Dédollarisation du monde : et si la menace venait des blockchains beaucoup plus que de Moscou ou Pékin…<!-- --> | Atlantico.fr
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Une imitation physique de la crypto-monnaie Ethereum à Dortmund, dans l'ouest de l'Allemagne, le 27 janvier 2020.
Une imitation physique de la crypto-monnaie Ethereum à Dortmund, dans l'ouest de l'Allemagne, le 27 janvier 2020.
©INA FASSBENDER / AFP

Ethereum

Derrière la discrète condamnation d’un jeune Américain à 63 mois de prison pour être allé présenter la technologie de l’Ethereum blockchain en Corée du Nord se cache une révolution géopolitique majeure.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Un jeune Américain a été condamné à 63 mois de prison pour être allé présenter la technologie de la blockchain Ethereum en Corée du Nord. Que s’est-il passé exactement ?

Michel Ruimy : Un jeune informaticien américain, Virgil Griffith, connu pour son passé de brillant hacker et son travail à Singapour au sein de la fondation soutenant la cryptomonnaie Ethereum vient d’être condamné pour avoir expliqué à des officiels nord-coréens comment défier technologiquement les sanctions internationales déployées contre leur régime.

Sur des images prises, en avril 2019, dans une salle de conférences de Pyongyang, il apparaît devant un tableau blanc où est dessiné un schéma résumant le fonctionnement de la blockchain Ethereum. En bas à droite, une flèche pointe vers les mots « No Sanctions ! » et un grand smiley joyeux.

Trois ans plus tard, ces clichés, pris par un autre visiteur étranger, coûtent cher au jeune homme. Convaincu par la démonstration des procureurs qui ont présenté, à la Cour, plusieurs de ces clichés, un juge de New York a condamné Virgil Griffith à 63 mois de prison pour avoir aidé le régime nord-coréen à contourner les sanctions mises en place, depuis des années, par les Etats-Unis contre la Corée du Nord. Il devra aussi régler une amende de 100 000 dollars.

Pourquoi les Etats-Unis craignent-ils que la Corée du Nord apprenne à maîtriser la blockchain de l’Ethereum ? Quel peut être l’impact sur la souveraineté des pays et, plus largement, l’impact économique et politique ?

Selon le procureur général de New-York, les conseils de Virgil Griffith auraient permis à la Corée du Nord, un des principaux ennemis des États-Unis, de mieux comprendre la manière de financer, de façon illégale, son programme nucléaire, de faire du commerce avec d’autres pays sans jamais avoir recours au dollar, ce qui permettrait à Pyongyang de ne pas être repéré par Washington... En d’autres termes, la justice américaine accuse cet activiste de la cause des cryptoactifs d’accompagner Pyongyang à devenir notamment une dangereuse puissance nucléaire.

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Les inquiétudes américaines autour de l’utilisation des cryptoactifs par des pays comme l’Iran ou la Corée du Nord pour contourner les sanctions, sont élevées au motif que leurs transactions sont bien plus difficiles à suivre car elles ne passent pas par le réseau bancaire traditionnel SWIFT. En 2017, Steven Mnuchin, Secrétaire au Trésor de Donald Trump, avait affirmait qu’il classait les cryptomonnaies au rang de « défi à la sécurité nationale américaine ».

De nos jours, la dimension symbolique de la monnaie paraît aussi importante que son aspect instrumental. La monnaie résonne avec les débats sur la digitalisation d’une partie des échanges monétaires, que ce soit par les banques centrales ou dans le cadre d’initiatives privées. Au cœur de plusieurs problématiques (possibilité d’échanges commerciaux et financiers garants d’une stabilité et d’une prospérité, expression d’une forme de souveraineté de l’État, participation à la manifestation d’une identité collective nationale...), elle est un enjeu central de la mondialisation. Depuis toujours, la frappe de la monnaie est un signe de la force et de la crédibilité d’un État, le symbole de l’identité d’un peuple se montrant à lui-même ses grands accomplissements… Or, la prééminence du dollar américain dans les échanges et l’interventionnisme des Etats-Unis, via notamment les sanctions pécuniaires, incitent les pays à vouloir s’émanciper de cette « tutelle ».

Est-il possible que la dédollarisation du monde vienne des cryptomonnaies et de la blockchain, et notamment de l’Ethereum, plutôt que de la menace de monnaies classiques concurrentes comme le rouble ou le renminbi ?

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Après la Seconde guerre mondiale, la démocratisation et le caractère universel du dollar comme devise de référence a permis aux Etats-Unis, uniques détenteurs du pouvoir régalien, de l’utiliser comme vecteur d’influence et de puissance. Au cours des dernières décennies, pour conserver leurs avantages stratégiques hégémoniques (politique, militaire, financier, économique et technologique), ils ont adopté une stratégie agressive en utilisant le droit américain comme un véritable glaive au service d’une guerre, notamment économique et financière. Le dollar joue ainsi un rôle prédominant dans la grande majorité des poursuites intentées par l’Administration américaine contre des gouvernement étrangers, des multinationales et des établissements bancaires (Cf. amendes records envers la BNP Paribas et Alstom). D’outil de « soft power » pendant la « Guerre froide », il est résolument devenu le symbole du « sharp power » américain depuis le début des années 2000.

Cette agressivité économique a servi d’électrochoc aux autres grandes puissances pénalisées (Russie, Chine, Union Européenne). Du fait de cette rupture de confiance des équilibres prônés par le libre-échange, la devise américaine est moins utilisée dans les échanges internationaux. Selon le FMI, la part du dollar américain dans les réserves des banques centrales a atteint près de 60% en 2021 - son plus bas niveau depuis 25 ans - au profit d’autres devises (euro, rouble, yuan…) ou même de l’or.

Cette cristallisation des tensions autour du dollar dans la plupart des échanges internationaux a tendu les relations économiques, commerciales et financières entre les différents pôles économiques mondiaux. Aujourd’hui, avec l’essor des cryptoactifs, de nombreux pays se sont lancés dans la course à la création, au lancement et à la démocratisation de leur nouveau cryptoactif. Les banques centrales, afin de ne pas perdre leur privilège historique de création et de régulation de la monnaie, développent leur propre MNBC (Monnaie Numérique de Banque Centrale) afin de proposer leur devise en version digitalisée. La Chine avec son e-Yuan, la Russie avec l’e-rouble, l’Union Européenne avec son projet d’euro numérique et les Etats-Unis avec leur crypto-dollar sont particulièrement en pointe dans ce domaine.

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Cette stratégie permettrait de renforcer la confiance dans l’utilisation des devises au sein même des économies nationales mais également dans le cadre d’échanges économiques régionaux et internationaux, en particulier dans le cas d’une dédollarisation des économies. L’essor des crypto-devises serait ainsi une alternative au « tout dollar » d’autant que les facteurs liés à la facilité d’utilisation, les faibles coûts de transaction etc., associés à la confiance que peuvent avoir les acteurs économiques envers une banque centrale, vont certainement renforcer les stratégies de contournement du dollar américain.

Comment les différents Etats tentent-ils de préserver leur pouvoir face à cette situation ?

La stratégie chinoise, en matière de crypto-devise, complète parfaitement son projet global des « Nouvelles Routes de la Soie ». Dans le cadre de ce projet titanesque, l’utilisation d’un crypto-yuan relié à un système de paiement totalement digital permettrait de faciliter les relations financières et commerciales. Pour la Russie, la dédollarisation de son économie ne peut se résumer à libeller l’ensemble de ses exportations et/ou importations en devise nationale. Elle milite de ce fait pour une mise en œuvre rapide du « BRICS Pay », qui permettrait aux BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et à leurs partenaires de procéder à des échanges économiques et financiers à partir de leurs propres devises via des portefeuilles électroniques dans un cloud dédié.

Dans une époque caractérisée par des rivalités économiques et géopolitiques de plus en plus violentes et face à la politisation du billet vert, certaines grandes économies se sont décidées à accélérer la politique de dédollarisation de leur économie et à retrouver ainsi une certaine souveraineté monétaire.

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