Le grand loupé : comment nous n'avons pas su faire accoucher la crise d'un monde nouveau<!-- --> | Atlantico.fr
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"En un mot comme en cent, la crise, ses conséquences, ses remèdes, ses faux remèdes, les modifications visibles et invisibles du système, la crise donc, vous concerne tous. Et c’est à ce titre qu’elle est politique, sociale, géopolitique."
"En un mot comme en cent, la crise, ses conséquences, ses remèdes, ses faux remèdes, les modifications visibles et invisibles du système, la crise donc, vous concerne tous. Et c’est à ce titre qu’elle est politique, sociale, géopolitique."
©Reuters

Encore... et encore

La crise n’est pas abstraite, elle est concrète... Comme ses évolutions et ses remèdes. A ce titre, la justice fiscale ne peut être aveugle, au risque de contracter l'investissement, la croissance et l'emploi. 1ère partie de notre série en 2 épisodes consacrée au manque de transparence de la justice fiscale.

Bruno Bertez

Bruno Bertez

Bruno Bertez est un des anciens propriétaires de l'Agefi France (l'Agence économique et financière), repris en 1987 par le groupe Expansion sous la houlette de Jean-Louis Servan-Schreiber.

Il est un participant actif du Blog a Lupus, pour lequel il rédige de nombreux articles en économie et finance.

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La crise touche tous les gens, vous, moi, pas seulement les autres. Elle nous touche par ses manifestations comme l’arrêt de la croissance, la chute de la prospérité, l’emploi, la stagnation du pouvoir d’achat, l’inflation, les taxes, l’arrêt de l’ascenseur social pour nos enfants, la morosité, voire l’agressivité, l’insécurité...

Elle nous touche par ses remèdes et faux remèdes comme les modifications fiscales, monétaires, financières, réglementaires, législatives, politiques, sociales... Elle va nous toucher par toutes ses conséquences non voulues, non dites, dissimulées, niées...

En un mot comme en cent, la crise, ses conséquences, ses remèdes, ses faux remèdes, les modifications visibles et invisibles du système, la crise donc, vous concerne tous. Et c’est à ce titre qu’elle est politique, sociale, géopolitique. Nous rajoutons et insistons sur géopolitique, car beaucoup de gens l’escamotent ou cherchent à le faire. Rien qu’une évidence : l’Europe ne sera plus jamais comme avant. C’est même l’une des rares choses qui soit sûre ! Que l’évolution aille dans le sens de l’Union économique renforcée ou dans le sens de la dislocation, rien ne sera plus comme avant, cet avant marqué par l’illusion de la convergence spontanée dans laquelle tout le monde était gagnant, dans laquelle chaque jour, on dégustait son free lunch et se faisait raser gratuitement.

On peut s’étonner que cette question centrale de l’avenir et des choix européens ne soit pas explicitement centrale dans les débats politiques, électoraux, sociaux, médiatiques. Bizarre, quels sont ces systèmes prétendument démocratiques dans lesquels l’essentiel est esquivé, rejeté hors des choix soumis aux citoyens et imposés, mine de rien, comme des choix techniques, voire technocratiques ?

Quels sont ces systèmes où l’on marche sur la tête et discute à perte de vue de pseudos solutions sans jamais avoir posé les problèmes, les contraintes, les choix possibles et les coûts ? Quels sont ces systèmes où au lieu de clarifier, éclairer l’avenir, on dissimule, opacifie, détourne l’attention ?

Nous vous laissons le soin de répondre à cette question.

Nous avons écrit récemment que le plus important, l’éléphant dans la pièce que personne ne voulait voir, c’était le choix américain que la crise n’était pas game changer.
Autrement dit le choix américain de la continuité. On ne vous en parle pas, mais c’est le point le plus important pour vous, pour vos enfants, c’est ”là que que cela se joue".

Le système a du mal à se reproduire à l'identique

La crise est une crise du système, une crise de reproduction du système, il a du mal à se reproduire à l’identique. On aurait pu être tenté d’accepter le changement, de le faciliter, de le conduire, on a fait l’inverse. Les États-Unis et la Chine ont fait l’inverse à partir du constat que les choses n’étaient pas mûres. Choix convergent pourtant effectué à partir d’analyses et d’objectifs opposés. La mondialisation a provoqué l’ascension de la Chine et de l’Asie en général, elle a produit une masse considérable de dettes dans les pays de l’Ouest, lesquels ont voulu par le crédit compenser leur appauvrissement relatif. Les excédents des uns sont devenus les dettes des autres. Le système est devenu instable sous l’effet de l’accumulation excessive des dettes, les problèmes de roll over(refinancemement) de ces dettes, les problèmes de solvabilité se multiplient et se généralisent.

On aurait pu en 2009 accepter le constat selon lequel nous avions atteint les limites de la mondialisation à crédit, voyons ce que l’on peut faire. Il aurait fallu examiner le système monétaire international, l’ordre international, les institutions internationales. Prendre acte du déclin des uns, de la montée des autres, mettre tout à niveau et en correspondance.

Certains ont fait quelques pas dans cette direction, les Russes, les Français, les Brésiliens, d’autres ont préféré quelques déclarations sans plus, comme les Chinois.

Ce qui aurait pu déboucher sur un ordre international nouveau, adapté ou mieux adapté aux modifications introduites par la mondialisation et l’émergence de nouveaux blocs de pouvoirs et de richesse, ce qui aurait pu être n’a pas été. La France, en particulier s’est retrouvée entre deux chaises, non suivie qu’elle a été par la Chine. La Chine considère qu’elle n’est pas mûre, pas assez forte, solidifiée pour soutenir un nouvel ordre international. Elle a encore besoin de 20 à 25 ans de faiblesse américaine pour prospérer et devenir le partenaire global incontournable.  Elle en a besoin pour piller la demande américaine et maintenant européenne, mettre le plus de Chinois possible au travail, créer un surproduit qui lui permette de continuer son armement et sécuriser sa défense et sa sécurité.

De leur coté, les États-Unis paralysés par un système politique bloqué, bipolaire et il faut bien le dire perverti par la finance, les États-Unis ont choisi de Kick The can, de gagner du temps. Plus tard on verra bien se sont-ils dits, en gros. Ils ont conscience des évolutions à long terme, mais pas de l’urgence qu’il y a à faire de nouveaux choix. Donc on maintient les choix et non-choix anciens : les drones et le caviar, la relance de la consommation par le crédit, la tentative de faire baisser le dollar, le financement monétaire du Trésor, le pillage de l’épargne mondiale même s'il devient de plus en plus difficile. Les choix ou non-choix américains reposent sur des constats : une puissance militaire inégalée, une capacité d’innovation fantastique, une maîtrise quasi totale de la finance mondiale, un modèle culturel encore attrayant, un consensus social et des institutions domestiques très solides. Et surtout un monde extérieur divisé, empêtré soit dans ses incohérences soit dans ses mutations. Autrement dit, ils ont le temps, on verra à moyen terme c’est à dire dans 5 ou 10 ans.

Sur la base de cette hypothèse du maintien de l’ordre existant, d’une lutte pour le maintien du rang, de la richesse, de l’emploi, du droit de produire, de la stabilité sociale, les affrontements vont être sévères, dissimulés, mais sanglants. Pas besoin d’aller jusqu'à l’anticipation de guerre, on détruit aussi efficacement un pays ou un ensemble de pays par les changes, la finance, le commerce, les réglementions et autres armes de la puissance et du rang moderne. Les États-Unis par exemple sont en train de mettre au pas la Suisse tout a fait pacifiquement, l’Allemagne met au pas toute l’Europe. La Russie tente la même chose a sa périphérie.

Et après ? Le Chaos ?

Il va se passer ceci : les pays les plus faibles, les plus exposés, les plus mal gérés vont supporter l’essentiel de l’ajustement, l’essentiel des transferts de richesse imposés par la crise et le refus de changer l’ordre ancien. Ces pays, c’est-à-dire leurs citoyens, vont payer par l’appauvrissement organisé (par leur classe politique) sous le nom d’austérité, par la baisse de la protection sociale, l’amputation du welfare state (État Providence), la hausse des impôts d’abord sur les riches, puis les classes moyennes.

Ils vont payer par la fermeture de leurs entreprises considérées comme non rentables, par la mise au rebut des machines et des salariés, par la mise au chômage et ensuite la réforme des allocations chômages. Ils vont payer par la destruction de l’épargne intérieure, destruction qui va peser sur l’investissement, donc sur la croissance, donc sur l’emploi futur, l’éducation, etc. Ils vont payer par l’instabilité sociale, le découragement et la fuite des élites, la généralisation des comportements anti-sociaux, la fuite des capitaux, le développement des marchés noirs, les corruptions, les fraudes...

La mécanique infernale sera lancée et terrible car transitive, plus les faibles vont s’affaiblir et plus les forts vont sembler attrayants , se renforcer, devenir des modèles et des refuges. Certains auront des appareils productifs avec des marges bénéficiaires records, bénéficieront des flux de capitaux, des afflux de main d’œuvre compétente et dynamique les autres s’enfonceront dans la répartition de la pauvreté, la victimisation, le bouc émissaire.

Nous l’avons dit dès le début, dans les circonstances présentes il n’est pas possible de rester à l’abri, pur esprit théorique, technique ; Il faut accepter de prendre des coups, être critique, de s’engager et même plus, et ce sans affinité.

Face à la crise, tout devient politique, voilà ce sur quoi nous voulons insister.

Dans un contexte de poursuite imposée de l’ordre établi, le compact de survie européen passe par :

  • La restructuration  des dettes, la dévalorisation des promesses que l’on ne peut tenir et qui ne sont pas fondamentalement indispensables ;
  • La  refonte fiscale, hausse des impôts, gouverner autrement que par la soi disant recherche de la justice fiscale ;
  • La stabilisation des déficits, voire leur légère hausse pour ne pas pénaliser croissance et investissement.

Et tous ces choix sont éminemment politiques, car ils impliquent des choix suprêmes : à quel ensemble économique veut-on appartenir, dans quelles conditions, et avec quel but à long terme ?

Un mot sur la grande mode, la justice fiscale...

Personne n’est capable de définir qu’elle est la juste part d’impôt que chaque citoyen ou catégorie de citoyens doit payer. Il n’ y a rien derrière les pseudo argumentaires, juste de l’incantation, voilà pourquoi votre fille est muette. On parle justice fiscale quand on a besoin d’augmenter les impôts, voilà la vérité.

L’autre vérité étant que la justice fiscale, c’est toujours les autres que cela doit toucher. Est-ce que les riches doivent payer plus parce qu’ils consomment moins de services publics de santé, d’éducation, d’assistance, de justice et de police ?

Où commence et finit la justice fiscale, à quel niveau de prélèvement ? À 10, 20, 40, 90% ? Personne ne le sait, personne d’ailleurs n’en débat. On accepte les pseudo évidences, parce que les médias et les hommes politiques en parle.

À partir de quel niveau de prélèvement de la richesse nationale un État devient-il prédateur ? À 30, 50, 56% ?

Quel est le juste nombre de fonctionnaires, quelle part de la richesse nationale peut-on leur consacrer ? Est-il juste qu’ils aient la protection de l’emploi dans un monde incertain ? Que certains soient surexposés au risque, au front et que d’autres soient protégés, à l’arrière ?

Que faut-il encourager ?

La consommation ? L’investissement ? La prise de risque ? Le court terme ? Le long terme ?

L’usage du vocabulaire est évidemment central. Selon les périodes, la même déduction fiscale peut s’appeler niche, avantage fiscal, cadeau fiscal, faille du système, mais aussi  incitatives, encouragement à ceci ou cela. Selon le mot choisi, on stigmatise ou autorise. Selon l’angle, le point de vue, on a une vision différente de la justice. Ceux qui reçoivent sans rien produire en contrepartie bénéficient-ils d’une justice ou d’une injustice ? On peut demander ce qu’en pensent ceux à qui on prend sans rien donner en échange par exemple ! Est-il sensé de couper le lien entre l’effort, le dur travail, les études, l’abstinence, le goût d’entreprendre... et la rémunération, l’acquisition de la fortune ?

La réalité est que l’on présente toujours comme évidentes et allant de soi des choses qui sont tout, sauf comme s’imposant d’elles-mêmes. Et que c’est là que gît le pouvoir. Pouvoir absolu, non contesté, non démocratique qui se manifeste par un “il faut”, par un “il est juste”, qui sont aussi sûrement tombés du ciel que la pluie du fameux "il pleut”.

Quel rapport avec votre épargne, votre patrimoine, vos investissements, votre position sociale ? Devinez !  À part vos impôts, rien ne s’impose de soi, tout doit être défendu. Si vous ne le faites pas, personne ne le fera a votre place. Le maintien de l’ordre établi a un coût et ce coût, croyez nous, les autres voudraient bien que ce soit vous qui le payiez.

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