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Crise du Covid : cachez-moi la situation de ces pensionnaires d’Ehpad que je ne saurais voir
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Grand moment d’inhumanité

Alors que le président de la République répétait cette semaine au Davos virtuel que la France avait fait montre d’un grand moment d’humanité face au Covid en préférant la défense des plus fragiles à l’économie, le traitement des personnes âgées depuis un an suggère une réalité bien moins lumineuse.

Florence Paraclet

Florence Paraclet

Florence Paraclet est membre-fondateur du Cercle des Proches Aidants en Ehpad.

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Atlantico.fr : Brigitte Bourguignon, ministre déléguée à l'Autonomie, a donné le mot d’ordre de "protéger sans isoler" les résidents d'EHPAD. Depuis un an que la pandémie dure, la promesse est-elle tenue ?

Florence Paraclet : Non seulement la promesse n'est pas tenue, mais elle est inversée. Les résidents sont isolés sans être protégés. Isolés car vingt minutes de « parloir » tous les quinze jours derrière un plexiglas dans un espace commun surveillé, ce ne sont pas des conditions dignes ni une fréquence acceptable de visites, surtout pour des personnes souvent malentendantes, malvoyantes ou présentant des troubles cognitifs assez largement précipités par défaut de stimulation affective et intellectuelle depuis près d'un an maintenant. 

Et ils ne sont pas pour autant protégés car on voit bien que le virus continue à entrer -à leur corps défendant évidemment- par les personnels (souvent jeunes, avec enfants scolarisés, venant de loin en transports en commun), les intervenants extérieurs (coiffeuses, pédicures...) et les quelque 10 000 volontaires du service civique recrutés par madame Bourguignon, qui vont de résident en résident. Ils sont tous censés être testés sur une base hebdomadaire mais les familles n'ont pas accès ni à ces données, ni aux tests, ni d'ailleurs aux vaccins, alors que ces dernières font également partie de "l'écosystème Ehpad". Le comble a été dernièrement l'organisation de visites d'enfants de crèches voisines, alors que certains résidents n'ont même jamais fait connaissance d'arrière-petits-enfants venus au monde ces derniers mois. C'est l'inter-générationnel hors généalogie familiale. 

Dans quel état d’esprit se trouvent les résidents et leur famille ?

Les résidents sont infantilisés -au sens étymologique d'infans, celui qui n'a pas la parole. Et je ne parle pas du tutoiement et des surnoms assez communément répandus à leur endroit. Ils n'ont pas réellement voix au chapitre, y compris au sein des Conseils de Vie Sociale, souvent chambre d'enregistrement des décisions des directions. Les familles non plus, qui sont depuis près d'un an désemparées, épuisées, isolées. Avec Sabrina Deliry qui porte haut et clair notre parole sur les plateaux des chaînes d'infos et des familles qui vivent la même situation de détresse, nous avons monté le Cercle des Proches Aidants en Ehpad, un think tank pour partager expériences et informations, être reconnus comme interlocuteurs légitimes et constructifs auprès des cabinets, syndicats, politiques... 

La conviction et signature du CPAE est "le lien c'est la Vie" car c'est bien de cela qu'il s'agit. Et le rompre -voire seulement le distendre- c'est la mort. Avant on se posait la question de la Vie après la mort, aujourd'hui on se peut demander s'il y a une Vie AVANT la mort. Pour les résidents, elle est quand même réduite à peau de chagrin depuis près d'un an et nombreux sont ceux qui ne passeront pas l'hiver. A l’heure où les Français redoutent un 3ème reconfinement, nos parents en Ehpad se meurent de tristesse et de sentiment d'abandon depuis plus de 330 jours. Cette défiance vis-à-vis des familles, quand ce n’est pas du mépris, est insoutenable.   

Les directions des Ehpad ont-elles tendance à faire du zèle pour se protéger, quitte à nuire aux libertés de leurs résidents et de leurs proches ?

Les directions sont largement gouvernées par la peur (de la contamination, mais aussi pour leur réputation, notamment pour les grands groupes privés), et gouvernent par la peur (diabolisation et culpabilisation des familles qui sont "captives", un peu comme quand on est bien content d'avoir une place en crèche pour son enfant, et qu'on redoute de la perdre).

Le principe de précaution est poussé à l'extrême et à l'absurde. Les directions ont adopté pour la plupart une vision hygiéniste -et non holistique- de la santé, comme  étant "l'absence de maladie", contrairement à la définition de l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Combien d'entre nous avons-nous entendu les directions s'enorgueillir de n'avoir subi aucune contamination, et nous dire "si c'est juste le bien-être de votre parent que vous souhaitez, plutôt que la sécurité sanitaire, reprenez-le" ? Ce qui est particulièrement cruel car le bénéfice/risque à changer de résidence une personne âgée est souvent défavorable. Et elle-même ne le souhaite pas forcément, pour partie par un effet du syndrome de Stockholm. 

Quelles solutions concrètes existe-t-il pour permettre aux personnes âgées de voir leurs familles dans de meilleures conditions qu'une demi-heure dans un parloir ?

La solution est simple et figure dans les protocoles du ministère de la Santé : autoriser par dérogation les proches aidants à accéder à la chambre de leur parent, non pas seulement en phase terminale mais pour un "soutien logistique et matériel", dans le respect des précautions sanitaires évidemment. Ce qui soulagerait d'autant les personnels et libèrerait des créneaux dans les espaces dédiés aux visites de courtoisie.

Et permettre aux résidents accompagnés d’un proche de faire « le tour du pâté de l'Ehpad ». Même en période de confinement général, il existe pour tous les citoyens des attestations pour une heure quotidienne d'exercice physique dans un rayon d'un kilomètre. Tous sauf les quelque 700 000 résidents, ou alors avec au retour sept à dix jours de mitard, en chambre sans visite. Ça fait cher la promenade de santé et cela a d'ailleurs été largement dissuasif pour les fêtes de Noël. Le gouvernement s'est donné bonne conscience à peu de frais en assouplissant les règles, les directions et les médecins coordinateurs les ont généralement durcies, en prétextant le respect des mesures des ARS (Agences Régionales de Santé). Cela aura été Pâques en prison, Noël en prison. Ils ne survivront pas à un nouveau printemps sans sentir le souffle d'une brise légère ni la présence d'un enfant. 

Le traitement des personnes en Ehpad est-il le résultat d'un problème plus culturel de traitement des personnes âgées en France ? La vieillesse comme dernier âge de la vie a-t-elle tendance à être trop déconsidérée voire cachée ?

Il y a quelque chose de l'ordre de la toute-puissance chez des directions d'Ehpad et plus généralement chez certains qui ont la charge de personnes dépendantes et vulnérables, un peu comme des enseignants compétents mais qui tiennent les familles éloignées. Et il ne faut pas se leurrer, fonctionner en vase clos ouvre à toutes les dérives : un certain relâchement, voire des faits de maltraitances, outre la maltraitance institutionnelle qui consiste à laisser s'épuiser les personnels, en sous-effectifs et sous-payés. La loi Grand âge et Autonomie vient d'être repoussée sine die, ce qui envoie un mauvais signal aux acteurs de la silver sphère, dont les familles, même si ces dernières sont très peu écoutées, quand elles sont consultées. La parole se libère pour les enfants, et c'est heureux. Celle des personnes âgée est encore largement étouffée. Aujourd'hui, fin de vie égale fin des droits.

Florence Paraclet est membre-fondateur du Cercle des Proches Aidants en Ehpad (Twitter : @CPAE_ThinkTank - Facebook : Cercle des Proches Aidants en EHPAD (CPAE): En Ehpad le lien c'est la vie !). L'auteure utilise un pseudonyme pour préserver sa mère au sein d'un Ehpad. 

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