminatoires que cela pouvait inclure. Les Tunisiens s'étaient alors mobilisés et avaient fait reculer les islamistes. Ils étaient peut-être "islamophobes", selon les critères de Vincent Geisser.

Nous retrouvons ce terme dans plusieurs livres vendus dans les allées de cette Rencontre. Certains d'entre eux nous apportent les détails manquants qui permettent de bien saisir ce que veulent dire Ahmed Jaballah et l'ensemble des Frères.

Sayyid Sâbiq est un théologien historique des Frères Musulmans. Un de ses ouvrages avait même été préfacé par Hassan Al-Banna (cofondateur de la Confrérie et grand-père de Tariq Ramadan). Son livre "Fiqh as-sunna pour les femmes" est exposé en bonne place et en de nombreux exemplaires dans toutes les librairies présentes au RAMF.

L'introduction du livre exprime les mêmes propos que Ahmed Jaballah : si différence il y a entre les deux sexes sur le plan pratique, c'est uniquement conséquemment aux rôles distincts que l'Islam a assigné à l'un et à l'autre en ce monde, rôles qui ne peuvent en aucun cas être qualifiés d'inégaux, puisqu'étant éminemment complémentaires.

En plongeant dans l'ouvrage, on découvre enfin ce que tout ce petit monde entend par "complémentarité". Elle confère à l'homme une autorité "naturelle" sur la femme. Par exemple, dans un paragraphe au titre explicite, "Le mari défend à sa femme de travailler", l'auteur dit ceci : Les docteurs de la loi opèrent ici une distinction entre deux possibilités : soit le travail exercé par l'épouse porte atteinte au droit du mari et oblige celle-ci à sortir de chez elle, soit il ne porte pas atteinte à son droit. Si le travail de l'épouse porte atteinte au droit du mari, les docteurs de la loi le déclarent interdit ; sinon, ils le déclarent permis. Ce sont bien "les docteurs de la loi" qui le déclarent, pas les textes religieux…

Dans un autre paragraphe dont le titre exprime également "l'égalité" et la "complémentarité" ("Corriger sa femme en cas d'insubordination"), l'auteur nous dit cela :Par nushûz, il faut entendre le fait de désobéir au mari, refuser de partager sa couche ou encore sortir de chez soi sans son autorisation. Par 'idha, il faut entendre le fait d'effrayer l'épouse au rappel de Dieu, attirer son attention sur l'obéissance qu'elle doit à son mari et les obligations qui lui incombent, lui rappeler les péchés dont elle se charge en désobéissant et les droits qu'elle perd, comme l'entretien et l'habillement, en faisant acte d'insubordination. (…)

En outre, il n'est pas permis de corriger sa femme dès qu'elle désobéit. En effet, le verset précédemment évoqué contient des termes sous-entendus, en sorte qu'il doit être compris ainsi : (Celles de qui vous craignez l'insubordination, faites-leur la morale), si elles font acte d'insubordination, (désertez leur couche), si elles persistent dans l'insubordination, (corrigez-les). En d'autres termes, si elles demeurent irrépressibles malgré que leurs maris leur aient fait la morale et aient déserté leur couche, ceux-ci sont alors en droit de les corriger. (…) En outre, on ne doit frapper ni au visage ni aux endroits sensibles, le but étant de corriger et non de blesser.

Cet ouvrage, qui expose "l'égalité" des sexes à travers la "complémentarité", n'est pas le seul du genre exposé et vendu à la Rencontre. Il y a également un autre classique écrit par le théologien salafiste Abou Bakr Djaber Al-Djazaïri. Dans son livre "La voie du musulman", il exprime les mêmes délires : Le mari doit aider sa femme à suivre les enseignements de l'islam et d’exiger cela d'elle fermement, de ne pas lui permettre de paraître découverte, de faire parade de ses charmes, de fréquenter les hommes qui par nature peuvent se marier avec elle. Dieu le signale en ces termes : les hommes ont autorité sur les femmes (4:34).

Le voile fait ainsi partie de la panoplie pour une meilleure "égalité" et "complémentarité". Voici un des arguments de l'auteur : Un saint sortit dans une expédition. Une femme se découvrit devant lui et il la contempla. Aussitôt il leva la main et se frappa le visage. Il se creva l'œil et dit : « Tu t'empresses de regarder ce qui te nuit ! ». (…) Le mari ne doit pas permettre à sa femme de paraître découverte (…). Dieu le signale en ces termes : les hommes ont autorité sur les femmes (4:34).

Parmi ses obligations, la femme doit rester au foyer conjugal et n'en sortir qu'avec la permission de son époux. Elle doit aussi satisfaire le désir sexuel de son mari toutes les fois qu'il le manifeste car c'est son droit. Et s'il lui vient la folle idée de lui désobéir ? La réponse se trouve dans un paragraphe qui exprime encore l'égalité et la complémentarité version islamiste intitulé "Insoumission de la femme" : Dans le cas où la femme fait montre d'insoumission, c'est-à-dire lorsqu'elle désobéit à son mari en lui manifestant son mépris et son refus de respecter ses droits, ce dernier doit en premier lieu l'exhorter ; si elle se soumet à cette exhortation, le différend est clos, sinon, il s'écarte d’elle à la couche un certain temps qu'il juge convenable et cesse de lui parler durant trois jours […]. Si malgré cela elle persiste dans son inconduite, il la corrige sans sévérité tout en évitant le visage.

Il faudrait éviter le visage sans doute pour ne pas abîmer la marchandise…

Nous pourrions penser, dans un élan relativiste, de grande "ouverture d'esprit" et de "tolérance" que ces deux livres sont des exceptions. Et bien non. D'autres sont dans la même veine et le best-seller de la littérature islamiste est aussi en bonne place sur les rayons. Il s'agit de "Le licite et l'illicite en islam" de Youssef Al-Qaradhawi, ce théologien Frère Musulman si étroitement lié à Ahmed Jaballah et plus largement à l'UOIF.

Dans son livre, il tient exactement les mêmes propos que les deux autres. Il y explique aussi, comme les autres, pourquoi la femme doit se voiler, en s'éloignant totalement du Coran : Le devoir de la femme musulmane est de se couvrir la tête avec un voile et de cacher avec ce même voile, ou autre chose, sa poitrine, sa gorge et son cou afin que rien n’apparaisse de ces parties du corps tentatrices aux regards indiscrets et scrutateurs des passants. (…) L'instinct sexuel [de l’homme], une fois satisfait, assure la conservation de l'espèce. C'est un instinct puissant et irrésistible qui se trouve chez [lui]. Il est normal que cet instinct cherche une voie de satisfaction où il accomplit son rôle et assouvit son besoin. (…) La femme [est] la propriété d'un seul homme à la fois.

Le voile est bien entendu au cœur de cette doctrine, pour "protéger" l'objet précieux que serait la femme du regard concupiscent des hommes. Il fait partie de la panoplie sexiste et ultra-patriarcale de l'intégrisme musulman. Il a été développé pour ça. Le spirituel n'en a jamais été une des raisons.

L'auteur est à l'unisson avec les deux autres sur tous les sujets : Le musulman doit se montrer patient quand il voit de la part de son épouse un comportement qui ne lui plaît pas. Il doit reconnaître sa faiblesse en tant que femme et en tant qu'être humain.

Pour toutes ces raisons la femme ne doit pas désobéir à son mari, ni se rebeller contre son autorité. Si elle ose "se rebeller" malgré les ordres, il explique quasiment mot pour mot la même procédure que les deux autres en codifiant les violences conjugales pour les rendre plus "humaines".

Cette vision de la femme dans tous ces ouvrages fait partie de ce que les Frères Musulmans appellent le "juste milieu".

Ainsi, pour Ahmed Jaballah et l'ensemble de ces islamistes, l'"égalité absolue (à la base)", à travers la "complémentarité", ne signifierait pas que la femme est inférieure. C'est l'homme qui serait supérieur…

Le passage particulièrement ignoble consacré à l'homosexualité dans le livre de Youssef Al-Qaradhawi fait passer ceux concernant les femmes pour du romantisme à l'eau de rose : L’homosexualité est un acte vicieux, une perversion de la nature, une plongée dans le cloaque de la saleté, une dépravation de la virilité et un crime contre les droits de la féminité. Quand ce péché répugnant se propage dans une société, la vie de ses membres devient mauvaise et il fait d’eux ses esclaves. Il leur fait oublier toute morale, toutes bonnes mœurs et toute bonne manière.

Est-ce que l'on tue l'actif et le passif ? Par quel moyen les tuer ? Est-ce avec un sabre ou le feu, ou en les jetant du haut d'un mur ? Cette sévérité qui semblerait inhumaine n'est qu'un moyen pour épurer la société islamique de ces êtres nocifs qui ne conduisent qu'à la perte de l'humanité.

Voilà la pensée du "juste milieu" qu'admire tant Ahmed Jaballah. Il estime que Al-Qaradhawi (également antisémite, justifiant les attentats et pour la conquête de l'Europe) est un homme de paix et de tolérance qui a œuvré pour l’ouverture et la modération et dont les positions ont toujours été en faveur de la justice et de la liberté des peuples et il exerce une influence positive dans le monde musulman. L'actuel président de l'UOIF, Amar Lasfar, ne manque pas de louanges non plus envers le théologien : Qaradhawi, c’est le plus savant des savants du monde musulman aujourd’hui. C’est le plus savant. Il n’a pas d’égal. Les deux regrettent que cet homme, présent par le passé à cette Rencontre, ait été interdit de territoire.

Tous ces livres violents, haineux, homophobes, misogynes, qui justifient l'oppression et la discrimination des femmes (pardon, "l'égalité et la complémentarité") et les violences conjugales, sont vendus sur des sites internet français, par des librairies islamistes partout dans le pays, disponibles dans les centres "culturels" musulmans et présents en 2018, en vente libre et bien exposés à plusieurs endroits de la Rencontre du Bourget. Et personne ne s'en émeut…

Par contre, le livre de Henda Ayari, qui raconte comment et pourquoi elle a retiré son voile et quitté le salafisme pour un islam apaisé, est introuvable, comme tous les autres ouvrages expliquant pourquoi le voile n'a rien de religieux mais tout de misogyne et de politique. Ces musulmans ne font sans doute pas partie des "musulmans de France".

Nous pourrions nous demander pourquoi, au fil des années et malgré les suspicions, l'UOIF n'est pas devenue plus vigilante sur les ouvrages vendus sur les étals. Parce que les islamistes n'y voient aucun mal. Pour eux, cela fait partie de la religion (tout au moins de l'interprétation qu'ils en font). Écrire ce genre de choses et les vendre n'est pas un manque de respect envers les femmes selon eux. Au contraire, c'est LE respect qui devrait leur être dû. Certes, nous pourrions aussi faire une comparaison avec les intégristes des autres religions, stratégie classique des islamistes et de leurs soutiens pour relativiser leurs positions. Mais, si les intégristes de toutes les religions se rejoignent sur le sexisme et le patriarcat, ils ne sont pas comparables dans l'absolu. L'intégrisme juif n'est pas prosélyte. Il est fortement présent en Israël mais quasiment inexistant en France. Il n'a pas la volonté de faire plier la société (les administrations, les entreprises, les écoles, etc.). Il ne milite pas contre la loi de 2004 pour autoriser le voilement des petites filles par exemple. Cet intégrisme se vit replié sur soi et n'a aucune prise sur la société.

L'intégrisme catholique n'est pas comparable non plus. Même si sa menace n'est pas à négliger, il ne bénéficie d'aucun soutien intellectuel. Les signaux d'alerte fonctionnent. Ce qui n'est pas le cas avec l'intégrisme musulman qui bénéficie de soutiens assumés.

En se promenant dans les allées, nous observons que cet événement est cohérent et assume sa vision de la femme. La "complémentarité" s'affiche partout. Sur les affiches, dans les stands vendant des vêtements, les livres, tout est fait pour séduire et montrer toute la diversité de l'oppression par différentes formes de voilement. Les stands de vêtements exposent toutes les gammes de la mode sexiste (ce qu'ils appellent la "mode pudique") pour les musulmanes qui "se respectent" et qui ne s'habillent pas comme les mécréantes.

Les enfants ne sont pas oubliés. Citoyens en devenir, ils sont même des cibles privilégiées. Tout est fait pour habituer les petites filles au sort qui les attend. Vous pouviez ainsi acheter la dernière collection de voiles pour cacher le corps et la tête des filles de moins de 6 ans.

Vous pouviez acheter des livres pour enfants adaptés où les illustrations ne montrent que des petites filles voilées.

Pour convaincre les fillettes des "bienfaits" du voile, toutes les poupées sont voilées. Même les livres de coloriage sont des supports d'endoctrinement.

Tout est fait pour préparer le futur "libre choix" de la future citoyenne. Aucun modèle de musulmane sans voile n'est présenté. La musulmane, objet sexuel devant se protéger des prédateurs que seraient les hommes, doit être bâchée. Cela lui évitera les désagréments évoqués dans les livres vendus au même endroit.

Comme je l'ai abordé dans plusieurs de mes articles, pour séduire et amener au "libre choix", les islamistes récupèrent les codes culturels occidentaux pour les adapter au public visé. Voici un exemple avec l'image de la princesse des contes de fées :

Dans ce coloriage « spécial filles », les princesses ont toutes de jolis foulards et de longues robes ... C'est une manière ludique de montrer aux petites filles musulmanes que ce n'est pas parce qu'on porte le voile que l'on est moins belle ; bien au contraire !

A vous, parents musulmans d'offrir ce petit coloriage à vos enfants à l'occasion de l'Aïd ou simplement pour leur faire plaisir...


Nombre de visiteurs étaient ravis de baigner dans une telle ambiance. Rares étaient les femmes ne portant pas de voile. Mêmes des petites filles étaient voilées. Les visiteurs pouvaient parfois croiser des fillettes, âgées de deux ou trois ans, bâchées de la tête au pied.

Je suis effaré par le silence de nombre de féministes et d'associations féministes. Aucun autre intégrisme n'a la possibilité d'organiser un rassemblement de cette ampleur. Si cela se produisait, les féministes comme d'autres seraient les premières à manifester devant les bâtiments et dans les allées d'une Rencontre d'intégristes chrétiens ou d'un meeting politique qui auraient les mêmes discours et contenus. Mais face à l'intégrisme musulman, l'attitude n'est pas la même. Une partie des féministes soutiennent les islamistes au nom du "libre choix", du relativisme et de la victimisation permanente. Une autre partie reste indifférente ou silencieuse par crainte de passer pour raciste ou "islamophobe" (la critique du dogme chrétien leur est naturelle, celle du dogme musulman et de sa frange intégriste leur est inconcevable). Les féministes universalistes, qui dénoncent tous les intégrismes religieux de la même manière, sont par conséquent plus isolées et moins écoutées.

À l'heure de #balancetonporc, où on s’enorgueillit de lever les tabous sur le sexisme et les violences envers les femmes, où est le #balancetonbourget ?

Pendant que Lallab organise son "hijab day" pour la promotion de cette idéologie, on ferme les yeux sur la Rencontre du Bourget. On préfère ne pas se mouiller pour ne pas risquer d'être accusé d'intolérance par les intolérants. Ce serait la preuve de la "sororité" de certaines "féministes blanches" qui agissent ainsi par un orientalisme condescendant teinté de racisme qu'elles croient être le summum de l'antiracisme et du féminisme. Elles devront un jour en répondre face à l'histoire.

Toute la jeunesse est ciblée au RAMF. Les étudiants sont une des priorités de la Confrérie. Branche estudiantine des Frères Musulmans créée par l'UOIF, le "syndicat" Étudiants Musulmans de France (EMF) avait aussi son stand à la Rencontre islamiste du Bourget. Même s'ils ont fait une percée inquiétante aux dernières élections étudiantes de l'université d'Orléans et, ainsi, intégré le Conseil d'Administration, EMF était plus dans son élément au RAMF que dans les universités.

Comme chaque année, il y avait bien sûr des cautions "laïques". En plus de la présence de Vincent Geisser, il y avait également Raphaël Liogier. Dans le temple de l'oppression des femmes dont le voile est le symbole affiché partout, il a déclaré que le voile est aussi une forme de modernité et de féminisme…

Dans cette ambiance ultra sexiste si anodine et agréable pour tout intégriste, Tariq Ramadan aurait pu être présent. Mais, sa braguette ne fonctionnant pas toujours très bien, son agenda overbooké le rend indisponible pour une période indéterminée. En revanche, un stand pour les "#FreeTariqRamadan" était bien là. Ce groupuscule, qui considère Tariq Ramadan comme un gourou, ne cesse de remettre en cause la justice, de dénigrer les plaignantes et a récolté à ce jour près de 170000€ pour le soutenir. Une somme si indécemment élevée qui ne servira évidemment pas qu'à payer ses frais de justice. L'UOIF soutient officiellement le prédicateur depuis plusieurs semaines. L'organisation n'a donc pas prévu de stand pour les plaignantes qui, je le rappelle, sont toutes musulmanes (quitte à être communautariste…) et sont à mille lieues d'avoir les finances et l'armada de Tariq Ramadan. C'est peut-être cela "l'éthique" et le "juste milieu" des islamistes.

Dans un discours enflammé de plusieurs minutes, Amar Lasfar n'a pas eu de mots assez forts pour faire l'éloge du prédicateur accusé, selon lui injustement, de multiples viols. Les mots étaient si forts qu'il n'en a pas eu un seul pour les plaignantes. La présomption d'innocence n'empêche pas la prise en considération de la parole des plaignantes, et encore moins une condamnation des insultes ignobles et des menaces de mort qu'elles reçoivent depuis leur dépôt de plainte. Tout est fait pour les décrédibiliser et dissuader toute autre victime présumée de se manifester. En observant la vision de la femme exposée dans les différents stands, les jouets ou les livres vendus, ce déni des femmes potentiellement victimes de viols est cohérent avec l'intégralité de cette Rencontre. C'est aussi en cohérence avec les militants de #FreeTariqRamadan.

Pour parfaire le tableau et confirmer, s'il en était encore besoin, l'adhésion de l'UOIF à l'idéologie frériste, un stand était consacré à la gloire des Frères Musulmans égyptiens. Quelques objets affichant leur symbole étaient distribués gratuitement. C'est la "Rabia", ou la "main du Tamkine", signe de ralliement des Frères Musulmans depuis 2013, suite au coup d'État contre Mohamed Morsi en Égypte. Par un marchandising digne d'un club de football, ce symbole était disponible en gants, porte-clés, badges et bonnets.


Selon Mohamed Louizi, les quatre doigts représenteraient quatre étapes. L'ultime étape serait le tamkine : la domination politique de l'islam version Frères Musulmans. Ce geste de la main a été brandi par toutes les personnalités de la Confrérie, de Youssef Al-Qaradhawi en passant par Erdogan et Rached Ghannouchi (chef du parti islamiste tunisien).

Le discours de clôture se devait d'être parfait dans sa mise en scène. L'affichage d'une vitrine acceptable pour dissimuler son arrière-cour est la marque de fabrique des Frères Musulmans. Deux drapeaux français étaient posés de chaque côté du pupitre, afin de faire savoir que l'UOIF, rebaptisée "Musulmans de France", ne représenterait pas les intégristes musulmans mais l'ensemble des musulmans. Sa vision radicale de l'islam ne le serait pas tant que ça et serait pleinement française. D'autres y verront par ces drapeaux que les Frères Musulmans ont à présent un pied dans la place. Bien-sûr, toutes les femmes adultes présentes avec lui étaient voilées. Ce discours fut justement ouvert par une militante portant le hijab. Nous retrouvons le désir des Frères de mettre des femmes voilées en avant. Cela donne le sentiment d'une forme d'égalité des sexes tout en instillant toujours mieux l'idée qu'une musulmane, et de surcroît pieuse, est forcément voilée. Cette propagande pro voile de l'UOIF contribue à ce que ses partisans appellent le chemin vers le "libre choix".

Ce fut ensuite au tour du président de l'UOIF, Amar Lasfar, de prononcer un discours. Les deux intervenants se déclarèrent républicains et contre l'intégrisme (ils ne manquent pas d'humour) à travers des phrases vagues et consensuelles mais qui rassureront et séduiront toujours un peu plus ceux qui les soutiennent. Amar Lasfar n'en a pas oublié ses fidèles. Pour les rassurer, il a de nouveau affirmé être contre une réforme progressiste de l'islam. On n'en attendait pas moins d'un intégriste.

Nous ne répéterons jamais assez que cette Rencontre concerne uniquement les islamistes. Les autres croyants sont autant choqués que n'importe qui par ce rassemblement qui prétend se faire en leur nom. L'UOIF et son idéologie sont clairement une menace pour la société. Luttons contre cela. Dénonçons ces intégristes pour ne plus les mélanger avec l'ensemble des musulmans. Écoutons enfin les musulmans (de culte et/ou de culture) qui luttent contre les islamistes : l'UOIF ne représentera jamais "les musulmans de France"

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Rencontre annuelle des musulmans de France : la droite peut-elle récupérer le vote musulman sur les questions sociétales ?L’amalgame de l’antisémitisme et de l’islamophobie et la stratégie de la "reductio ad hitlerum"

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !