Covid-19 : quelle confiance dans les scientifiques après la pandémie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un message de remerciements adressé aux soignants et aux scientifiques lors de la pandémie de Covid-19.
Un message de remerciements adressé aux soignants et aux scientifiques lors de la pandémie de Covid-19.
©DAMIEN MEYER / AFP

Science

Une étude du Conseil d'analyse économique s'est intéressée à la confiance dans les scientifiques par temps de crise. Le respect des règles sanitaires et l'adhésion aux politiques de confinement ou de vaccination s'expliquent notamment par le niveau de confiance envers les scientifiques.

Yann Algan

Yann Algan

Yann Algan est doyen de l'École d'affaires publiques de Sciences Po et professeur d'économie, spécialiste de l'économie numérique et collaborative.

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Atlantico : Vous avez constitué une enquête à grande échelle sur 12 pays afin d’interroger les citoyens sur la confiance qu’ils ont envers les scientifiques dans un contexte de crise. Est-ce le déterminant critique de la résilience des sociétés ? En quoi est-il nécessaire de faire confiance aux scientifiques pour les populations d’un État ?

Yann Algan : Notre étude souligne que la crise liée au Covid est une crise d’une nature inédite : sa gestion repose sur une coproduction entre l’Etat, la société, les entreprises.  Tous les acteurs doivent être mobilisés : les citoyens mais aussi les autorités publiques, les scientifiques. Tout dépend de leur coordination. C’est tout à fait nouveau par rapport aux crises passées, telles que la crise financière de 2007 qui a été géré essentiellement de manière technique par les Banques centrales. Mais de ce point de vue elle est la métaphore des crises à venir au 21ème siècle, qui seront liées à d’autres pandémies ou au climat.

Au-delà de la coordination, la gestion de ces crises du 21ème siècle nécessite une adhésion à grande échelle des citoyens à des notions fondamentales, les libertés par exemple.  On n’est plus dans une logique d’obéissance mais dans l’émergence d’un débat démocratique. Mais pour susciter l’adhésion il faut donc une confiance dans le gouvernement, mais aussi et surtout dans les scientifiques, dans la parole des experts, qui apporte une crédibilité essentielle aux mesures.

Notre étude montre en effet que le respect par les individus des règles sanitaires, et leur adhésion aux politiques de confinement ou de vaccination, étaient avant toute chose expliquée par leur niveau de confiance dans les scientifiques. Ce facteur était encore plus important que leur état de santé. Autre enseignement : les pays où les citoyens ont perdu confiance dans la parole des scientifiques au cours de la crise sont aussi ceux où l’adhésion et le respect des règles sanitaires ont aussi le plus fortement baissés.

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Comment expliquer que la confiance envers les scientifiques soit un déterminant plus important que la confiance envers le gouvernement ou envers le reste de la société ?

La confiance dans les scientifiques est apparue fondamentale dans cette crise pour au moins trois raisons.

La première tient à la nature sanitaire de la crise: une pandémie tout à fait inédite pour les gouvernements et les citoyens.  Les scientifiques sont apparus comme les seuls détenteurs d’une connaissance certes au début parcellaire, mais légitime car fondée sur la science, les seuls phares dans la nuit.

La seconde raison tient à la nature politique et sociale de cette crise, bien plus profonde que la seule crise sanitaire. En effet cette crise a conduit de nombreux gouvernements à prendre des mesures radicales et douloureuses, telles que la privation de liberté de déplacement pour des millions de leurs concitoyens. L’adhésion à de telles mesures nécessite une très forte confiance en des experts indépendants, non partisans. La confiance dans les scientifiques a joué un rôle essentiel dans les pays où la confiance dans les gouvernements était faible, ou dans des pays où les recommandations gouvernementales allaient à l’encontre des gestes barrières, en particulier aux Etats-Unis et au Brésil où Trump et Bolsenaro s’opposaient au confinement.

La dernière raison est la durée de la crise de près d’une année et demie, qui a conduit à une très forte détérioration de la situation économique et de la santé psychologique des citoyens. Si la plupart des pays, à l’instar de la France, ont mis en œuvre des filets de sécurité très importants pour amortir la crise sur le plan économique, en revanche le mal-être des citoyens, en particulier les étudiants, n’a cessé de croitre au fur et à mesure que le confinement perdurait. Face à cette situation, la résilience des sociétés s’est fondée avant toute chose dans la confiance dans les scientifiques. 

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Vous soulignez que dans un certain nombre de pays d’Europe et plus particulièrement en France, la confiance envers les scientifiques a beaucoup diminué. Est-ce le cas partout ? Qu’est ce qui explique cette variation ? Pourquoi est-elle plus forte dans certains pays comme la France ?

La dégradation de la confiance dans la parole scientifique est surtout une singularité française. Au début de la pandémie, 90% des Français lui faisaient confiance, un niveau comparable aux autres pays. Mais en un an, on en a perdu 20 points, à 70 %.

Or c’était un point-clé pour réussir à gérer la crise sanitaire. L’adhésion aux mesures restrictives et à la vaccination a diminué dans les pays où la confiance dans les scientifiques s’est détériorée en cours d’année. A cet égard, la culture scientifique initiale est capitale : elle joue le rôle d’un coussin amortisseur, quand la crise dure plus d’un an et remet en question la confiance dans la science. Les pays dont le niveau de culture scientifique, mesurée par les résultats en science aux tests PISA de l’OCDE, étaient les plus élevés sont ceux où la confiance dans les scientifiques a le mieux résisté. 

Mais les décisions de politique publique ont également pu miner la confiance dans l’expertise scientifique, notamment le choix de créer un conseil scientifique surtout composé d’épidémiologistes…qui étaient moins légitimes pour conseiller le gouvernement sur l’aspect psychologique ou économique de la crise. Les épidémiologistes étaient dans leur rôle en se focalisant sur les questions de diffusion du virus, mais la décision d’un énième confinement ne pouvait se prendre qu’en regardant aussi d’autres indicateurs.  Il aurait fallu pouvoir s’appuyer sur une institution forte, indépendante, et capable de faire elle-même les bons arbitrages, en regardant la santé, le mal-être psychologique des Français et notamment celui des étudiants, l’économie. Nous faisons l’analogie avec le rôle des banques centrales : il a été très important dans les pays où la confiance dans le gouvernement était faible. En France, la faible confiance envers le gouvernement s’est diffusée vers les scientifiques. Et en montrant qu’il était capable d’adopter un point de vue plus large, Emmanuel Macron est sorti renforcé de cette séquence aux yeux des Français.

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